Définition de l'entrée

Sens 1 : Démarche de fabrication ou d'aménagement d'espaces urbains donnant lieu à un partage de pouvoirs (d'expertise ou de décision), voire à des transferts de responsabilités vis-à-vis d'habitant.es spontanément mobilisé.es ou largement sollicité.es.

Sens 2 : Générique, désigne toute pratique de fabrication ou d'aménagement d'espaces urbains associant des habitant.es, quel que soit le niveau de cette implication.

Pour citer cet article :

Zetlaoui-Léger, J. (2022). Urbanisme participatif. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/urbanisme-participatif-2022

Citer

L’implication des habitant.es dans l’élaboration de documents réglementaires d’urbanisme ou la réalisation de projets d’aménagement, met en jeu différentes situations qu’il convient à chaque fois de clarifier pour apprécier la portée de l’expression utilisée. Les démarches entreprises peuvent concerner la définition de principes d’aménagement (en termes de processus et de contenu) ou les décisions qui leur sont relatives. Elles résultent d’initiatives habitantes (bottom up) ou sont le fait d’autorités juridiquement compétentes (top down). Elles sous-tendent divers dispositifs d’inclusion des populations, soit larges et ouverts, basés sur des candidatures spontanées ou un tirage au sort, ou plus fermés avec une désignation de « représentants » par l’organisation en charge de l’action. Les moments où les habitant.es interviennent dans le processus de projet sont également à considérer pour qualifier les pratiques : tardifs, en réaction à des solutions produites par d’autres, ou en amont, dans une dynamique de co-élaboration de celles-ci.

En fonction des modalités que prendront ces facteurs, on pourra trouver derrière l’expression « urbanisme participatif » des démarches s’apparentant à de l’information ou de la communication, à de la consultation, de la concertation, de la coproduction, de la codécision voire de l’autopromotion ou de l’autogestion. Le principe d’un urbanisme participatif a donné lieu depuis les années 60 à une diversité de théories et de pratiques ayant fait émerger des concepts ou des notions liés aux contextes culturels, politiques, juridiques dans lesquels elles se sont développées. Ces approches se sont structurées dans le cadre général de réflexions sur la démocratisation de l’action publique, avec toutefois des aspects qui leur sont propres et reflètent une évolution de la pensée sur la transformation des espaces habités.

Urbanisme et participation : deux pratiques antinomiques ?

Que ce soit dans son sens générique évoquant le fait d’être associé à une action, ou dans son sens fort de partage voire de délégation d’un pouvoir de d’expertise ou de décision, la participation des habitant.es à l’aménagement de leur cadre de vie n’est pas allée de soi dans l’histoire urbaine de ces deux derniers siècles. Urbanisme et participation peuvent même sembler deux pratiques antinomiques si l’on considère la façon dont s’est constitué un champ scientifique et technique autour de l’aménagement des villes. En effet, on peut dire que les premières réflexions et expériences visant à maîtriser la croissance des villes dans les pays industrialisés au cours du XIXe siècle et donnant naissance au terme « urbanisme », ont été l’expression de modalités dominantes d’exercice du pouvoir, politique, économique et technique, fondées sur des postures scientistes et autoritaires. En France, la planification territoriale et urbaine qui s’organise pendant la première révolution industrielle est marquée par deux phénomènes aux logiques pouvant paraitre contradictoires ; l’essor d’une économie de type capitaliste et la constitution d’un État-nation républicain s’appuyant sur la création et le déploiement de services publics.  Envisagée de façon centralisée et hiérarchique tout en faisant appel aux collectivités locales et au secteur privé, l’aménagement urbain est placé sous la responsabilité du corps émergeant des ingénieurs qui vient alors concurrencer celui des architectes. Les premiers agissent au nom du politique et plus encore de l’intérêt général dont leur appartenance à un grand corps de l’État et leur permanence dans les administrations centrales ou déconcentrées, leur donneront au cours des XIX et XXe s., le sentiment d’être dépositaires. Les seconds dont la profession s’est aussi structurée en forte dépendance avec l’État depuis le XVIIe s., malgré leur statut libéral, se positionnent d’abord comme les garants de la dimension esthétique de l’espace bâti. Dans ce système productif, seule la procédure d’expropriation, outil majeur de l’urbanisme, permet à l’habitant.e concerné.e de s’exprimer, sur un mode consultatif via l’enquête publique instituée en 1833.

