Définition de l'entrée

Dispositif permettant de participer à l’acte électoral par internet et ne nécessitant pas de se rendre physiquement dans un bureau de vote.

Pour citer cet article :

Neihouser, M. (2022). Vote en ligne. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/vote-en-ligne-2022

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Alors que de plus en plus de démarches économiques et administratives peuvent désormais s’effectuer par internet, le vote en ligne peine à se développer dans la plupart des pays. En Europe, seules l’Estonie et la Suisse l’ont par exemple adopté. Du point de vue de la participation, la possibilité de voter par internet contient pourtant beaucoup de promesses. Dès le début des années 2000 (Maigret et Monnoyer-Smith, 2002), des travaux se développent d’ailleurs en France afin de répertorier certaines expériences de vote en ligne ainsi que les critiques auxquelles elles font face. L’objectif est alors d’analyser dans quelle mesure ce nouveau type d’implications citoyennes propres à la démocratie électronique est susceptible de se développer.

À l’image du vote à distance ou du vote par correspondance, ce dispositif permet d’étendre en apparence les facilités de vote pour le citoyen : pas de déplacement nécessaire en bureau de vote, période de scrutin souvent étendue à plusieurs jours, etc. Du point de vue des pouvoirs publics, le vote par internet aurait aussi des avantages : automatisation du processus de dépouillement, allègement des coûts du scrutin notamment via l’entrée d’acteurs privés dans l’organisation du processus électoral, rajeunissement de l’image de l’État, etc. En effet, le vote en ligne est différent du vote électronique qui, s’il permet d’accélérer le processus de dépouillement, exige tout de même que les citoyens se rendent en bureau de vote pour accomplir leur devoir électoral sur des machines à voter. Ainsi, le vote en ligne pourrait favoriser la participation de publics éloignés des urnes, quelle qu’en soit la raison : les expatriés, les personnes en situation de handicap ou à mobilité réduite, ou encore les jeunes (Alvarez et al., 2009). Selon ses promoteurs, la démarche est simple à effectuer : en Estonie par exemple le vote en ligne comporte trois étapes : l’utilisateur ouvre d’abord le site Web de vote, muni de sa carte d’identité et de son premier code PIN pour s’identifier ; ensuite, après vérification de son identité, le système affiche la liste des candidats dans sa circonscription ; enfin, en cliquant sur le nom d’un candidat et en entrant son deuxième code PIN, l’électeur valide son vote.

Un moyen d’augmenter la participation ?

Les débats portant sur le vote en ligne contiennent en germe différents éléments normatifs. Si un des objectifs du vote en ligne avancé par certaines franges de la classe politique est d’augmenter le taux de participation, encore faut-il s’entendre sur le type de participation dont on parle : augmenter la participation électorale de la population dans son ensemble - au risque de laisser perdurer (voire se creuser) les inégalités de mobilisation en fonction des groupes de population -, ou favoriser la participation des groupes les plus éloignés de ce même vote (jeunes, classes populaires, etc.) afin d’égaliser la participation au sein des différents groupes (Gilardi, 2022) ? Deux visions de la démocratie s’opposent alors, l’une ayant pour objectif que la population votante reflète au maximum la population effective dans sa diversité ; l’autre se préoccupant peu, une fois le dispositif mis en place, de la manière dont les différents groupes s’en saisissent et des effets sur la participation et la représentativité de l’électorat. La plupart des études (Petitpas et al, 2021 ; Alvarez et Nagler, 2001) qui se sont saisies de la question du vote en ligne, reprenant la première de ces deux visions, s’interrogent sur les effets de la mise en place d’un tel dispositif.

