Définition de l'entrée

Consultation électorale par laquelle l'ensemble des citoyens d'un territoire donné est appelé à voter pour ou contre une proposition qui leur est faite. L'initiative et les usages de ce mécanisme de participation à la décision sont très variés en fonction des contextes politiques et juridiques. Les possibilités françaises d’initiative populaire sont singulièrement restreintes.

Pour citer cet article :

Paoletti, M. (2013). Référendum. In I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, & D. Salles (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/referendum-2013

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Le référendum est souvent associé à la démocratie directe, dans les théories démocratiques comme dans le sens commun. Pourtant, la démocratie directe recouvre bien d’autres institutions et mécanismes permettant d’articuler de manière continue la délibération et la décision. Sans doute vaut-il mieux voir plus précisément le référendum comme un instrument de démocratie semi-directe qui ponctuellement permet aux citoyens d’approuver ou rejeter l’objet d’une politique, le plus souvent à l’initiative des seules autorités politiques majoritaires, le cadre représentatif étant alors peu perturbé (Premat, 2008). Strictement, en droit constitutionnel, le référendum désigne les votations décisionnelles des électeurs sur les compétences des différentes collectivités publiques, en distinguant l’initiative, majoritaire (à l’initiative des autorités politiques) ou minoritaire (à l’initiative de la population).

Le mot « référendum » donne pourtant lieu à un usage extensif alors que le recours au vote pour cristalliser une position (et tenter de la rendre contraignante) se banalise ; dans des groupes et mouvements afin de grandir une revendication (par exemple avec un « référendum pour la Poste »), dans les entreprises à l’initiative de la direction, parfois dans le cadre d’un rapport conflictuel entre employés et employeurs ou à l’initiative de syndicats ou de salariés pour protester, notamment contre des plans sociaux (Gourgues et Sainty, 2011), dans les partis politiques, pour produire, à partir des débats internes, de l’unité et une position commune et supposée contraignante (référendum sur le traité établissant une constitution pour l’Europe en 2004 au sein du parti socialiste et des verts, référendum sur la rénovation du parti le 1er décembre 2009 au parti socialiste), voire même des appels au vote lors de processus consultatifs locaux en cours de discussion. Les votes non électifs dans les partis politiques, les entreprises, les groupements citoyens, comme mode de mobilisation ou modalité de prise de décision, semblent se multiplier. Sans doute faut-il voir dans ce comptage des voix et cette agrégation des préférences dont le résultat est rendu public, même s’il s’agit parfois plus d’énoncer une opinion que de prendre une décision, l’évidence tenace du principe majoritaire en démocratie.

Quelle que soit la vitalité des usages libres du recours au vote non électif, c’est bien au référendum comme instrument de participation aux décisions prises par les collectivités publiques, locales et nationales, que nous nous intéresserons ici. En tant que décision de majorité, il fait peu de doute que c’est la seule procédure qui associe participation et décision (Favre, 1976). Il ne s’agit pas seulement de discuter, délibérer mais bien de prendre une décision. Toutefois, dans son rapport au gouvernement représentatif, l’instrument a un sens bien différent selon que l’initiative en revient au seules autorités élues qui maîtrisent alors la question posée et le moment où selon que les citoyens sont susceptibles de perturber l’agenda gouvernemental par l’initiative d’un référendum, qui peut dans certains pays comme l’Italie être abrogatif.

Dès lors, l’examen du droit est incontournable tant il encadre les usages possibles (en en autorisant certains et en en interdisant d’autres). La méfiance envers toute initiative populaire est spécifique au droit français (peut-être plus encore au plan local qu’au plan national) alors même que les lois françaises sur le référendum, à l’instar d’autres démocraties européennes, se sont multipliées au cours des dernières années. À cette méfiance des parlementaires français à l’égard de cet instrument de démocratie semi-directe, fait écho la suspicion dans laquelle le tient la plupart des théoriciens de la démocratie délibérative et même participative. Pourquoi une telle indignité, alors même qu’un auteur aussi déterminant que Condorcet a cru tôt que le processus de mise en œuvre du référendum du bas vers le haut permettait de concilier système représentatif et démocratie directe, délibération et grand nombre, dans le cadre d’un grand État (Mercier, 2003) ?

