Définition de l'entrée

Désigne des lois qui font du vote une obligation légale, ou qui rendent légalement obligatoire la « participation » à un scrutin en signant sur les listes d’émargement du bureau de vote.

Pour citer cet article :

Lever, A. (2013). Vote obligatoire. In I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, & D. Salles (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/vote-obligatoire-2013

Citer

Terminologie

Le vote obligatoire est étroitement lié aux débats portant sur la portée et la finalité du vote, ou sur ce qui est généralement désigné sous le nom de « participation électorale » (Lacroix, 2007 ; Lever, 2010). Néanmoins, l’expression « vote obligatoire » désigne des pratiques diverses, qu’il peut ainsi être utile de distinguer. La première acception, qui est aussi la plus générale, correspond simplement à des lois qui rendent obligatoire de voter à une élection, au lieu de laisser aux individus le choix d’exercer ou non leur droit de vote. Cependant, une autre acception renvoie à ce qui est parfois nommé « participation obligatoire », qui désigne le fait d’être tenu juridiquement de se présenter à un bureau de vote lors d’une élection et de signer la liste d’émargement. Ici, l’obligation légale revient à devoir signaler sa présence au bureau de vote, plutôt que de voter à proprement parler. Dans ces deux cas, diverses dérogations à cette obligation juridique de voter ou de venir émarger sont bien entendu prévues par la loi. En outre, la manière de faire respecter ces obligations diffère d’un pays à l’autre, voire en fonction des périodes au sein d’un même pays, l’État étant plus ou moins porté à appliquer rigoureusement les mesures prévues contre les citoyens et citoyennes qui ne s’acquittent pas de leurs devoirs juridiques, ou qui cherchent à y déroger, avec également des variations dans la sévérité des peines en cas de non-respect de ces derniers. Birch (2009) a ainsi réalisé une remarquable enquête portant sur ces différences, qui couvre la question du vote obligatoire dans le monde entier, sans se limiter à l’Europe de l’Ouest. Dans la pratique, il arrive que des pays disposant de lois rendant obligatoire le fait de voter ou d’émarger sur les listes ne prévoient que des sanctions légères à l’égard de ceux et celles qui ne s’en acquittent pas – par exemple des amendes symboliques – lesquelles ne sont parfois jamais suivies d’effet. À l’autre extrémité, les sanctions juridiques peuvent inclure des peines de prison de plusieurs mois, la perte du droit de vote pour une période déterminée, l’inéligibilité à certains postes dans la fonction publique, dont les postes d’enseignement au sein des établissements publics, ou l’inéligibilité à des services publics comme l’accès aux crèches. En résumé, différentes pratiques peuvent être désignées sous le nom de vote obligatoire, qui reflètent les diverses raisons pour lesquelles elles ont été instaurées, et les différentes justifications morales qui y en sont données.

Démocratie et vote obligatoire

Certaines démocraties, telles que l’Australie, la Belgique, le Luxembourg, Chypre et la Grèce, ont fait du vote une obligation légale, toutefois la démocratie n’implique pas nécessairement le vote obligatoire. En effet, la conformité de l’obligation de voter avec les principes démocratiques fait largement débat. Ce débat reflète en partie les incertitudes des études empiriques menées par des politologues quant aux effets du vote obligatoire sur la participation politique, sur les comportements électoraux, et sur ses retombées (Ballinger, 2006 ; Pilet, 2011; Selb et Lachat, 2009). Il reflète également les différences de positions philosophiques, de la part des spécialistes comme des non-spécialistes, en ce qui concerne les justifications morales du droit de vote démocratique, leurs implications en termes de devoirs civiques pour la population, aussi bien qu’à propos du rôle de l’État en tant que garant juridique du respect de la morale (Hill, 2002 et 2010 ; Lacroix, 2007 ; Lever, 2010 ; Lijphart, 1997 ; Wertheimer, 1975). Les politologues, en particulier, ont été sensibilisés et sensibilisées à ces débats, si cela n’avait pas déjà été le cas auparavant, par le discours inaugural d’Arend Lijphart devant l’American Political Science Association (APSA) qui a par la suite été publié dans la revue American Political Science Review. Cependant, les débats politiques autour du caractère souhaitable ou non du vote obligatoire ont également contribué à en faire un sujet d’intérêt public en Europe de l’Ouest depuis les années soixante-dix, avec des pays ayant renoncé à ce principe comme les Pays-Bas, là où d’autres se sont mis à l’envisager plus sérieusement, à l’instar du Royaume-Uni.

