Définition de l'entrée

La participation dans l’entreprise est une notion qui recouvre l’ensemble des dispositifs et pratiques qui associent, même marginalement, les salariés à tout ou partie des décisions de l’entreprise. Ses objectifs sont divers (extension de la démocratie, amélioration de la productivité ou de la qualité…) et elle recouvre des pratiques variées d’inspiration syndicale ou managériale.

Pour citer cet article :

Haute, T. (2022). Entreprise. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/entreprise-2022

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La notion de participation dans l’entreprise ou de participation au travail est relativement floue et polémique. Comme le rappelle Sophie Béroud, cette notion « recouvre aussi bien l’enjeu, du côté patronal, de mobiliser au maximum la force de travail que l’exigence, du côté des salariés, de démocratiser l’entreprise, d’y étendre la citoyenneté » (Béroud, 2013 : 7). Cette notion de « citoyenneté », importée du champ politique, renvoie elle-même à des rôles sociaux plus ou moins institutionnalisés, s’inscrivant dans des registres variés, du paternalisme à l’autogestion (Allal et Yon, 2020). Ce tiraillement, s’il n’est pas propre à la participation dans l’entreprise, est d’autant plus important que celle-ci prend place dans le cadre d’un rapport salarial asymétrique. En effet, « que peut bien signifier «participer» pour des individus qui, les portes de l’entreprise tout juste franchies, se savent tenus d’obéir aux ordres de leur employeur avec lequel ils se trouvent dans une relation de subordination contractuelle » (Chapas et Hollandts, 2017).

Une notion qui recouvre des pratiques très différentes

À ce tiraillement entre extension de la démocratie et mobilisation de la force de travail peuvent correspondre deux ensembles de pratiques participatives.

D’un côté, on trouve des pratiques liées à la représentation des salariés en entreprise et à l’action syndicale. Ces pratiques se construisent, du moins en théorie, de manière autonome par rapport aux décisions des directions d’entreprise et aux rapports de subordination qui s’exercent au travail. Ces pratiques vont du vote pour élire des représentants du personnel au recours à la grève en passant par la participation à d’autres formes d’action collective (manifestation, pétition…).

D’un autre côté, on trouve des dispositifs d’inspiration plus managériale, de management participatif. S’ils prennent des formes diversifiées (boîtes à idées, cercles de qualité, espace de discussion en ligne, journal d’entreprise…), ils présentent plusieurs points communs. D’abord ils sont impulsés et pilotés par les directions d’entreprise, ou du moins par l’encadrement intermédiaire, et les hiérarchies internes de l’entreprise n’y sont que rarement remises en cause. Ensuite, ces dispositifs, plus ou moins formalisés, se construisent en dehors du cadre formel de la représentation du personnel, voire sont conçus et présentés par certains de leurs promoteurs comme des moyens d’atrophier cette dernière, comme avec le référendum d’entreprise. Enfin, l’objectif premier affiché de ces dispositifs participatifs est d’améliorer les résultats de l’entreprise dans différents domaines, qu’il s’agisse d’augmenter la productivité des salariés en renforçant la cohésion de la main d’œuvre et « l’esprit d’équipe », d’améliorer la qualité des produits ou des services ou de renforcer la sécurité des salariés. À ces dispositifs managériaux s’ajoute d’ailleurs, dans ce second ensemble de pratiques, la participation financière des salariés à l’entreprise par l’intermédiaire de l’actionnariat salarié, qui concerne, en France, près de la moitié des salariés, mais qui est souvent symbolique hormis dans le secteur de l’économie sociale et solidaire. Sa fonction est en effet « d’associer le capital et le travail à des fins de performance économique » (Chapas et Hollandts, 2017) et non de faire participer les salariés dans les relations de travail.

Pour autant, il s’agit là d’ensembles idéaux-typiques : certaines formes de participation relevant de la représentation collective peuvent être instrumentalisées par la direction alors que certains dispositifs managériaux peuvent être réinvestis par les syndicats à des fins démocratiques. De plus, il apparaît hâtif d’opposer ces deux ensembles de pratiques. Différentes enquêtes montrent en effet que ce sont dans les entreprises où la représentation et l’action collective sont les plus développées que les dispositifs managériaux de participation sont les plus répandus, et inversement (Amossé et Wolff, 2008).

Si les recherches académiques qui traitent d’une façon ou d’une autre de la participation dans l’entreprise relèvent de disciplines très différentes (sociologie, sciences de gestion, science politique, économie…) et adoptent des angles d’approche très variés, nous retenons ici trois questionnements transversaux faisant le lien avec les études sur la participation hors de l’entreprise.

Participation ou « pseudo-participation » ?

