Transparence
Qualité et/ou capacité pour un pouvoir politique ou une organisation de rendre accessibles au plus grand nombre ses décisions, à la fois dans leur contenu et dans leur processus de fabrication.
Michel, H. (2022). Transparence. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/transparence-2022
Opposée au secret et à l’arbitraire, la transparence recouvre plusieurs objectifs souvent mêlés : la communication, c’est-à-dire la capacité à transmettre des informations et à s’expliquer sur la prise de décision ; la publicité, au sens où il s’agit de se donner à voir et de s’exposer au contrôle du public ; la proximité, pour que les citoyens ne soient pas tenus à distance mais impliqués dans les processus décisionnels à travers la participation (Michel, 2015).
Une notion historique
La transparence est souvent associée à la philosophie des Lumières et ses représentants comme Jeremy Bentham, Jean-Jacques Rousseau, Emmanuel Kant, ou encore Benjamin Constant (Baume, 2013). Il est vrai qu’elle a été promue en même temps que les critiques à l’égard de l’Ancien Régime : la publicité des débats, la responsabilité politique devant le tribunal de l’opinion et la mise en place d’une administration de type légal-rationnel, fondée sur l’égalité de traitement et le respect de règles et procédures devaient se substituer aux secrets de l’Etat absolutiste, à l’opacité et à l’arbitraire des décisions. Toutefois, cette thèse qui fait des Lumières l’origine et le premier moteur d’un mouvement pour la transparence est parfois jugée simpliste (Senellart, 2003). Surtout, cette opposition entre transparence et secret n’est pas figée. Elle évolue parallèlement aux transformations de l’Etat et du périmètre de ses secrets (Dewerpe, 1994). Ainsi, en France, le projet de transparence libérale des années 1750-1900, incluant l’Etat de droit, de presse libre, d’élections libres, est loin d’être aboutie. Même au début du XXè siècle, le secret d’Etat reste la norme. Ce n’est que dans les années 1970 que la transparence est à nouveau brandie pour critiquer l’Etat, considéré comme trop fermé, trop distant et surplombant une société ayant les moyens de se faire entendre et de se saisir collectivement de son devenir. Sont alors prônées l’ouverture et la proximité en plus des enjeux de stabilité et de lisibilité des règles de droit. Mais la question de la transparence ne se limite pas aux enjeux d’organisation et de légitimité du pouvoir, elle concerne aussi le personnel politique qui soit être intègre, désintéressé, et mû seulement par l’intérêt de la chose publique. Dès lors, la transparence n’est plus seulement une fin en soi mais devient un moyen de lutter contre différentes formes de corruption des acteurs politiques et ainsi s’assurer un standard de bon gouvernement (Hood et Heald, 2006). Plusieurs lois ont été prises en ce sens en France et dans d’autres pays, sur la « transparence de la vie publique » pour encadrer les pratiques politiques et ainsi, limiter les influences et les risques de corruption (RFAP, 2018).
Aujourd’hui, les enjeux de la transparence sont principalement contenus dans ceux de la publicité et de l’ouverture des gouvernements.
Transparence, publicité et ouverture
La transparence au sens de publicité consiste en effet tout d’abord à se doter de règles de fonctionnement claires auxquelles chacun peut se référer et ainsi s’assurer que les décisions aient été prises de manière régulière et conformément aux procédures. A cet égard, outre la publication officielle des lois et autres règles, s’élaborent et se multiplient des codes de bonne conduite qui précisent ce qu’il faut faire ou ne pas faire. Ces règles de déontologie sont publiées pour que chacun en ait connaissance et puissent s’y conformer. Mais n’étant pas juridiquement contraignantes, elles utilisent souvent la publicisation pour faire la preuve de leur respect ou, à défaut, pour inciter à s’y plier. Il ne s’agit alors plus seulement de se comporter de manière intègre et impartiale ainsi que cela est préconisé, mais de le montrer en publiant sa déclaration d’intérêts, son agenda détaillant ses rendez-vous ou encore la liste des cadeaux reçus. L’absence de publication sera interprétée comme une volonté de dissimuler des faits et des agissements qui, sans être illégaux, peuvent apparaître moralement répréhensibles. La transparence permet de substituer à la sanction le contrôle social et la pression des pairs (« shaming »).