Les arguments de Lijphart en faveur du vote obligatoire

Selon Lijphart, les démocrates devraient être favorables au vote obligatoire, et l’instaurer s’il n’est pas encore en vigueur, afin de lutter contre les maux jumeaux que sont le recul de la participation électorale et la participation électorale inégale. Le premier correspond au fait que le taux de vote aux élections nationales n’a fait que reculer dans les démocraties bien établies au cours des dernières décennies, et a même chuté de manière abrupte dans certains cas. La participation électorale inégale renvoie à l’existence de différences considérables dans les taux de participation au sein des différents groupes sociaux, y compris à l’intérieur d’un même pays, principalement en fonction de l’âge et du niveau d’éducation, et donc, en conséquence, des revenus, de la richesse et du statut social. En outre, plus les taux de participation sont bas, affirme Lijphart, plus l’écart dans les degrés de participation entre les groupes sociaux se creuse. Par conséquent, il défend que par souci d’égalité, autant que pour des raisons d’équité, le vote obligatoire est nécessaire, étant donné que selon lui le vote ne peut pas être égalitaire s’il n’existe pas de plancher pour restreindre les différences de taux de participation. Dans la mesure où le vote obligatoire peut être compris comme l’instauration d’un plancher en deçà duquel la participation ne peut descendre, et qu’il s’agit d’une des meilleures solutions à la fois face au recul de la participation et à son caractère inégal, Lijphart estime que l’attachement à l’égalité démocratique est un argument en faveur du vote obligatoire.

Toujours selon Lijphart, en termes d’équité le vote obligatoire peut s’avérer démocratique, étant donné que les élections démocratiques sont un bien commun, dans le sens où tout le monde en tire bénéfice, que l’on y ait ou non contribué. Ainsi, de la même manière que des contraintes peuvent être nécessaires pour empêcher les comportements de « passager clandestin » (free-riding) vis-à-vis de l’offre de biens publics, dans ce cas, défend Lijphart, l’équité pourrait tendre à justifier une forme de coercition afin de faire en sorte que les personnes qui s’abstiennent cessent de tirer profit des efforts et de la bonne volonté de celles qui votent. Enfin, dans la mesure où le vote obligatoire peut désigner la participation obligatoire, plutôt qu’une obligation juridique de choisir entre les candidats qui se présentent, pour Lijphart cela ne constitue en aucun cas une menace pour les libertés fondamentales, notamment la liberté de conscience.

Bien que les arguments de Lijphart aient reçu un large écho (Keaney et Rogers, 2006), le caractère empirique et normatif des affirmations sur lesquelles ils s’appuient demeure controversé. En particulier, si dans les faits la population ne vote pas en raison d’une forme d’aliénation ou d’insatisfaction vis-à-vis de l’offre politique qui lui est proposée, davantage que par paresse ou par égoïsme, il n’est pas certain que le vote obligatoire puisse aboutir à autre chose qu’à traiter les symptômes du malaise démocratique contemporain, tout en interprétant de manière erronée les causes de ce dernier. Dans le détail, certains effets positifs que Lijphart attribue au vote obligatoire – tel qu’un intérêt accru des votants et votants pour la politique, la diminution des campagnes de dénigrement et des coûts entraînés par les élections – se sont avérés en grande partie purement théoriques, tandis que son hypothèse postulant qu’une participation faible et inégale portait préjudice aux partis sociaux-démocrates de manière disproportionnée n’a pas été corroborée par ce que l’on sait des habitudes de vote et des intentions de ceux et celles qui ont généralement tendance à s’abstenir (Ballinger, 2006 ; Selb et Lachat, 2009). Sur le plan normatif, on a reproché à son argumentation de ne pas prendre en compte les aspects stratégiques de l’éthique démocratique, mais aussi de confondre l’importance de pouvoir disposer du droit de vote et celle de l’exercer dans un cas ou un autre (Lever, 2010). Néanmoins, quel que soit le caractère persuasif ou non de sa démonstration en définitive, Lijphart a montré qu’il était possible de distinguer les arguments démocratiques des arguments autoritaires ou corporatistes en faveur du vote obligatoire, contribuant ainsi, à cet égard, à renouveler l’intérêt porté à l’éthique du vote, aux différentes subtilités et à la diversité des pratiques électorales démocratiques, ainsi qu’à leurs conséquences sur les comportements politiques, l’affiliation et la participation.

 

Version anglaise originale

Traduction par Pierre Girard.

Refers to laws that make voting a legal obligation or that make it legally obligatory to ‘turnout’ and to tick one’s name off an electoral roll