Les autorités publiques orchestrent la production urbaine à travers le pouvoir d’édicter des réglementations et des normes censées permettre de planifier et de réaliser rapidement et à coûts maîtrisés, des opérations de construction à vaste échelle. Elles fixent les conditions d’usage du sol et aident l’État central à déterminer les modalités de contractualisation avec les organismes prenant en charge la réalisation des équipements collectifs ou des opérations de logements. La norme porte la double croyance dans la toute puissance de la pensée scientifique et technique, et dans le bien fondé de l’exercice de l’intérêt général par des représentants de l’État selon une idéologie directement inspirée de l’esprit Lumières et du positivisme. Elle se diffuse à partir du XIXe s. dans l’urbanisme à travers l’activité de programmation qui vise à exprimer une demande sociale interprétée et transformée en commande par un maître d’ouvrage.

De l’habitant figure abstraite aux premières conceptions participatives de l’urbanisme

Exclu du système d’élaboration des normes constructives qu’il subit, et plus généralement des processus d’aménagement du cadre bâti, l’habitant s’est trouvé disqualifié de tout jugement qu’il aurait pu porter sur ces démarches ou sur leurs résultats, au nom d’un savoir scientifique et technique qu’il ne maîtriserait pas et d’une culture du « goût » et du « beau » qui serait l’apanage des architectes et à laquelle il serait étranger. Il apparaît seulement comme le destinataire de ce système productif et non comme un acteur dans les doctrines ou théories qui vont guider bon nombre de politiques urbaines au cours du XXe s. et en premier lieu, dans le fonctionnalisme. Promu par le courant rationaliste du Mouvement Moderne à travers notamment les écrits de Le Corbusier et la Charte d’Athènes, le fonctionnalisme tend à faire des individus des êtres biologiques interchangeables et aux besoins élémentaires facilement prévisibles (Pinson, 2000). Considéré comme incapable de porter un avis pertinent sur des questions d’architecture ou d’urbanisme, l’habitant ordinaire – dont la dimension politique comme citoyen est ici très effacée – se trouve contraint d’accepter le cadre de vie qui lui est proposé avec bienveillance, et à apprendre à y habiter…

L’intrusion de l’habitant dans le processus de production urbaine, paraît sans objet dans une appréhension rationaliste et progressiste de cette activité, basée sur le respect et la confiance inconditionnelle envers ceux qui font autorité, à savoir les détenteurs du pouvoir politique et les experts qui les accompagnent, les ingénieurs et les architectes. Toutefois les dimensions sociales et économiques des phénomènes d’urbanisation préoccupent dès la fin du XIX e s. un certain nombre de pionniers de l’urbanisme et les conduisent à plaider pour une plus étroite prise en considération des populations, d’abord à travers l’organisation d’enquêtes préalables à toute planification. La création du Musée social en France au début du XXe s. illustre cette position dont l’une des figures les plus marquantes fut le biologiste et presbytérien écossais, Patrick Geddes. Connu pour avoir proposé des méthodes d’investigation pluridisciplinaires et rigoureuses visant à saisir le développement des villes dans sa globalité et sa continuité, ce dernier est aujourd’hui également considéré comme le père d’une conception participative de l’urbanisme (Le Maire, 2010). Geddes ne plaide pas pour une disparition des politiques et des spécialistes mais pour des dispositifs de « coopération » dans lesquels les citoyens peuvent intervenir après s’être formés par eux-mêmes librement. Il remet ainsi en question la figure de l’architecte-urbaniste démiurge et de façon générale, une approche hiérarchique du rapport à la construction du savoir et à l’action. Tout comme Ebenezer Howard, l’inspirateur du modèle des cités-jardins à la même période, il est influencé par deux intellectuels du mouvement anarchiste, auxquels se réfèreront les promoteurs du mouvement anglo-saxon du Community planning à partir des années 1970 ; Peter Propoktin et Élisée Reclus. Ces derniers soutenaient d’une part que les habitants devaient se prendre en charge pour planifier leur propre ville « from the bottom up », et d’autre part que les « communautés », fonctionnaient mieux lorsqu’elles vivaient en harmonie avec leur environnement.

