RIC
Le référendum d’initiative citoyenne, connu sous l’acronyme RIC, fait référence à un ensemble de droits qui permettent à chaque citoyen·ne d’initier et ratifier des textes législatifs. Si sa proposition de loi remplit des conditions fixées – par exemple un certain nombre de signatures – un référendum se déclenche automatiquement pour déterminer si la proposition sera adoptée ou non.
Magni-Berton, R. (2022). RIC. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/ric-2022
Avec le référendum d’initiative citoyenne (RIC), chaque citoyen·ne peut être à l’origine d’une loi et fait partie du corps qui la ratifie ou non. Le RIC est donc une institution de démocratie directe dans la mesure où il permet aux citoyen·nes de légiférer directement, sans nécessiter le soutien de représentants à aucune étape du processus de décision. Il est aussi une institution qui renforce la citoyenneté, puisqu’elle dote chaque citoyen·ne de deux droits politiques supplémentaires : les droits d’initier et de ratifier les lois.
Des appellations différentes et une diffusion inégale selon les pays
Son appellation est variable selon les pays. En Suisse il est appelé « initiative populaire », aux Etats-Unis « initiative directe », en Uruguay « plébiscite et initiative populaire », en Italie et dans d’autres pays « référendum d’initiative populaire ». Ce terme était d’ailleurs l’appellation commune utilisée en France, avant que le mouvement des Gilets jaunes ne porte le RIC comme revendication prioritaire, en lui donnant, à l’occasion, le nom promu par le militant Yvan Bachaud et son association « Article 3 ».
Bien qu’inventé par Nicolas de Condorcet, qui avait contribué à l’introduire dans la constitution de l’an I, et malgré la publication en français en 1850 dans un hebdomadaire fouriériste, de l’influent manifeste « La législation directe par le peuple et ses adversaires » de Moritz Rittinghausen, le monde francophone est devenu étranger au RIC et à la démocratie directe en général. En dehors de la Suisse Romande, intégrée dans la démocratie la plus directe au monde, le RIC est absent des pays francophones et, lorsqu’il est présent (au Togo et au Burkina Faso), sa configuration législative le rend inutilisable. Des formes qui lui sont apparentées existent aussi au niveau local en France et en Belgique, mais restent marginales dans la vie politique de ces deux pays.
Le RIC est, en revanche, largement pratiqué ailleurs. Dans le monde germanophone, impulsé par la Suisse depuis le XIXème siècle, il est utilisé régulièrement au Liechtenstein, en Allemagne au niveau des Länder, mais aussi sous des formes plus consultatives, en Autriche. Dans le monde anglophone, 24 états des Etats-Unis l’utilisent fréquemment depuis plus de 100 ans, plusieurs petites îles telles que les Marshall ou les Palaos ainsi que, sous une forme consultative, la Nouvelle Zélande. Dans le monde hispanophone, le RIC est l’un des piliers de la vie politique en Uruguay, et s’est largement diffusé pendant les années 1990 à l’ensemble de l’Amérique latine sous des formes, toutefois, qui ne permettent pas aux citoyen·nes de l’utiliser facilement. Le petit monde italophone dispose aussi de cet outil, incluant l’Italie, Saint Marin et le Tessin. Dans les pays d’Europe centrale et orientale il a été presque partout introduit (réintroduit dans le cas de la Lettonie) après l’expérience communiste, même si sous des formes peu efficaces. Enfin, le RIC se développe également en Asie, à l’image des Philippines et surtout de Taiwan qui est amené à l’utiliser de plus en plus.