Car la transparence consiste aussi à donner accès à des informations et à des documents qui ne relèvent plus du secret mais peuvent être partagés. Pour le pouvoir politique, il s’agit de ne pas se contenter de communiquer, via les services d’information et les porte-parole. Si cette parole se substitue au mutisme du pouvoir, elle n’empêche pas une certaine forme de dissimulation, même si elle permet d’établir un lien entre pouvoir et société (Yanniv-Olivier, 2000). Il s’agit alors de mettre à disposition des informations tout en acceptant que leur traitement échappe en partie au pouvoir. Cette mise en publicité est difficile et suit des chemins chaotiques selon les périodes et les configurations politiques. La publicité n’est pas totale, au sens où la communication de certains documents est soumise à des restrictions (comme pour les archives ou certains documents administratifs), voire totalement exclue en raison de secrets (diplomatiques, militaires, judiciaires…). C’est d’ailleurs pour l’augmenter que des journalistes d’investigation et autres défenseurs du « droit de savoir » ont contribué à la divulgation de documents. Parallèlement, les transformations technologiques ont facilité la mise en ligne d’informations et leur diffusion large, soit du fait de politiques de transparence et d’ouverture des données, soit à la suite de révélations de lanceurs d’alertes comme avec wikileaks. Ces documents divulgués permettent à la fois de prendre connaissance d’informations qui ne sont alors plus l’apanage de quelques-uns et de contrôler des décisions comme celle d’allocation des financements (Erkkilä, 2012), ou encore de choix législatifs ou technologiques.
Mais la transparence ne se limite pas à la publicité (Meijer, 2012). Dans le « gouvernement ouvert », l’ouverture des données s’accompagne de l’ouverture des lieux et des processus de décision aux citoyens et à ses associations. La mise à disposition des données permet aux citoyens de s’en saisir pour nourrir leur action politique, à condition toutefois de savoir y accéder et de sélectionner les informations pertinentes et de pouvoir les traiter. Des associations se sont constituées pour faire ce travail de traitement des données et faciliter ainsi l’accès des citoyens à ces informations, comme par exemple Regards citoyens ou Opensecret. Ces intermédiaires sont des aides importantes des politiques d’ouverture des données, même si leur action est sélective. En effet, ils ne mettent pas l’action sur toutes les données, choisissent les enjeux à mettre en avant pour alimenter leurs dénonciations et leurs revendications. L’accès aux informations est étroitement lié à l’accès aux arènes décisionnelles, ce qui permet aux citoyens non seulement d’en surveiller le processus mais aussi de peser sur les décisions. Dès lors, la transparence est reliée à la participation des citoyens ou des organisations dites de la société civile qui les représentent (Curtin, Mendes, 2011 ; Meijer, Curtin et Hillebrandt, 2012). Le risque de ces politiques de transparence est alors d’encourager le lobbying, même lorsque les dispositifs d’ouverture à la société civile (consultations publiques, dialogue civil, conférences citoyennes, concertation…) définissent les acteurs de la participation et encadrent les formes de leur participation.
Qu’elle assure la lisibilité des procédures, la publicité des données ou la participation au processus décisionnel, la transparence est érigée en vertu démocratique. La transparence permettrait ainsi de remédier aux différents maux dont souffrirait la démocratie (enrichissement indu des élus, financement occulte des partis politiques, abus de biens sociaux, trafic d’influence, lobbying, pots de vin, corruption et fraude fiscale…) et ainsi de recouvrer la confiance des citoyens.
Critiques de la transparence et de ses usages
Mais ce consensus apparent à l’égard de la transparence masque des réticences, voire des résistances, qui s’expriment de manière détournée, tant critiquer la transparence est devenu difficile face aux promesses de démocratie dont elle est porteuse.
