Définition de l'entrée

Le jury citoyen est un dispositif de démocratie participative dans lequel un groupe de 25 personnes environ, tirées au sort, formulent des recommandations sur un sujet de politique publique à l’issue d’un processus d’information et de délibération de quelques jours. Il fait partie des processus plus généralement appelés mini-publics.

Pour citer cet article :

Vergne, A. (2022). Jury citoyen. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/jury-citoyen-2022

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Le jury citoyen est un dispositif de démocratie délibérative dans lequel un groupe de 25 personnes environ, tirées au sort, formulent des recommandations sur un sujet de politique publique à l’issue d’un processus d’information et de délibération de quelques jours. Il fait partie des processus plus généralement appelés mini-publics délibératifs et en est devenu le modèle de référence au cours du temps. En France le dispositif est souvent nommé atelier citoyen.

Le premier modèle de mini-public

Le jury citoyen a été inventé parallèlement en Allemagne et aux États-Unis, respectivement en 1971 par Peter Dienel et 1973 par Ned Crosby. Il est le produit d’une ingénierie sociale visant à dépasser le problème de « planification » dans des sociétés pluralistes. Les deux inventeurs, l’un travaillant à l’époque pour le ministre-président du Land de Rhénanie-Westphalie et l’autre écrivant sa thèse sur la notion d’éthique sociale à l’université du Minnesota, se demandaient en quoi le « pluralisme social » pouvait être un « un problème pour la planification » (Dienel, 1969) et constataient que la « planification » était incompatible avec « notre forme actuelle de gouvernement pluraliste » (Crosby, 1976). Mais loin de se contenter d’un constat identique, ils proposèrent tous deux une solution fortement analogue : il s’agissait de « développer les techniques de participation citoyenne » et de « créer des nouvelles formes de démocratie compatibles avec la planification ». Dienel veut créer des Planungszellen, des cellules de planification (Dienel, 1971). Crosby quant à lui pense mettre en place des processus de representative, rational, concerned and legitimate decision c’est-à-dire de décisions représentatives, rationnelles, concernées et légitimes (Crosby, 1973) qu’il renommera Citizens Juries dans les années 1980, nom qui s’imposera par la suite.

Dans les deux cas, l’idée est simple : il s’agit de recruter par tirage au sort un petit groupe de citoyen.e.s profanes d’origines diverses afin de les faire travailler sur des recommandations de politique publique à destination des élus et services publics. Le processus dure quelques jours durant lesquels les participant.e.s sont tour à tour mis en situation d’apprentissage par le biais d’interventions d’expert.e.s et de représentant.e.s d’intérêts organisés et en situation de délibération en petits groupes afin d’affiner leurs opinions puis de développer des propositions et recommandations. Le premier test du modèle est effectué en 1973 en Allemagne et en 1976 aux États-Unis.

Les hybridations et évolutions

Dans les deux pays le modèle se répand peu à peu : Dienel et Crosby convainquent, non sans mal, politiques et administrations de tester le modèle. En 1992, le jury citoyen est exporté pour la première fois hors de ses pays d’origine par l’équipe de Dienel et employé au Pays basque. À partir de là, il se répand de manière exponentielle et connaît une véritable heure de gloire qui culmine à la fin des années 1990 avec des emplois massifs, notamment au Royaume-Uni. Durant les années 2000, il devient l’un des modèles standards de la démocratie délibérative et la méthode idéal-typique du mini-public. Dans les années 2000 et 2010, le modèle continue de se diffuser dans de nouveaux pays et dans les pays eux-mêmes selon une courbe de normalisation progressive. En même temps les jurys citoyens sont de plus en plus remplacés par d’autres dispositifs plus courts, par exemple les « journées citoyennes » ou « dialogues citoyens » ou plus longs par exemple les « assemblées citoyennes ». Ce dernier dispositif vole d’ailleurs la vedette au jury citoyen comme modèle de référence à partir du milieu des années 2010. Aujourd’hui le jury citoyen est un peu comme une voiture de collection.