Méfiance des théoriciens de la démocratie : la délibération contre le référendum ?

Avec les référendums, la loi mathématique de majorité l’emporte et non la force du meilleur argument (Pasquino, 2007). Dès lors, la décision prise n’a aucune raison particulière d’être la meilleure, et moins encore de prendre acte d’un consensus raisonnable. Les campagnes référendaires auraient tendance à radicaliser les positions et à favoriser la fermeture par rapport à autrui, surtout dans une conjoncture propice aux mobilisations d’insatisfaction, elles pourraient produire des décisions irrationnelles, discriminantes, peu soucieuses du bien commun, liées à l’adhésion immédiate des électeurs à leurs préférences et intérêts. La grande question, non résolue, adressée aux procédures de démocratie directe, est celle de l’irresponsabilité du peuple souverain. Devant qui sont responsables les votants d’un référendum ? L’éthique de la responsabilité serait l’apanage des élites alors que les groupes incarneraient l’éthique de conviction. L’inquiétude qu’un groupe minoritaire se serve de cette institution pour imposer de manière démagogique des décisions peu rationnelles et/ou discriminantes est une constante des débats sur les référendums d’initiative populaire, dans les débats savants et politiques. Conférer au peuple la possibilité de déclencher puis de terminer un processus décisionnel peut sembler excessivement perturbateur pour la démocratie représentative d’autant plus que selon l’hypothèse sartorienne les campagnes référendaires après une initiative populaire seraient condamnées à subir une déviation minoritaire sous l’influence des groupes de pression particulièrement actifs. L’incompatibilité du référendum avec la délibération semble aussi reposer sur l’incapacité qui serait celle de cette procédure à produire de l’unité là où la délibération aurait pour idéal l’unanimité des points de vue qu’est susceptible de générer l’échange persuasif.

Producteurs d’une majorité et d’une minorité visibles, d’une décision pas toujours raisonnable, au terme d’une agrégation des préférences supposées immédiates et fermées aux arguments, les référendums seraient contraires au rêve délibératif d’unanimité, d’échange persuasif et de décision « améliorée ». C’est donc sans surprise que des théoriciens de la délibération ignorent la procédure. Il est plus étonnant que les théoriciens de la démocratie occultent les usages possibles (et vertueux du point de vue participationniste) de la procédure. Plutôt que de risquer la participation sans la délibération, les participationnistes se rallient alors à la démocratie représentative (Morel, 2000).