Dès lors, plutôt que de critiquer la transparence, c’est le secret qui est valorisé. Certains secrets sont décrits comme utiles voire indispensables à la démocratie. Il en est du secret diplomatique comme du secret des délibérés censés garantir un espace de négociation et de décision à l’abri d’influences néfastes et préserver ainsi les intérêts des Etats, l’intégrité de ses magistrats et le traitement équitable des justiciables. Dans cette veine, certains lieux doivent rester réservés à quelques initiés, autorisés en vertu d’une profession, d’une expertise particulière ou d’un mandat électoral. Les citoyens n’auraient qu’à s’en remettre à ces intermédiaires qui, pour gagner leur confiance, devraient publier des informations sur leur identité, leurs actions et leur engagement. Or, certains invoquent, là encore, le secret de la vie privée et des données personnelles pour limiter la divulgation de ces informations. D’autres, plus pragmatiques, se contentent de fustiger le travail bureaucratique que ces publications de CV, d’agendas ou de déclarations d’intérêts nécessitent (Chevallier, 1988). Cette lutte entre transparence et secret est ancienne. Certes, la frontière entre les deux n’est pas immuable et elle s’est déplacée au gré des évolutions historiques, qu’elles soient institutionnelles, politiques ou sociales. Mais elle ne disparaît pas, au grand dam des associations qui ne cessent de militer pour toujours plus de transparence et ne semblent jamais satisfaits. Si Transparency International, StateWatch, Regard Citoyens, Anticor ou encore Corporate Europe Observatory pour l’Union européenne ont eu le mérite de faire bouger les lignes, elles peinent toutefois à faire reconnaître leur définition de l’intérêt public.
A ces critiques bien connues, s’en ajoute une autre, plus concrète, qui insiste sur les coûts en temps et en moyen humain de la transparence. Publier des informations et les mettre à jour, mettre à disposition des documents ou répondre aux demandes d’accès aux documents implique en effet des efforts de la part de l’administration. Dans le même temps, cet objectif de publicité suscite des questions sur d’une part l’intérêt de ces politiques d’ouverture des données et d’autre part sur leur public (Bannister et Connolly, 2011). Faut-il continuer à fournir des données à ceux qui s’en saisissent pour dénoncer les agissements de l’Etat et de son administration ? Pour les uns, il s’agit de fournir des moyens d’action à ceux qui peuvent agir ; pour les autres, ce serait contribuer à sa propre destruction. En effet, à quel public s’adresse la publication de ces données issues des politiques de transparence ? S’agit-il vraiment des citoyens ou d’observateurs missionnés par les bailleurs de fonds, des agences de notations voire des spéculateurs des marchés financiers ? Cette première série d’interrogations sur la finalité de la transparence en suscite une seconde sur les usages qui sont faits de ces données et de leur publicisation. Le doute s’installe quant aux effets de ces politiques de transparence. La publicité des déclarations d’intérêt ou celle des agendas des décideurs s’est-elle traduite par une amélioration de la confiance des citoyens à leur égard ? (Grimmelikhuijsen, 2012 ; RISA, 2012). Rien n’est moins sûr quand on observe les jeux sur les informations publiées ou encore les stratégies de communication des titulaires de charge publique. Parfois, au contraire, la mise en évidence de certaines activités laisse perplexe sur l’intégrité des élus, sur l’impartialité des décideurs ou encore sur leur volonté de défendre de l’intérêt général. Quant aux associations qui militent pour la transparence, elles n’ont pas toujours repris à leur compte les injonctions de transparence pour leurs financements et leurs règles de fonctionnement internes. Autant d’usages qui sont susceptibles de nuancer et minimiser les vertus de la transparence.