Au cours de ce long processus de diffusion, le modèle a évolué et les hybridations se sont multipliées. Parmi les plus remarquables d’entre elles, on peut noter :

  • l’introduction du rapport citoyen à la fin des années 1970 en Allemagne : ce document reprend l’ensemble des éléments de procédure (déroulement, intervenants, résultats) ainsi que les recommandations finales. Il est remis lors d’une cérémonie officielle à l’autorité mandataire du jury ;
  • le découpage temporel : dans ses premières propositions, Dienel pensait faire travailler les participants pendant quelques mois avant de raccourcir la durée d’une Planungszelle à quatre jours d’affilée. Cette durée s’est imposée comme le standard, mais de nombreux jurys citoyens se déroulent en deux ou trois sessions de 1,5 à 2 jours (hybridation avec le modèle de la conférence de citoyens) voire se déroulent sur deux jours (notamment au Japon) ;
  • l’extension thématique : les premières expériences de jurys citoyens concernaient principalement des questions de planification urbaine ou régionale. Le modèle à toutefois connu une expansion remarquable à tous les domaines des politiques publiques traitant de questions comme les biotechnologies, la santé, les transports, la prospective, l’égalité homme-femme, l’alimentation, la protection des consommateurs, l’énergie, l’évaluation des politiques publiques, etc.
  • la combinatoire avec d’autres processus : Au cours des années 2000 et 2010 le modèle des jury citoyens est de plus en plus combiné avec d’autres processus. La plus notable évolution est surement la combinaison avec un référendum testé par l’équipe autour de Ned Crosby en Oregon sous le nom de Citizens’ Initiative Review (évaluation des référendums d’initiative populaire). Ce modèle particulier s’est d’ailleurs diffusé et a été institutionnalisé dans certains États des États-Unis d’Amérique du Nord.

Les composants centraux du modèle

Ces très nombreux emplois, plus de 3000 dans une cinquantaine de pays selon les estimations disponibles, permettent aujourd’hui de dégager les composants centraux du modèle. Ils sont au nombre de cinq :

  1. un mandataire public : les cas de jurys initiés par des organisations non gouvernementales (ONG) ou des entreprises sont très rares, même si en hausse depuis la fin des années 2010. En revanche, quasiment tous les échelons de gouvernement semblent avoir déjà eu recours à cet outil : les quartiers, les villes, les agglomérations, les cantons, les départements, les régions et provinces, les États fédérés, les États, et l’Union européenne ;
  2. le recrutement d’un groupe de citoyennes et citoyens profanes par le biais d’un tirage au sort : cet élément était la véritable originalité du modèle à sa création. Entre-temps le tirage s’est de nouveau imposé comme un mode de sélection privilégié dans certains cadres et notamment dans les processus de démocratie délibérative ;
  3. l’alternance durant les jours de travail de phases d’information et de délibération : lors des premières, des intervenant.e.s expert.e.s de leur domaine et des représentants d’intérêts organisés sont invités à présenter leur point de vue sur la question en débat. Lors des secondes, les participant.e.s travaillent entre eux, souvent à l’aide de questions ouvertes auxquelles ils apportent leurs réponses collectives. Le dernier jour étant consacré à la rédaction des propositions finales ;
  4. la remise de l’avis citoyen à l’autorité mandataire lors d’une cérémonie officielle : l’autorité s’engage alors à prendre en compte ou à rejeter après motivation les recommandations des participants ;
  5. l’accompagnement du processus par un tiers-neutre chargé de préparer le programme, d’inviter les intervenant.e.s, d’animer le jury et de réaliser le compte-rendu des débats avant de mettre en forme l’avis.