Une indignité à reconsidérer

Il est particulièrement impossible s’agissant de la procédure référendaire de déterminer a priori ses qualités potentielles, indépendamment des exemples concrets et des contextes, toujours renouvelés, dans lesquels s’inscrivent les référendums. Le bilan des mérites et faiblesses du référendum est balancé. L’examen des initiatives en Suisse ou aux États-Unis, dans la période contemporaine, ou il y a près d’un siècle, signale la grande variété des situations et des initiatives. La démocratie directe a parfois été un moyen de conquérir des droits ou libertés. Comme le souligne Paula Cossart, « il ne faut pas sous-estimer l’impact bénéfique de la démocratie directe en matière de progrès sociaux pendant cette période (1880-1940 aux États-Unis), au motif que son usage n’a pas été aussi pur que ne l’espéraient ces promoteurs » (Cossart, 2011) . Les initiatives suisses signalent la grande variabilité de leur objet et des résultats : questions politiques, questions de société sensibles, questions techniques, questions relevant de problèmes quotidiens (Voutat, 2005). Peu aboutissent à un vote et toutes ne se déroulent pas dans un contexte émotionnel chargé. Les référendums d’initiatives populaires ne révèlent pas systématiquement un peuple pétri de division, ignorant, peureux de l’autre et de l’avenir, même s’il y a des exemples d’initiative ayant pour but une discrimination à l’égard d’une partie de la population. Toutefois, le droit, national et international, protège aujourd’hui les droits fondamentaux des citoyens, le risque d’atteinte aux droits des minorités étant aujourd’hui quasi nul (Fatin-Rouge Stefanini, 2003). S’il y a bien des usages possibles des référendums sollicitant une agrégation immédiate des préférences, une autre face de ces votations souligne l’importance dans le processus référendaire des corps intermédiaires, groupements ou partis politiques, susceptibles d’enclencher une modification de ces préférences par la discussion d’arguments. Les référendums ont tendance à accroître le nombre d’acteurs engagés dans la discussion et la décision, à créer des publics sur des sujets diversifiés, à faire émerger des problèmes publics, à dé-spécialiser le champ politique. Ian Budge considère que couplés avec les institutions de la démocratie représentative (Parlement mais surtout partis politiques), les référendums constituent bien une réponse au déficit de responsiveness et de représentation qui caractériserait aujourd’hui la démocratie représentative (Morel, 2000). Les initiatives populaires, notamment en Suisse, font intervenir des acteurs multiples : grands groupes d’intérêt, partis politique, petites formations politiques, mouvements sociaux, cartel d’organisations. Christophe Premat montre ainsi combien en Allemagne, au niveau local, les possibilités institutionnelles de l’initiative populaire, lentement et minutieusement réglées, permettent une meilleure coordination des représentants politiques et des citoyens à travers les groupes mobilisés par l’initiative : des préoccupations nouvelles émergent, liées à l’environnement et à la qualité de la vie, le débat public s’enrichit et s’élargit (au risque d’induire une perturbation du « temps des élus » et un risque de discontinuité de l’action publique). Sans doute, les initiants constituent-ils une minorité active, mais une minorité cherchant à devenir majoritaire (ou moins minoritaire) à travers un travail militant qui est un travail d’argumentation et de persuasion.

Au total, l’initiative populaire aboutit à nettement élargir le champ politique spécialisé, à la fois par les acteurs impliqués et les thèmes qu’ils portent. Même s’il y a vote, on ne peut les considérer comme des procédures vides de qualités délibératives. Pourtant, les préventions à l’égard de la procédure sont telles que les moments de codification au Parlement sont toujours l’occasion d’encadrer étroitement ses usages possibles, accentuant la dissymétrie entre gouvernants et gouvernés, les gouvernés étant maintenus dans une position infériorisée (si ce n’est infantile) par rapport aux gouvernants.

Méfiance des parlementaires ; une procédure encadrée par le droit

Le développement de la pratique du référendum dans le mouvement actuel en faveur de la participation va de pair avec une institutionnalisation de la procédure partout en Europe, en particulier s’agissant de l’échelle locale. Le cas français se signale par un encadrement juridique de la procédure, en particulier dans les cas, assez virtuels, où ce sont des citoyens qui en auraient l’initiative, tant au plan local qu’au plan national.

Au plan local, on ne compte pas moins d’une réforme constitutionnelle et de quatre lois pour organiser le référendum, consultatif et décisionnel, aux différents échelons territoriaux depuis la loi du 6 février 1992, une certaine frénésie législative caractérisant cette procédure peu utilisée. Si les représentants des collectivités territoriales peuvent désormais décider de recourir à un référendum descendant sur les affaires de leurs compétences ou à une consultation, les électeurs ne peuvent quant à eux que suggérer à leurs représentants l’organisation d’une simple consultation locale. L’ « initiative populaire » locale à la française est singulièrement restreinte. Une initiative populaire locale réussie aboutit souvent ailleurs à imposer un vote, sur une décision à venir ou passée dans le cas du vote abrogatif, là où les électeurs français, ne peuvent que « demander » (et non obtenir) « à ce que soit inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante de la collectivité l’organisation d’une consultation sur toute affaire relevant de la décision de cette assemblée ». Ils doivent être 10 % des électeurs inscrits dans les départements et régions, 20 % dans les communes. Les représentants politiques peuvent quant à eux choisir de conférer une portée décisionnelle ou consultative au vote qu’ils organisent entre deux élections, les deux portées étant prévues par la sédimentation successive de lois. Le fait que 50 % de participation électorale soient requis pour que la portée décisionnelle du référendum local soit valide signale combien le référendum local paraît aux parlementaires contraire à l’intérêt général dont ils entendent rester les seuls garants. En outre, pour de ne perturber la continuité du mandat représentatif, la législation française n’organise pas de réaction possible aux décisions locales déjà prises. Au total, le référendum local français tel qu’il est défini en droit ne vient pas perturber outre mesure le système représentatif local français dans lequel il s’insère particulièrement bien. Quelles que soient les difficultés de l’évaluation précise de la pratique, il ne fait pas de doute que le référendum est une pratique très minoritaire, surtout ramenée au nombre de collectivités locales.