Un premier questionnement est celui de l’effectivité de la participation en entreprise. Sur le plan démocratique, il s’agit de se demander si cette participation n’est pas finalement en grande partie de la « pseudo-participation », telle que définie par Carole Pateman, c’est-à-dire relevant d’une instrumentalisation de la participation de la part des directions d’entreprises qui ne visent pas à instaurer une situation dans laquelle la participation prend place mais à créer un sentiment de participation (Pateman, 1970 : 69). L’intérêt d’un tel questionnement est de dépasser une conception normative de la participation dans l’entreprise en rediscutant le cadrage aujourd’hui dominant de cette notion irriguée à la fois par une culture managériale et par une « référence à la démocratie libérale, où la participation demeure pensée à la fois sur un mode délégataire et à partir d’individus saisis de façon isolée » (Béroud, 2013 : 22). Rappelons à ce titre que la participation dans l’entreprise telle qu’elle était pensée par les mouvements socialistes au XIXe siècle était, au contraire, non seulement délibérative, mais passait par l’organisation autonome ou l’autogouvernement des ouvriers (Hayat, 2011).

Pour ne prendre qu’un exemple d’application concrète de ce questionnement, les récents travaux consacrés à la participation des salariés dans les conseils d’administration d’entreprise montrent que cette forme de participation ne concerne qu’un faible nombre d’entreprises et, en leur sein, d’individus et surtout qu’elle est perçue par les individus concernés comme un moyen d’être informés ou consultés et non comme un moyen de véritablement prendre part aux décisions (Conchon, 2013).

Quelles inégalités de participation dans l’entreprise ?

Un second questionnement transversal concerne l’existence d’inégalités face à la participation en entreprise : tous les salariés disposent-ils des mêmes possibilités de participer dans l’entreprise et, lorsque la participation est possible, se saisissent-ils tous de manière égale des dispositifs participatifs existants ? L’intérêt d’un tel questionnement est de ne pas se limiter à une analyse des dispositifs (tels qu’ils devraient être ou tels qu’ils sont), mais de s’intéresser aux publics, ici les salariés, et à leurs appropriations (ou non) des différentes formes de participation. En France, la littérature scientifique a pu s’appuyer sur différentes enquêtes statistiques, et notamment sur les enquêtes REPONSE (Relations professionnelles et négociations d’entreprise) et SRCV (Statistiques sur les ressources et conditions de vie). L’analyse de ces enquêtes montre d’abord que la majorité des salariés ne participe que très peu en entreprise et se contente, au mieux, de voter pour élire des représentants du personnel. Elle montre ensuite que se conjuguent deux mécanismes d’exclusion de la participation en entreprise : une « exclusion de fait », définie comme le fait de ne pas pouvoir participer faute de dispositif participatif, principalement dépendante des caractéristiques de l’entreprise (taille, secteur d’activité, structure de l’actionnariat…), et une « auto-exclusion », définie comme le fait de ne pas participer alors que des possibilités existent, dépendante principalement des caractéristiques sociales et professionnelles des salariés sexe, âge, position professionnelle, précarité de l’emploi…) (Blavier, Haute et Penissat, 2020).

Ce dernier mécanisme fait écho aux travaux portant sur la participation politique mais aussi associative qui, depuis l’ouvrage pionnier de Daniel Gaxie (1978), réaffirment régulièrement l’existence d’un « cens caché » qui exclurait certains groupes sociaux de la participation, à commencer par les classes populaires. Néanmoins, preuve de la spécificité de la participation en entreprise, certains groupes sociaux fortement mobilisés dans le champ politique ou encore dans le monde associatif, comme les cadres du secteur privé, semblent en retrait de la participation à la représentation et à l’action collective en entreprise, privilégiant des canaux de participation plus informels, plus individuels ou davantage d’inspiration managériale (Blavier, Haute et Penissat, 2020).

En effet, les enquêtes utilisées ont pour inconvénient de se limiter aux pratiques de participation en entreprise les plus formalisées et relevant de la représentation et de l’action collective. Dès lors, les pratiques participatives d’inspiration plus managériale ont été moins étudiées, tant elles sont plus difficilement quantifiables, à l’exception de l’actionnariat salarié (Floquet et al., 2014).

L’intérêt de ces deux premiers questionnements dépasse le cadre académique. En effet, à l’heure où, en France, plusieurs réformes ont transformé les dispositifs formels de participation des salariés en entreprise (fusion des instances représentatives du personnel au sein du Comité social et économique, extension des possibilités de référendums d’entreprise, création de scrutins professionnels ad hoc pour les salariés des très petites entreprises ou pour les travailleurs des plateformes…), beaucoup d’acteurs extra-académiques sont demandeurs d’une analyse de l’effectivité démocratique des changements institutionnels et de l’appropriation des nouveaux dispositifs par les salariés.

De la participation dans l’entreprise à la participation hors de l’entreprise : quelles relations ?