L’étonnante appropriation par le bas d’une revendication en faveur du RIC
En France, pour autant, cette revendication a été la priorité du mouvement des Gilets jaunes entre 2018 et 2019, dans le but de pouvoir réviser directement la constitution, abroger et produire des lois et révoquer des élus (dit alors : RIC CARL, constitutionnel, abrogatif, législatif et révocatoire). Bien qu’existant déjà dans quelques programmes politiques, son caractère de revendication prioritaire du mouvement n’a en rien été impulsée par des élites politiques ou intellectuelles. Les quelques rares universitaires qui ont relayé la revendication, et dont je fais partie, ont pris le train en route. D’un point de vue purement comptable cela s’illustre facilement. Le RIC est très populaire dans les enquêtes d’opinion, avec des niveaux de soutien toujours supérieurs à 70%. Ce soutien est particulièrement élevé parmi les perdants du système, des personnes à faibles revenus et diplômes, ne soutenant aucun parti politique ou des partis avec de très faibles chances de gagner. A l’inverse, il est bien moins populaire parmi les élites politiques, économiques et intellectuelles. Dans la mesure où le RIC permet à ceux qui n’ont pas de pouvoir d’en obtenir, cette différence de soutien entre les classes populaires et les classes supérieures n’est pas étonnante. Ce qui est étonnant, en revanche, est qu’un large mouvement populaire ait pu se coordonner sur cette revendication institutionnelle et relativement abstraite qui n’avait jamais fait l’objet d’un débat public national ni d’un débat parlementaire, même s’il apparaissait déjà dans les programmes de quelques candidats aux présidentielles et aux législatives. Cette popularité du RIC a poussé, en 2022, neuf candidats à l’élection présidentielle sur douze à en promettre une version plus ou moins faible et plus ou moins vague.
Le RIC constituant, pour une démocratie directe maximaliste
Dans sa version la plus forte, le RIC permet de réviser la constitution. Associé au référendum obligatoire en matière constitutionnelle, il peut transformer un régime représentatif en une démocratie directe, définie comme un régime politique dans lequel les décisions prises directement par les citoyen·nes ont la prééminence sur les décisions prises par leurs représentants. C’est le cas en Suisse. Les décisions politiques, dans cette configuration, se caractérisent par deux principes.
Le premier principe est que le parlement (et à fortiori le gouvernement) est une instance capable de proposer des lois, mais pas de les imposer. En Suisse, toute loi votée au parlement doit attendre trois mois avant d’entrer en vigueur. Pendant ce laps de temps, si 1% de la population soutient une pétition pour contester cette loi, il y aura une votation. En ce sens, les citoyen·nes ont un droit de veto sur toutes les lois et, quand une loi est ratifiée sans qu’il y ait de référendum, on peut supposer qu’elle a reçu l’assentiment tacite de toutes les minorités qui constituent au moins 1% des électeurs. Il s’agit là du « référendum facultatif », appelé en France « RIC suspensif » ou « RIC veto ». Lorsque, en revanche, la proposition du parlement touche à la constitution, le référendum devient obligatoire. Le référendum obligatoire n’est pas à proprement parler un RIC, puisqu’il se déclenche automatiquement sans une initiative citoyenne. Mais il est souvent associé au RIC dans le sens où il peut être vu comme un RIC suspensif avec un seuil requis de signatures de déclenchement de 0%. Cela signifie que plus la proposition du parlement est importante, moins le seuil de signatures requises pour lancer un RIC suspensif ne l’est.
Le deuxième principe est que les parlements ne sont pas les seuls à pouvoir proposer des lois, puisque ce droit est élargi à l’ensemble de l’électorat. Les propositions issues directement de l’électorat ont d’emblée le statut de révisions constitutionnelles, de sorte qu’elles ne peuvent être modifiées ultérieurement que par référendum. En Suisse, 2% de l’électorat peut soumettre à référendum une révision de la constitution et ce droit s’appelle « initiative populaire ». En France, il a été baptisé « RIC constitutionnel » ou « RIC constituant ». En 2021, une proposition de RIC constituant associée à un référendum obligatoire a été soumise à l’Assemblée nationale par le député Jean Lassalle, et soutenue par six autres députés. C’est la première fois depuis la Révolution française qu’à l’Assemblée législative apparait une proposition pour donner aux citoyen·nes le contrôle de leur constitution, soutenue d’ailleurs, si l’on croit l’IFOP, par 73% des personnes sondées.