Si l’on considère les effets sur l’ensemble de la population, trois éléments paraissent importants à souligner. D’abord, certains travaux portant sur le cas estonien semblent démontrer que les facteurs sociodémographiques deviennent de moins en moins prédictifs de l’utilisation du vote en ligne au fil du temps (Vassil et al., 2016). Ainsi, le dispositif se répand au fur et à mesure parmi les citoyens et son utilisation ne reste pas concentrée parmi des types particuliers d’électeurs (les jeunes ou les plus instruits en particulier). Ensuite, une fois que les électeurs ont voté en ligne, ils sont plus enclins à le refaire que lorsqu’ils votent de manière traditionnelle. En d’autres termes, le vote par internet crée une habitude à un taux plus élevé que le vote papier (Solvak et Vassil, 2018). Néanmoins - et c’est le troisième élément souligné ici - le vote par internet, s’il peut mobiliser des électeurs, a des effets globalement négligeables sur la participation globale (Vassil et Weber, 2011). En effet, la plupart des individus adoptant le vote en ligne participent indépendamment du vote par internet (Petitpas et al, 2021). Certes, la possibilité de voter par internet stimule la participation d’électeurs qui s’abstiennent habituellement, mais l’effet n’est pas assez important pour affecter de manière significative la participation générale. De plus, si le vote en ligne est aisément adopté par certaines populations, des compétences numériques sont nécessaires à cette adoption. Ainsi, au Canada où certaines municipalités ont éliminé la possibilité du vote papier, le profil des électeurs par internet est similaire dans les villes qui ont éliminé le vote papier et dans celles qui l’ont maintenu en option, ce qui suggère que les électeurs ayant un niveau de culture numérique plus faible s’abstiennent lorsque le vote n’est possible qu’en ligne (Goodman et al., 2018). Néanmoins, il semble que le vote par internet permette d’accroître, de manière relative (Goodman et Stokes, 2020), la participation de groupes bien particuliers ‒ et ce, au-delà des classes sociales supérieures qui sont les principales bénéficiaires des votes par correspondance ou par procuration, ou encore des personnes les plus connectées (Neihouser, 2022). C’est notamment le cas des hommes (par rapport aux femmes). Ce phénomène est d’ailleurs particulièrement prégnant parmi les individus les plus abstentionnistes. Enfin, il semble que la possibilité de voter en ligne dépende aussi de l’orientation politique des individus. Il a par exemple été démontré qu’en Estonie les partisans des partis de droite et les libéraux avaient plus tendance à utiliser le vote par internet (Musial-Karg et Kapsa, 2019).

Vers une nouvelle définition de la participation électorale ?

Outre le taux de participation, la sécurité est une préoccupation plus technique, mais très importante, concernant le vote par Internet. S’assurer que le vote par internet est sécurisé a été un défi. En 2019, une faille a par exemple été découverte dans le code source du système suisse de vote par Internet. Or, le problème n’a pu être détecté que parce que le gouvernement suisse avait mandaté la publication du code (Culnane et al., 2019), que certains États décident de garder secret (la Nouvelle-Galles du Sud, en Australie par exemple). La publicisation de tels codes est largement considérée comme une condition préalable à la confiance des citoyens dans les scrutins, en particulier lorsque les gouvernements sous-traitent leur développement à des entreprises privées (Park et al., 2021). En effet, sans cette publicisation, la transparence même du vote est incertaine, et la légitimité de l’expression électorale s’en trouve largement réduite. Derrière le vote en ligne, un deuxième enjeu se dessine donc, celui de la potentielle transformation de l’acte électoral et de sa signification. Au-delà des questions de légitimité et de transparence, c’est ainsi le sens du vote qui est interrogé par le transfert des scrutins en ligne. En France par exemple, la longue tradition républicaine a travaillé à dissocier l’acte électoral des autres activités sociales en mettant peu à peu en place le vote secret via différents outils : urne, isoloir, enveloppe, etc. L’objectif était d’abstraire l’électeur de son enracinement particulariste afin qu’il se dépouille de son appartenance sociale pour se fondre dans l’uniformité de l’appartenance citoyenne (Deloye, 2022). Ce phénomène a d’ailleurs abouti à une quasi-sacralisation du vote, les citoyens mettant eux-mêmes en scène leur appartenance à la République en se rendant dans les bureaux de vote. Or, tant le vote en ligne que le vote par correspondance, le vote délocalisé, ou le vote par anticipation, réduisent cette dimension rituelle, collective, et égalitariste de l’acte électoral. L’électeur en ligne ne s’extrait plus de son quotidien pour accomplir son devoir de citoyen ni des éventuelles pressions de son entourage. C’est alors la signification même de la participation électorale républicaine qui se retrouve mise en question. Dans ces conditions, on comprend que, d’un pays à l’autre, en fonction de l’histoire du vote, du modèle institutionnel (possibilité de voter par correspondance par exemple), ou encore des rapports que la population entretient avec les institutions ou même le numérique, il se peut que l’introduction du vote en ligne produise des effets très contrastés.