La participation comme action de résistance

Si le principe des études historiques, sociales et démographiques voire le souci d’associer les habitants aux décisions qui concernent leur cadre de vie, ont connu un certain succès au début du XXe s. et ont donné lieu à des expérimentations à travers le monde, la pensée fonctionnaliste et sa mise en œuvre technocratique se sont imposées à partir des années 30 dans bon nombre de pays, aux Etats-Unis et en Europe après guerre. En France, le fonctionnalisme qui s’exprime notamment par le zonage et à travers la « normalisation des besoins », sert alors de base idéologique à une redéfinition des procédures et des outils d’aménagement après une phase de Reconstruction mal maîtrisée. À partir de la fin des années 50, cette logique de production dans laquelle s’allient les représentants de l’appareil d’État, les promoteurs et les architectes, tend à nier les spécificités locales, l’histoire des lieux et les différentes formes d’appropriation de l’espace selon les groupes sociaux et les individus. Elle commence à ce titre à être dénoncée par une sociologie urbaine critique qui se structure autour des figures de Paul-Henry Chombart de Lauwe et d’Henri Lefebvre. Des mouvements contestataires d’habitants qualifiés par les sociologues marxistes de « luttes urbaines » font leur apparition à la fin des années 60 à travers le monde (Castells, 1973). Celles-ci furent en réalité de différentes natures. Les plus vives d’entre elles en Europe et en Amérique du Nord ont concerné des opérations de rénovation brutale qui affectent alors un grand nombre de quartiers anciens et populaires des grandes villes, avec des programmes de démolitions massives s’accompagnant de procédures d’expulsions et de « déportation » vers les périphéries. C’est dans ce contexte que s’organisent à l’initiative d’architectes et d’étudiants aux États-Unis et au Canada, des démarches d’assistance bénévole assurées par des étudiant.es et des enseignant.es en architecture auprès d’habitant.es des quartiers pauvres. Ces interventions prennent le nom d’advocacy planning et se diffusent en Europe, en Grande-Bretagne, Italie et Belgique notamment (Ragon, 1977). Elles préfigurent des démarches de Collaborative planning (Forester, 1999 ; Haley 1997) dont certaines comme le Community planning vont se développer sous une forme plus institutionnalisée à partir des années 90, pour viser à la construction d’une vision partagée entre habitant.es, aménageurs professionnels, acteurs politiques et économiques, de l’avenir de leur quartier ou de leur ville (Hauptmann et Wates, 2010).

D’autres types de mouvements qualifiés en France de « luttes pour l’amélioration du cadre de vie » apparaissent au milieu des années 60 dans des quartiers récemment construits en périphérie d’agglomération. Partiellement achevés, mal desservis, ces espaces urbains se caractérisent par des déficits en services et espaces collectifs pénalisant selon leurs résidents, l’organisation d’une véritable vie sociale. Ces mobilisations pour l’amélioration du cadre de vie émergent par ailleurs dans des Villes Nouvelles au début des années 70, avec néanmoins une connotation plus expérimentale que contestataire ; elles sont le fait d’habitants à la recherche de nouveaux modes d’habiter, souhaitant contribuer à la conception et à gestion de leurs lieux de vie, jusqu’à s’engager pour certains dans des expériences d’habitat participatif.

C’est également le cas en Allemagne où les luttes urbaines ont surtout été le fait de groupes « alternatifs ». Portés par des convictions sociales et parfois aussi environnementales, ils entreprennent des actions de résistance dont certaines vont devenir emblématiques comme à Berlin par exemple, dans le quartier de Kreuzberg où la réhabilitation à caractère écologique de l’îlot 103 marquera la fin d’une politique de rénovation brutale. Une nouvelle façon d’envisager la production architecturale et urbaine nait de ces expériences dès les années 80. À Berlin, elles conduisent à l’adoption de principes environnementaux ambitieux dans les règles constructives, suscitent des partenariats entre habitants et administrations locales qui vont être à l’origine du développement de l’habitat dit « coopératif » et des premiers quartiers durables en Allemagne (Lefèvre, 2008).