Un modèle en discussion

Le modèle des jurys citoyens s’est imposé comme une référence, notamment parce qu’il permet de produire des recommandations argumentées et de qualité en un temps record. Il n’est toutefois pas exempt de critiques parmi lesquelles plusieurs retiennent l’attention. La première critique de fond concernant les jurys est que le groupe choisi est trop faible pour être statistiquement représentatif. Il n’est donc pas possible de prendre au sérieux les délibérations des participant.e.s qui ne sont pas une masse critique. Cet argument est certes valide, mais il ignore le fait que ni Dienel ni Crosby ne voulait un groupe représentatif (contrairement à la volonté de Fishkin dans son sondage délibératif). Tous deux mettaient l’accent sur un groupe excluant expert.e.s, bureaucrates et élu.e.s. Le tirage devait permettre de réfléchir de manière plus neutre aux problèmes. Et ce groupe devait être assez petit pour autoriser des interactions nombreuses et l’émergence de ce qui plus tard sera labellisée intelligence collective. Un jury citoyen n’est donc pas statistiquement représentatif, mais il est un groupe dans lequel se manifeste une grande diversité ; cette caractéristique est toutefois elle-même questionnée. Une critique répandue est que les classes moyennes sont surreprésentées dans les jurys citoyens. En revanche, un point crucial doit être soulevé, celui de la méthode de tirage au sort. Malgré 50 ans de pratique depuis les premiers jurys citoyens, le tirage au sort reste une entreprise largement artisanale et il n’existe pas encore de véritable infrastructure comparable à celle des élections. Les développements récents autour du monde et en France (par exemple le Grand Débat National ou la Convention Citoyenne Climat) ont montré la viabilité de recrutements larges et la discussion avance sur ce volet.

En ce qui concerne l’influence des intervenant.e.s et des animateurs.trices : l’une des critiques majeures faite au modèle est que les expert.e.s auraient toute latitude pour faire passer leurs opinions et que les animateur.e.s pourraient diriger le groupe. Cette crainte est justifiée en théorie et elle mérite toute l’attention, mais là encore il manque des recherches quantitatives suffisantes pour la confirmer ou l’infirmer. Notons toutefois que les expériences faites en Allemagne avec une vingtaine de jurys parallèles, confrontés à des intervenants et animateurs différents mais arrivant aux mêmes conclusions, semblent indiquer que ce danger est limité en pratique (Renn, 1985).

En conclusion, le modèle des jurys citoyens est un pilier de l’histoire de la démocratie délibérative et de sa pratique. De part sa grande standardisation et son antériorité, il a connu une carrière internationale importante et ne manque dans aucune boîte à outils. Il a souvent été labelisé de « mercedes de la participation ». Un objet de luxe issu de l’industrie allemande. Mais si l’on  cherche à filer l’analogie, le jury citoyen est depuis quelques années dépassé par la Tesla de la délibération, l’assemblée citoyenne qui attire tous les regards. Dans les années à venir il sera intéressant d’observer si le jury citoyen continuera à garder sa place dans le paysage des dispositifs de mini-publics, voire en deviendra le modèle d’entrée ou s’il sera relégué au rang de « classic car » à sortir les dimanches de beau temps.

 

Bibliographie

CROSBY N., 1973, Concerns for All, thèse de science politique, University of Minnesota.

CROSBY N., 1976, In Search of the Competent Citizen: A Research Proposal, Minneapolis, Center for New Democratic Processes.

DIENEL P., 1969, Der soziale Pluralismus als planerisches Problem, Aix-la-Chapelle, Rheinisch-Westfaelische Technische Hochschule Aachen, « Stadt – Region – Land ».

DIENEL P., 1971, « Was heißt und was will Partizipation? Wie können die Bürger am Planungsprozesse beteiligt werden? Planwahl und Planungszelle als Beteiligungsverfahren », Der Bürger im Staat, no 3.

RENN O. (dir.), 1985, Sozialverträgliche Energiepolitik: ein Gutachten für die Bundesregierung, Munich, High-Tech-Verlag.