Terminology

Compulsory voting is intimately related to debates about the extent and purpose of voting or what is sometimes referred to as ‘electoral participation’. (Lacroix, 2007, Lever, 2010) However, a variety of different practices are referred to as ‘compulsory voting’, and it can be helpful to distinguish them.  The first and most important reference of the term simply refers to laws that make it obligatory to vote in an election, rather than leaving it up to individuals whether or not they will exercise their legal right to vote.  However, the term can also be used to refer to something called ‘compulsory turnout’, which refers to a legal obligation to present oneself at an electoral booth at election time, and to cross one’s name off the electoral role.  The legal requirement in this case, then, is to manifest one’s presence at the voting booth, rather than actually to vote.  In both cases, of course, some legal exemptions are allowed from the legal duty either to vote, or to ‘turn out’.  Moreover, in both cases enforcement of the legal duty varies across countries, and even in the same country at different times, concerning how actively the state pursues those who fail to fulfil their legal duty, or to seek a legal exemption from it, and in the severity of the legal penalties associated with the failure to comply. (Birch, 2009 is a magisterial survey of these differences, covering compulsory voting worldwide, and not just in Western Europe).  In effect, some countries which have laws that make voting or turnout compulsory may only have weak penalties for those who fail to comply – such as nominal fines – and these may be never enforced.  At the other end of the spectrum, legal penalties can include imprisonment for several months, the loss of the right to vote for a specified period, the removal of eligibility for jobs in the civil service, including jobs teaching in public schools, and ineligibility to receive public services such as childcare.  In short, a variety of different practices can be described as compulsory or mandatory voting, reflecting the different reasons for which the practice has been instituted, and the different moral justifications given for the practice.

Democracy and Compulsory Voting

Some democracies, such as Australia, Belgium, Luxembourg, Cyprus and Greece, make voting legally mandatory although there is no necessary connection between democracy and compulsory voting.  Indeed, there is considerable controversy over whether or not compulsory voting is consistent with democratic principles.  This debate partly reflects uncertainty amongst empirical political scientists about the effects of compulsory voting on political participation, on electoral behaviour, and outcomes, (Ballinger, 2006; Pilet, 2011; Selb and Lachat, 2009) but it also reflects contrasting philosophical positions, both professional and lay, over the moral justification of democratic voting rights, their implications for people’s civic duties, and for the role of the state in legally enforcing morality. (Hill, 2002 and 2010; Lacroix, 2007; Lever, 2010; Lijphart, 1997; Wertheimer, 1975)   Political scientists, in particular, have been introduced to these debates, in so far as they were not already aware of them, through Arend Lijphart’s inaugural Presidential address to the American Political Science Association (APSA), and its subsequent publication in the American Political Science Review.  However, political controversy itself over the desirability of compulsory voting has made it a subject of political interest in Western Europe since the 1970s, with countries such as the Netherlands, abandoning the practice, whereas others, like the United Kingdom, beginning to debate it more seriously.   

Lijphart’s arguments for compulsory voting

According to Lijphart, democrats should support compulsory voting, and institute it if they do not already have it, in order to combat the twin ills of declining electoral participation and unequal electoral participation.  The first refers to the fact that voting at national elections has been declining in established democracies over the past few decades and, in some cases, has dropped precipitously.  Unequal electoral participation refers to the fact that there are very considerable differences in voting rates amongst different social groups, even in the same country, based above all on age and education, and as a result, on income, wealth and social status.  Moreover, the lower voting rates, Lijphart contended, the greater the differences in the degree of voter participation amongst social groups.  Hence, he argued, considerations of equality, as well as of fairness, support compulsory voting, because voting cannot be equal, he believes, if there are no floors to constrain differences in voting rates.  Because compulsory voting can be understood as setting a floor beneath which participation cannot sink, and because it is one of the best remedies for both declining and unequal electoral participation, Lijphart believed that concerns for democratic equality support compulsory voting. 

Considerations of fairness, Lijphart also believed, show that compulsory voting can be democratic, because democratic elections are a public good, in that everyone gets to benefit from them, whether or not they contribute to them.  So, just as compulsion can be necessary to prevent free-riding in the provision of other public goods so here, Lijphart maintained, considerations of fairness could justify coercion in order to stop non-voters from exploiting the efforts and goodwill of voters.  Finally, because compulsory voting can refer to compulsory turnout, rather than a legal obligation actually to choose amongst political candidates, Lijphart claimed that voting need not threaten important liberties, such as freedom of conscience. 

Although Lijphart’s arguments have been very influential, (Keaney and Rogers, 2006), their empirical and normative claims are controversial.  Specifically, if people do not vote because they are alienated or dissatisfied with the political choices available to them, rather than because they are lazy or selfish, it is unclear that compulsory voting does more than address the symptoms of contemporary democratic malaise, while misrepresenting its causes.  More specifically, some of the beneficial effects which Lijphart attributed to compulsory voting – greater voter interest in politics, reduced negative campaigning and less expensive elections- have turned out to be largely speculative, whereas his assumption that low and unequal turnout harms social democratic parties disproportionately is not supported by what is known about the voting habits and intentions of those who do not usually vote. (Ballinger, 2006; Selb and Lachat, 2009)). Normatively, his arguments have been criticised for ignoring the strategic aspects of democratic ethics, and for confusing the importance of having a right to vote with the importance of actually exercising that right in any particular case. (Lever, 2010).  However, whether or not his arguments are ultimately persuasive, Lijphart showed that it is possible to distinguish democratic arguments for compulsory voting from authoritarian or corporatist arguments for it and, to that extent, renewed interest in the ethics of voting, and in the subtleties and varieties of democratic electoral practice, and their consequences for political behaviour, affiliation and participation.

Bibliographie

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