Ces différents mouvements spontanés et auto-organisés marquent dans les milieux scientifiques, professionnels et militants, le début d’une réflexion structurée sur la citoyenneté urbaine et sur la place des habitant.es dans les domaines de l’aménagement et la construction, qui n’aura toutefois pas la même constance et la même productivité selon les pays (Bacqué et Gauthier, 2011). Pour beaucoup d’observateurs, le principe de participation à l’aménagement du cadre de vie restera associé à ce type d’initiatives dites « ascendantes » (« bottom up »), jusqu’à être fortement critiques voire rejeter ses formes plus institutionnalisées qui ne s’apparenteraient pas un véritable partage voire à une délégation de pouvoirs vis-à-vis des habitants. Dans une échelle qu’elle construit à la fin des années 60 pour rendre compte des différents niveaux possibles d’implication des citoyens dans les politiques sociales et urbaines aux Etats-Unis, la sociologue Sherry Arnstein dénonce ainsi comme des tentatives de « manipulation », d’approche « thérapeutique » de la participation, ou de formes de « coopérations symboliques », les dispositifs mis en place par les municipalités pour accéder à des crédits fédéraux.

Se rallient également à cette critique politique d’un urbanisme technocratique, des chercheurs-praticiens qui travaillent depuis le début des années 60 sur les théories de la conception. Constatant les limites des approches, soit trop intuitives soit trop rationalistes de cette activité, ils s’orientent vers des démarches basées sur l’expression de valeurs au sein d’une organisation sociale à partir de processus délibératifs. On retrouve chez ces différents protagonistes du collaborative planning ou design (Alexander et alii, 1975 ; Sanoff, 1978) l’influence de la philosophie pragmatique anglo-saxonne à travers le souci porté à l’enquête, à la vérification par l’action se conjuguant à celui d’une démocratie résultant d’expériences communautaires partagées.

Injonctions à la « Concertation», « Coconstruction », … : une fuite en avant sémantique

Réticents à utiliser le terme de participation dans son sens fort de partage de responsabilités avec les habitants, les pouvoirs publics privilégient en France, à partir du milieu des années 70, celui de « concertation », et l’imposent au fil de l’évolution des injonctions réglementaires. Cette notion qui n’a pas de traduction littérale en Anglais, correspondrait au degré « placation » de l’échelle d’Arnstein sans revêtir un statut aussi fort que celui qu’il occupe en France. Promue au cours des années 50 dans le cadre d’une planification économique « à la française », la concertation consacre alors des modalités d’échanges entre des représentants de l’État et des « forces vives » de la nation (agents économiques). Elle vise à définir des objectifs de croissance par secteurs d’activités qui se déclinent ensuite dans des politiques d’aménagement du territoire. Elle est invoquée en urbanisme à travers des procédures telles que les Plans de Modernisation et d’Équipement puis les Zones d’Aménagement Concertées instaurées par la Loi d’Orientation Foncière de 1967, sans pour autant que les habitants y soient associés.

L’usage de cette notion se modifie à partir de la seconde moitié des années 70 alors que l’État se met à légiférer pour face à de nouveaux enjeux : se prémunir des conflits environnementaux qui se multiplient autour des grandes opérations d’infrastructures, faire face à la montée des phénomènes d’exclusion sociale et à la « crise des banlieues », accompagner la décentralisation des compétences, endiguer les sentiments de défiance vis-à-vis de la sphère politique… L’obligation de « concertation » décrétée s’adresse à présent à la société civile. Le terme est ainsi préféré à celui de « participation » car il n’engage pas une forme de partage de pouvoirs. Dans la tradition administrative française, concerter signifie pour l’autorité compétente, choisir le profil de ses interlocuteurs, organiser les modalités de l’échange et garder la maîtrise de la décision.

Bien que la concertation désigne étymologiquement et initialement un débat argumenté, ce n’est plus le cas lorsqu’il s’agit d’y convier des habitant.es. L’article L 300.2 du code de l’urbanisme de 1985 assimile même le terme à de l’information. Ainsi, tandis que les maîtres d’ouvrage publics n’hésitent plus à mettre en avant le caractère « concerté » de leurs opérations eu égard aux obligations légales qui leur sont faites - lois pour l’Aménagement et le Développement Durable du Territoire (dite Voynet, 1999), Solidarité et Renouvellement Urbain (2000) et Démocratie de Proximité (Vaillant, 2002), - les démarches effectivement mises en œuvre dépassent rarement le stade consultatif. Si de nombreux outils d’échanges sont inventés et déployés, prolifération à laquelle contribue le développement des technologies numériques à partir du début des années 2000, si les arènes de débats se multiplient, du point de vue du degré d’implication des habitant.es dans la définition des actions et des décisions, les expériences demeurent limitées.