Enfin, en conclusion de cette entrée, deux derniers enjeux méritent d’être soulignés. D’abord, la digitalisation reste un outil technique qui ne doit pas cacher des problèmes structurels. Certes, la technologie du vote en ligne promet d’abaisser dans certains cas certaines barrières structurelles à la participation. Néanmoins, la question de la participation (ou de la non-participation) électorale est bien trop importante pour n’être appréhendée que via la seule introduction du vote numérique. La science politique a par exemple depuis longtemps démontré l’importance cruciale de l’intérêt pour la politique des citoyens en matière de participation électorale. Or, cet intérêt est largement déterminé par des variables socioéconomiques (niveau d’éducation, catégorie socioprofessionnelle, etc.) sur lesquelles le vote en ligne n’a aucun effet. Par ailleurs, la digitalisation du vote pose indirectement la question de l’éventuelle entrée de nouveaux acteurs privés dans l’organisation du processus électoral. Est-on prêt, en tant qu’État, à confier la réalisation d’un acte aussi structurant que l’acte électoral dans nos systèmes politiques, à des entreprises qui commercialiseraient des dispositifs permettant de faciliter le vote en ligne ? Certes, les acteurs privés sont très nombreux tout au long des processus de campagne électorale et soutiennent tant les candidats que les différents partis. Mais les inclure dans la gestion d’une des activités les plus essentielles de notre démocratie est une autre histoire.

Bibliographie

Alvarez, R. Michael, Hall, Thad E., Trechsel, Alexander H. 2009. « Internet voting in comparative perspective: The case of Estonia ». PS: Political Science and Politics 42(3): 497–505.

Culnane, Chris, Essex, Aleksander, Lewis, Sarah Jamie, et al. 2019. « Knights and knaves run elections: Internet voting and undetectable electoral frau». IEEE Security Privacy 17(4) : 62–70.

Deloye, Yves. 2022. « Le vote entre édification et naturalisation, ou les apports d’une approche sociohistorique ». Dans Extinction de vote ? Sous la direction de Tristan Haute et Vincent Tiberj, 13-21. Paris : PUF.

Gilardi, Fabrizio. 2022. Digital Technology, Politics, and Policy-Making. Cambridge : Cambridge University Press, 26-29.

Goodman, Nicole, McGregor, Michael, Couture, Jérôme et al. 2018. « Another digital divide? Evidence that elimination of paper voting could lead to digital disenfranchisement ». Policy & Internet 10(2) : 164–184.

Goodman, Nicole, Stokes, Leah, C. 2020. « Reducing the cost of voting: An evaluation of internet voting’s effect on turnout ». British Journal of Political Science 50(3) : 1155–1167.

Alvarez, R. Mickael, Nagler, Jonathan. 2001. “The likely consequences of internet voting for political representation”. Loyola of Los Angeles Law Review 34: 1115– 1153.

Maigret, Éric, Monnoyer-Smith, Laurence. 2002. « Le vote en ligne ». Réseaux 112-113(2-3) : 378-394.

Musial-Karg, Magdalena, Kapsa, Izabela. 2019. « Attitudes of Polish Voters towards Introduction of E-Voting in the Context of Political Factors ». International Conference on e-Democracy, Cham, Springer, 144-160.

Neihouser, Marie. 2022 « Le vote électronique, une réponse à l’abstention ? ». Dans Extinction de vote ? Sous la direction de Tristan Haute et Vincent Tiberj, 80-91. Paris : PUF.

Park, Sunoo, Specter, Michael, Narula, Neha et al. 2021. «Going from bad to worse: From internet voting to blockchain voting». Journal of Cybersecurity 7(1) : tyaa025.

Petitpas, Adrien, Jaquet, Julien, Sciarini, Pascal. 2021. «Does e-voting matter for turnout, and to whom? ». Electoral Studies 71 : 102245.

Solvak, Mihkel, Vassil, Kristjan. 2018. « Could internet voting halt declining elec- toral turnout? New evidence that e-voting is habit forming ». Policy & Internet 10(1) : 4–21.

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