Avec ces deux principes, le parlement n’est plus l’instance législative ultime même si, de fait, il est responsable de la quasi-totalité des lois et d’un bon nombre d’initiatives citoyennes. L’instance législative ultime est le référendum. Ces deux principes – veto citoyen et initiative constitutionnelle - sont absents dans la plupart des pays qui disposent d’un RIC, dans la mesure où la plupart des RIC peuvent simplement modifier la législation ordinaire, soit en proposant des lois ordinaires (c’est le cas, par exemple, en Slovénie) soit en pouvant abroger la législation ordinaire (en Italie). Dans le premier cas on parle de « RIC législatif », dans le deuxième de « RIC abrogatif ». Ces formes de RIC ne modifient pas le régime représentatif centré sur la souveraineté du parlement, mais peuvent apporter un complément. Leur effet sur l’équilibre des pouvoirs peut être au mieux modéré et au pire absent.
Ce qui distingue le RIC des autres dispositifs de démocratie participative
Le RIC (et plus généralement la démocratie directe) est parfois considéré comme une forme de démocratie participative. A première vue, en effet, les deux approches défendent l’implication directe d’un grand nombre de citoyen·nes dans la vie de la cité. Cependant, trois aspects principaux les séparent.
Premièrement, le RIC est une procédure institutionnelle ouvrant à des droits civiques spécifiques. En ce sens, il se situe dans la lignée des démocraties libérales et nécessite une révision constitutionnelle pour être introduit dans un régime politique puisqu’il altère les équilibres des pouvoirs. En revanche, la démocratie participative ne requiert pas que les dispositifs liés aient une valeur constitutionnelle, ainsi ils s’adaptent plus facilement au cadre représentatif.
Deuxièmement, le RIC n’a pas comme objectif premier d’accroitre la qualité de la participation ou de la délibération. Son objectif est avant tout de permettre aux citoyen·nes d’avoir un maximum d’impact sur les décisions qui les concernent. En ce sens, il est conçu pour que l’investissement de chaque citoyen pour peser sur les décisions soit le plus faible possible, afin de permettre à chacun de le faire. La plupart du temps, cet investissement se limite à signer des pétitions et à voter. Initier une pétition est beaucoup plus exigeant, mais cela reste rare dans la vie d’un citoyen. De plus, la simple menace de déclencher un RIC pousse les représentants à consulter davantage les populations afin d’éviter d’y faire face (Matsusaka, 2020). Ainsi, le RIC conduit les représentants à mieux représenter, plutôt que les citoyen·nes à plus participer. De ce point de vue on peut dire que le RIC prône une société où les représentants travaillent et les citoyen·nes décident, là où la grande majorité des dispositifs participatifs actuels conduisent à des situations où les citoyen·nes travaillent et les représentants décident.
Troisièmement, le socle de soutien n’est pas le même. Comme je l’ai souligné plus haut, le RIC est soutenu par des personnes peu diplômées et aisées, ayant peu d’influence sur la vie politique. La démocratie participative, en revanche, trouve son plus grand soutien des sphères académiques, diplômées et influentes. La classe politique a aussi une nette préférence pour la démocratie participative et une hostilité plus ou moins marquée vis-à-vis du RIC (Close, 2020 ; Magni-Berton, Morio, Assif, 2020).
Le RIC comme instrument favorisant la participation et la délibération
Pour ces raisons, il n’est pas étonnant que le RIC soit souvent critiqué dans les sphères académiques, notamment sur sa faible capacité à produire une qualité participative et délibérative suffisante. En dépit de ces limites, le RIC reste un instrument très efficace en termes de participation et délibération.
D’une part, en effet, le RIC produit une implication considérable des citoyen·nes dans la vie publique. En moyenne, chaque citoyen·ne suisse finit par voter plusieurs fois par an. La plupart des personnes ont déjà signé plusieurs pétitions. De plus, le taux d’adhésion à des associations augmente dans la mesure où ces dernières se voient octroyer la possibilité d’initier une campagne de pétition pour défendre les idées et les intérêts de leurs adhérents. En fait, la possibilité de décider conduit les individus à participer davantage. Mais si en moyenne les personnes participent davantage, qu’en est-il des inégalités de participation ? Le RIC ne résout pas ce problème, bien sûr, puisque les personnes privilégiées continuent à participer davantage que les autres. Cependant, l’écart est bien moins marqué que dans les régimes représentatifs. Par exemple, au moment de l’obtention du droit de vote, les femmes votaient beaucoup moins que les hommes aux élections, mais presque autant lors des référendums. Il ne s’agit donc pas uniquement d’une socialisation progressive à la pratique électorale (Kim, 2019). L’explication couramment avancée est que l’identité des représentants – hommes, blancs, âgés – décourage les personnes n’ayant pas ces caractéristiques de voter. Par définition, les référendums ne souffrent pas de ce biais. De plus, les RIC portent sur des sujets très variés qui, tour à tour, touchent plus particulièrement différentes franges de la population. La participation des personnes les plus désavantagées augmente, par conséquent, par rapport à celle des plus avantagés.