Les dispositifs participatifs mis en oeuvre obéissent essentiellement à des logiques « communicationnelles » ou « réactives ». Le fait que l’étape du diagnostic soit régulièrement négligée et que le travail de programmation soit appréhendé selon des modalités essentiellement technico-financières, ne favorise pas non plus leur implication. La crainte du conflit, la peur de se présenter devant des habitant.es sans être assurés de la faisabilité d’un projet, ou sans avoir de solutions à proposer, nourrissent les réticences des maîtres d’ouvrage et de leurs assistants. Les modalités de conduite et d’élaboration des projets d’aménagement contribuent aussi à expliquer ces craintes. Habitués à consigner des besoins et à formuler des prescriptions, beaucoup de techniciens redoutent de se trouver confrontés à des listes de demandes impossibles satisfaire, et préfèrent rencontrer les habitant.es avec des éléments de projets déjà bien avancés. Enfin, le degré d’inclusion recherchée est rarement important. S’ils disent regretter le peu d’intérêt de certaines catégories de population pour l’urbanisme et expliquer ainsi par une sorte de fatalisme la faible diversité des groupes constitués, les maîtres d’ouvrage paraissent souvent se contenter d’avoir pour interlocuteurs les représentants des associations les plus concernées – les plus institutionnalisées - ou les plus bruyantes, dans l’espoir de mieux les contrôler (Gardesse, 2013). Ainsi, les populations les plus jeunes, les individus issus des couches sociales défavorisées ou de l’immigration récente, les actifs, restent peu représentés dans ces groupes.

Ce phénomène a été particulièrement marquant lors du premier programme de l’Agence Nationale Rénovation Urbaine (2003-2013) où la « concertation » envisagée dans son règlement général ne concerne que la « gestion urbaine de proximité ». Les choix de démolition et de restructuration urbaine n’ont ainsi pas été débattus avec les populations concernées (Deboulet, Lelévrier, 2014). Prenant acte des fortes attentes des habitant.es des quartiers populaires à être davantage actrices et acteurs des transformations urbaines qui les concernent (Bacqué, Mechemache, 2013), et du dévoiement de la notion de concertation au fil des années, les parlementaires se rallient au terme de « coconstruction » lors de la rédaction de la loi sur la Cohésion urbaine et la Ville de février 2014. Ils ne manquent pas à cette occasion de manifester une véritable méfiance vis-à-vis de toute démarche pouvant générer des contre-pouvoirs ou s’apparenter à la reconnaissance de dynamiques communautaires. Ainsi, la notion de « coconstruction » qui accompagne le lancement du Nouveau Programme de Renouvellement Urbain, est elle essentiellement assimilée à de nouveaux dispositifs institutionnels - les « conseils citoyens » et les « maisons du projet » - limitant les perspectives de repenser plus structurellement la manière de définir et de mettre en oeuvre les politiques locales de renouvellement urbain. Dans ces circonstances, le recours au tirage au sort préconisé pour désigner les membres des conseils citoyens, ne parvient pas à fidéliser les personnes les plus éloignées des formes institutionnelles de participation, les objectifs et l’impact de ces dispositifs sur les opérations menées demeurant flous et réduits (Demoulin et Bacqué 2020).