Enfin, une critique plus récente commence à se diffuser concernant les procédures mises en place pour encadrer les pratiques et garantir la légitimité des décisions. Cette critique considère que la transparence tend à diluer des enjeux de fond dans des aspects formels et procéduraux. A cet égard, l’enjeu est de définir ce qu’est une bonne décision. S’agit-il d’une décision qui a été prise par des décideurs qui ont consciencieusement publié leur déclaration d’intérêts et leurs rendez-vous avec les différents lobbyistes rencontrés ou une décision prise par une assemblée élue en vue d’améliorer le bien commun ? Faut-il valoriser des politiques qui ont donné lieu à des consultations publiques et des discussions ouvertes aux différentes « parties prenantes » (stakeholders), pour reprendre le terme utilisé par les institutions européennes, si leurs contributions ne sont pas prises en compte ? Bien sûr, l’objectif n’est pas de s’affranchir des procédures. Mais ces critiques alertent utilement sur le fait que la transparence doit rester un moyen d’avoir un processus décisionnel lisible et prévisible et qu’elle ne devienne pas une fin en soi. De même, la participation des citoyens ou des organisations les représentant ne saurait se résumer à un dispositif. La teneur des contributions, comme les modalités de leur prise en considération, sont à prendre en compte. Sinon, le processus risque d’être confisqué par quelques organisations ou individus qui seront les interlocuteurs réguliers, voire exclusifs, de l’administration et du pouvoir politique. C’est à ce prix que la transparence peut améliorer la légitimité des décisions prises.
Ce que cache la transparence
Gouvernements et institutions internationales (OCDE, Union européenne, Conseil de l’Europe, Banque Mondiale…) s’accordent avec les associations militantes (Transparency International, Regards citoyens…) pour faire de la transparence non seulement un objectif de bon gouvernement mais aussi le moyen d’atteindre cet objectif (Michel, 2018). Si tous érigent la transparence en norme démocratique, tous n’y voient pas les mêmes enjeux et, par conséquent, pas les mêmes mesures à prendre pour accroître la transparence. Les uns, promoteur d’une démocratie libérale, s’en tiennent à l’impératif de publicité qui garantit un fonctionnement régulier et permet d’encadrer des pratiques. D’autres, davantage intéressés par l’intégration des citoyens, prônent l’ouverture, où la participation, sinon des citoyens du moins de la société civile, est censée approfondir la démocratie. Mais les usages auxquels la transparence donne lieu sont de nature à nuancer les bénéfices de la transparence qui tend à mettre au second plan l’élection, la délibération et la décision collectives. L’élection se retrouve en effet marginalisée comme fondement de la légitimité politique, tant de ceux qui font de la politique que de ce qu’ils produisent. Désormais, l’important serait que le titulaire d’une charge publique accepte de se soumettre à cette transparence et publie les éléments qui montrent qu’il assume ses liens avec des représentants d’intérêt, son implication dans telle ou telle entreprise, ou encore une carrière entre différents postes publics et privés. L’élu, l’expert et le consultant sont placés sur le même plan, comme s’il n’y avait pas de différence dans leur contribution aux affaires publiques. De plus, la transparence tend à instaurer une forme de surveillance continue qui pourrait se substituer à la responsabilité politique et aux sanctions électorales. Dès lors, l’expression des citoyens s’en trouve réduite et ses possibilités d’intervention limitées à quelques dispositifs participatifs dont la légitimité continue de faire débat. Enfin, dans la rationalisation du processus décisionnel, la transparence ne fait plus de la discussion collective l’étape décisive mais renvoie à des justifications qui reposent sur des données et des indicateurs, certes publics et largement connus, mais dont la définition échappe souvent aux débats parlementaires et restreint énormément le champ des possibles.
Autant d’éléments qui méritent que l’on s’interroge sur les conditions de possibilité de la transparence et sur les objectifs poursuivis par sa mise en œuvre. A cet égard, si la transparence est un élément clé de la démocratie, elle ne saurait suffire à faire advenir la démocratie qui repose tout autant sur l’élection des représentants, la décision partagée et les choix collectifs.
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