Un troisième questionnement est l’existence de liens entre la participation dans l’entreprise et la participation hors de l’entreprise, qu’elle soit politique ou associative. En 1970, Carole Pateman suggérait que la participation sur le lieu de travail, quelle que soit sa forme, renforcerait la confiance en eux-mêmes des salariés, leur sentiment de compétence politique et leur intérêt plus large pour les questions politiques, ce qui aboutirait à la formation de citoyens plus compétents et plus participants. Si le caractère univoque et causale de cette hypothèse dite du « spillover » participatif se doit d’être nuancé, une importante littérature internationale a mis en évidence l’existence de liens entre d’une part l’adhésion syndicale et d’autre part la participation électorale, associative, manifestante ou pétitionnaire, même si ces liens s’affaibliraient aujourd’hui au fil des générations (Turner, Ryan et O’Sullivan, 2020). En France, l’exploitation des enquêtes SRCV fait apparaître que c’est moins l’adhésion ou la présence syndicale en soi que les pratiques collectives qu’elles encouragent, du vote professionnel au recours à la grève, qui vont de pair avec une mobilisation électorale plus importante lors des scrutins politiques (Haute, 2022).

Pour autant, l’usage d’enquêtes internationales ou nationales très standardisées et faisant peu dialoguer participation dans l’entreprise et hors de l’entreprise contraint souvent les chercheurs à réduire la participation dans l’entreprise à une poignée de pratiques, voire à la seule adhésion syndicale, alors même que celle-ci correspond à des réalités très variables selon le système national de relations professionnelles (Allal et Yon, 2020 : 25-26). Les pratiques d’inspiration plus managériale sont là encore souvent négligées, alors que de nombreux travaux font état d’un lien entre participation politique et autonomie au travail (Lopes, Lagoa et Calapez, 2013).

Encore peu développé en France, ce questionnement apparaît toutefois doublement stimulant. Sur le plan académique, il s’agit de décloisonner les différents sous-champs disciplinaires analysant la participation en faisant dialoguer des travaux portant sur des formes de participation très différentes. Mais, au-delà du seul monde académique, il s’agit de proposer une explication originale des transformations de la participation des citoyens en insistant sur ce qui se joue et sur ce qui ne se joue plus au travail. À ce titre, les premières analyses réalisées en France montrent que c’est la plus faible participation des salariés précaires à la vie démocratique de l’entreprise et du collectif de travail, souvent rendue impossible ou plus difficile par leur statut, qui explique en grande partie leur retrait des urnes lors des scrutins politiques (Haute, 2022).

Bibliographie

Allal, Amin, et Karel Yon. 2020. « Citoyennetés industrielles, (in)soumissions ouvrières et formes du lien syndical : pour une sociologie politique des relations de travail ». Critique internationale 87 (2) : 15-32.

Amossé, Thomas, et Loup Wolff. 2008. « Chronicle of a Death Foretold: Have HRM Practices Finally Replaced Worker Representatives ? A Micro-Statistical Comparison between Great Britain and France ». Document de travail du Centre d'Études de l'Emploi 105.

Béroud, Sophie. 2013. « Perspectives critiques sur la participation dans le monde du travail : éléments de repérage et de discussion ». Participations 5 (1) : 5-32.

Blavier, Pierre, Haute, Tristan, et Étienne Penissat. 2020. « Du vote professionnel à la grève : les inégalités de participation en entreprise ». Revue française de science politique 70 (3-4) : 443-467.

Chapas, Benjamin, et Xavier Hollandts. 2017. « La participation dans le monde du travail : une perspective d'autogouvernement ». Gérer et comprendre 129 (3) : 59-68.

Conchon, Aline. 2013. « La participation aux décisions stratégiques de l'entreprise : influence ou pouvoir des administrateurs salariés ? ». Participations 5 (1) : 127-149.

Floquet, Mathieu, Guéry, Loris, Guillot-Soulez, Chloé, Laroche, Patrice, et Anne Stevenot. 2014. « Les pratiques d'épargne salariale et leurs déterminants ». Revue de gestion des ressources humaines 92 (2) : 3-20.

Gaxie, Daniel. 1978. Le cens caché : inégalités culturelles et ségrégation politique. Paris : Seuil.

Haute, Tristan. 2022. « Le travail, ultime lieu de fabrique de la politique (et de l'abstention) ? », The Conversation, (accès le 30 mars 2022).

Hayat, Samuel. 2011. « Démocratie participative et impératif délibératif : enjeux d'une confrontation ». Dans La démocratie participative. Histoire et généalogie. Sous la direction de Marie-Hélène Bacqué et Yves Sintomer, 102-112. Paris : La Découverte.

Lopes, Helena, Lagoa, Sergio, et Teresa Calapez. 2013. « Declining autonomy at work in the EU and its effects on civic behavior ». Economic and Industrial Democracy 35 (2): 341-366.

Pateman, Carole. 1970. Participation and Democratic Theory. Cambridge : Cambridge University Press.

Turner, Thomas, Ryan, Lorraine, et Michelle O'Sullivan. 2020. « Does union membership matter ? Political participation, attachment to democracy and generational change ». European Journal of Industrial Relations 26 : 279-295.

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