Au niveau national, les parlementaires ont dans le cadre de la révision constitutionnelle de 2008 modifié (par voie d’amendement porté par des parlementaires de droite et de gauche) l’article 11 de la Constitution pour introduire ce qui a été présenté (à mauvais escient) comme un référendum d’initiative populaire (et dont la loi organique permettant l’éventuelle mise en œuvre n’a toujours pas été adoptée à ce jour). Cette « initiative populaire » n’est pas spontanée ni à l’initiative du peuple (François, 2008). Il s’agit d’une initiative parlementaire réservée aux partis politiques susceptibles de rassembler 184 parlementaires (soit un cinquième des 920 députés et sénateurs). Le peuple n’est là que pour soutenir l’initiative parlementaire. Même demandé par 184 parlementaires et soutenu par 4,5 millions de citoyens, le référendum reste virtuel, puisqu’il suffit que la proposition de loi soit examinée par les deux assemblées pour qu’il ne soit pas organisé. Il semble qu’on soit assez loin des tentatives d’hybridation entre démocratie représentative et participation populaire expérimentée ici ou là, comme dans l’exemple souvent commenté de l’Assemblée citoyenne de Colombie britannique au Canada où un panel de citoyens tirés au sort a rédigé la nouvelle loi électorale soumise ensuite à référendum.

Pourtant, l’initiative populaire est susceptible de détacher le référendum de la critique plébiscitaire qui lui a été adressée s’agissant des premiers référendums de la Ve République, puisque alors la question de la confiance à l’égard de l’autorité politique initiatrice ne se pose pas (Dolez, Laurent, et al., 2003). Toutefois, lors des quatre derniers référendums (auto-détermination de la Nouvelle Calédonie / 6 novembre 1988, traité de Maastricht / 20 septembre 1992, réduction du mandat présidentiel à cinq ans / 24 Septembre 2000, traité établissant une constitution pour l’Europe / 29 mai 2005), le soin pris par le président de la République à démarquer sa personne de la consultation semble avoir permis de limiter les glissements d’enjeu, avec la création d’un débat référendaire très variable selon les référendums (Morel, 2010). D’autres critiques sont alors formulées à l’égard de cet instrument démocratique (Parodi, 2001) : soit le sujet n’est pas l’objet de controverse, la participation est faible, le résultat tranché (par exemple le scrutin du 24 septembre 2000 sur la réduction du mandat présidentiel de 7 à 5 ans avec près de 70 % d’abstention) soit il est mobilisateur et produit des divisions et clivages durables dans la population (par exemple le vote du 29 mai 2005 [Parodi, 2001]).

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Objet de critiques multiples et d’encadrement drastique, le référendum, surtout d’initiative populaire, est pourtant probablement la métonymie et l’hyperbole de l’idéal démocratique comme pouvoir au peuple (Bernard, 2009), justifiant de redécouvrir les patients ajustements que proposait Condorcet à son propos.

Bibliographie

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PARODI J-L., 2001, « Le triangle référendaire : le scrutin du 24 septembre 2000 est-il un référendum d’un type nouveau ? », Revue française de science politique, vol. 51, p. 219-232.

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VOUTAT B., 2005, « À propos de la démocratie directe. L’expérience helvétique », in BACQUÉ M-H., REY H., et al. (dirs), Gestion de proximité et démocratie participative. Une perspective comparative, Paris, La Découverte, p. 197-216.