Entre transition écologique et logiques néolibérales

L’institutionnalisation de la concertation  citoyenne dans le domaine de l’aménagement de l’espace n’a pas procédé d’une volonté de changement dans la manière d’appréhender la place de l’habitant.e-citoyen.ne dans l’élaboration des actions qui concernent son cadre de vie. Elle a d’abord constitué en France une réponse à la perception d’un ensemble de risques pour la démocratie représentative et la cohésion nationale. Elle reflète la prégnance d’un modèle de double délégation des pouvoirs aussi bien politiques que techniques, hérité de la fin du XVIII e s., qui caractérise également d’autres secteurs de l’action publique. Elle repose toutefois sur des aspects qui lui sont propres et sont liés à la structuration des champs de l’architecture et de l’urbanisme. Nombre d’élus-maîtres d’ouvrage envisagent la participation comme une perte d’autorité, un aveu de faiblesse ou un risque de contestation de leur légitimité. Du point de vue des techniciens, le principe d’une coproduction des projets basé sur une reconnaissance des savoirs habitants se heurte régulièrement à des codes culturels professionnels basés sur une approche élitiste et rationaliste de l’exercice des compétences (Gardesse, 2013). La formation des habitants au langage ou aux procédures de l’urbanisme est invoquée de façon récurrente comme une condition nécessaire - mais aussi souvent impossible à satisfaire - à leur participation. Le monde de l’architecture dont est issue une grande partie des praticien.nes de l’urbanisme, met en jeu des savoirs et savoir-faire, des valeurs par rapport auxquels se sont construits des formes de légitimité qui ont eu tendance à placer l’habitant.e à distance des démarches de projet et de leur évaluation. La possibilité d’intervenir et de porter un jugement dans le champ de l’architecture relève d’un système de la « critique » qui se caractérise par le fait que l’avis du « grand public » ou des « usagers », n’entre pas en jeu dans la définition de ce qui fait la qualité d’un édifice telle que reconnue par les pairs à travers des palmarès, des prix et des revues qui consacrent des réalisations et des auteurs comme uniques créateurs (Biau, 2020).

La manière d’envisager la place des habitants dans la transformation urbaine tient également aux règles de l’ingénierie et des codes des marchés publics qui ont en France une dimension extrêmement prégnante. Elles se traduisent par exemple, par une importante division technique du travail entre les acteurs et actrices de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre, et par à une approche séquentielle des processus opérationnels fragmentant les temps et les lieux où le projet se fabrique. Elles instaurent par ailleurs des modalités de concurrence entre les professionnels du cadre bâti qui complexifient l’organisation d’espaces délibératifs mêlant spécialistes et citoyens ordinaires.

L’évolution annoncée au cours des années 90, d’un urbanisme « planifié et hiérarchique », vers un urbanisme dit « de projet » basé sur la décentralisation des décisions et sur des démarches plus collectives, n’a pas pour autant conféré aux habitants le statut de « parties prenantes ». Le concept de « gouvernance urbaine » également plébiscité à cette période correspond principalement à des formes de pilotage et de négociations associant représentants politiques et institutionnels, investisseurs, promoteurs… Malgré le développement de méthodes et d’outils participatifs accompagnant un processus de professionnalisation (Nonjon et Bonaccorsi, 2012), leur faible incidence sur le contenu des documents d’urbanisme et les aspects fondamentaux des opérations, donne le sentiment aux participants qu’il n’est en définitive rien attendu d’eux, ce qui entraîne leur démobilisation (Ville Ouverte, 2018). Plus fondamentalement, les espaces et les temps de débats qui impliquent des habitants et ceux où les projets se définissent et se décident, demeurent sans articulation explicite ; management du projet et management de la « concertation » s’organisent de façon indépendante (Dimeglio et Zetlaoui-Léger, 2007).

La montée en puissance des enjeux environnementaux au début des années 2000, modifie cependant progressivement l’attitude des acteurs traditionnels de l’aménagement vis-à-vis de la participation habitante (Gauthier, Gariépy et Trépanier dir., 2008). Ceux-ci adoptent des postures plus pragmatiques au risque pour certains de concourir à sa dépolitisation. Le développement durable, en ce qu’il met en jeu une vision globale, holistique des problèmes en jeu à un niveau local (Berke, 2002) renouvelle les attentes associées à la participation et parfois, la façon d’envisager l’organisation des projets. En souscrivant à l’Agenda 21 à l’issue du sommet de Rio de 1992, puis en ratifiant la Convention d’Aarhus en 2002, la France reconnaît le droit des citoyen.nes à être informé.es et à participer à l’élaboration des décisions qui concernent leur cadre de vie. Elle intègre ce principe en 2008 en préambule de la Constitution puis le décline dans les programmes nationaux en faveur de la « Ville durable » à partir de 2009, à la suite du Grenelle de l’Environnement. Les objectifs associés aux projets urbains durables en termes d’évolution des modes d’habiter encouragent à un renouvellement des conditions du « changement » et de son pilotage par des dynamiques plus collectives. Les formes de rationalités, technico-économique et gestionnaire qui guidaient les pratiques de l’aménagement et de la construction sont requestionnées. Les maîtrises d’ouvrage urbaines sont incitées à proposer des démarches de projet plus partenariales, intersectorielles, mais aussi plus « inclusives » voire « émancipatrices ». Les premières opérations d’écoquartiers se sont trouvées au cœur de cette problématique. La moitié de collectivités locales qui se sont engagées dans ces expériences dès la fin des années 2000 affirment avoir impliqué les habitants plus que d’habitude dans leurs opérations (Zetlaoui-Léger, Fenker et Gardesse, 2015). Certes, les démarches entreprises se sont encore le plus souvent apparentés à des modes consultatifs et se sont accompagnées d’une rhétorique de la « pédagogie » et de « l’acceptabilité sociale » (Boissonade dir. 2015). Mais près d’un quart des opérations a fait l’objet de processus de coproduction parfois initiés par des groupes d’habitants. Des collectivités ont revu leur ingénierie de projet et se sont mises à organiser des « démarches intégrées » en faisant interagir tout au long d’un processus de programmation-conception-réalisation-évaluation, et de façon itérative, acteurs politiques et économiques, praticiens et habitants. Ces derniers sont ainsi devenus des « parties prenantes » d’un système d’acteurs faisant l’objet d’un management global au service du projet.

En reformulant la question du rapport aux biens écologiques en tant que « biens communs », c’est-à-dire engageant les individus les uns envers les autres (Paquot, 2002) en articulant le court et le long terme, l’objectif de « durabilité » a favorisé des transferts de responsabilité dans la fabrication et la gestion des espaces urbains. Le soutien accordé par nombre de collectivités à des initiatives de jardins partagés ou « d’habitat participatif », puis l’intégration de ce type de programmes dans leurs stratégies de planification urbaine et dans leurs opérations, en ont été les premières illustrations. Des dynamiques « ascendantes » et « descendantes » se sont davantage hybridées. Mais ces expériences ont aussi confirmé que « l’urbanisme participatif » restait largement dépendant en France d’une forte volonté politique locale.

Ces nouvelles attentions vis-à-vis des démarches citoyennes sont cependant traversées par de nombreuses contradictions : le souci de « l’existant » qui s’exprime dans le cadre de la transition écologique est contesté par d’autres logiques encourageant les pratiques disruptives et le « courtermisme » (Lorrain 2013) qui tendent à s’en affranchir. D’un côté, le principe de « concertation » et même de « coconstruction » a été étendu aux projets de renouvellement urbain, l’habitat participatif fait l’objet d’un cadre réglementaire plus incitatif, les maîtres d’ouvrage doivent davantage expliquer leurs décisions au regard des observations du public… De l’autre, l’ambition de « construire plus, mieux et moins cher » a justifié la promulgation d’un ensemble de textes réglementaires qui, en visant la simplification administrative et la diminution des délais, fragilisent la mise en oeuvre des démarches délibératives et participatives : promotion de démarches limitant les études préalables, transferts de maîtrises d’ouvrage de la part des collectivités vers des opérateurs privés, extension du recours à la dématérialisation des enquêtes publiques… Au cours des années 2010, l’apparition de nouvelles procédures ou dispositifs (Appels à Manifestation d’Intérêt, Appels à Projets Urbains Innovants, urbanisme transitoire…) a pu donner le sentiment que les initiatives habitantes prenaient un rôle central dans les pratiques de l’urbanisme. Or la capacité des collectivités à piloter de telles démarches s’est plutôt affaiblie sous les effets des crises financières et des politiques néolibérales pesant sur leurs ressources et leur administration (Pinson, 2020). De ce fait, les enjeux de rentabilité et de profit tendent à reprendre le dessus et à marginaliser les expérimentations participatives qui nécessitent une révision des procès et des objectifs traditionnellement visés. Les effets de leviers potentiellement recherchés s’en trouvent d’autant plus limités. La participation citoyenne par la révision des ingénieries qu’elle suppose et la capacité d’adaptation qu’elle engage, paraît encore trop génératrice d’incertitudes pour nombre d’acteurs publics ou privés. Cette situation est d’autant plus paradoxale que l’incertitude est le propre de l’innovation, enjeu par ailleurs plébiscité par les opérateurs de l’urbain.

Bibliographie

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