D’autre part, le RIC produit une amélioration de la qualité des débats publics qui reste, à ce jour, inégalée par son ampleur (Smith, Tolbert, 2004). Une société où l’on croise dans la rue des personnes qui souhaitent faire signer leur pétition et où chaque citoyen·ne est amené à prendre des décisions qui entraîneront des conséquences directes sur sa propre vie, est une société où le débat politique est omniprésent. Il reste très difficile de mesurer la qualité de ces débats à travers leur contenu, car ils sont très décentralisés. Les personnes débattent dans les rues, les cafés, en famille, si bien qu’ils restent peu accessibles à l’observation. Il est possible, en revanche, mesurer la qualité de ces débats par leurs conséquences. Ainsi, de nombreuses études ont souligné les « vertus éducatives » du RIC, en observant que les individus – y compris les moins politisés – ont des compétences politiques et civiques plus élevées lorsque le RIC est présent.
Pour conclure sur une opinion plus personnelle, je pense qu’en France, de nombreux intellectuels ont une responsabilité importante dans leur refus de relayer la revendication des Gilets jaunes. Une revendication aussi massivement soutenue dans l’opinion et portée largement dans la rue mériterait certainement de faire l’objet d’un débat public sérieux, quel que soit l’avis que chacun en a. Cela n’a pas eu lieu, et nous avons assisté plutôt à un « grand débat », à une « convention citoyenne », puis à un « conseil national de la refondation » dans lesquels la question du RIC a été largement évacuée au profit d’autres sujets. Face à des représentants réticents à partager leurs prérogatives – notamment le droit d’initiative et de veto sur les politiques publiques –, il faut soutenir les combats pour les droits civiques qui, à l’instar du slogan de la manifestation pour le mariage pour tous, portent une idée simple auprès de pouvoirs publics : « nous voulons vos droits, pas votre avis ».
Références scientifiques
Chollet, Antoine. 2011. Défendre la démocratie directe. Sur quelques arguments antidémocratiques des élites suisses. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes.
Close, Caroline. 2020. « Rapport au système représentatif et soutien à la démocratie directe et délibérative. Analyse comparée des attitudes des élus nationaux en Europe ». Participations 2627 (1) : 193‑222.
Kim, Jeong Hyun. 2019. « Direct Democracy and Women’s Political Engagement ». American Journal of Political Science 63 (3) : 594‑610.
Magni-Berton, Raùl, et Clara Egger. 2019. RIC : Le référendum d'initiative citoyenne expliqué à tous : Au cœur de la démocratie directe. Limoges, FYP éditions.
Magni-Berton, Raùl, Camille Morio, et Sofia Assif. 2021. « Plus de participation ? Leçons de 75 programmes politiques pendant les élections municipales de 2020 ». Pôle Sud 54 (1) : 69‑90.
Magni-Berton, Raùl, et Laurence Morel, dir. 2022. Démocraties directes. Bruxelles, Bruylant.
Morel, Laurence. 2019. La question du référendum. Paris : Presses de Sciences Po.
Matsusaka, John G. 2020. Let the People Rule. How direct democracy can meet the populist challenge. Princeton : Princeton University Press.
Meuwly, Olivier. 2018. Une histoire politique de la démocratie directe en Suisse. Neuchâtel : Éditions Livreo-Alphil.
Papadopoulos Yannis. 1998. Démocratie directe. Paris : Economica.
Smith, Daniel A., et Caroline J. Tolbert 2004. Educated by initiative: The effects of direct democracy on citizens and political organizations in the American states. Ann Arbor : The University of Michigan Press.
Références militantes
Bruchez, Pierre-Alain. 2019. Le référendum d'initiative citoyenne. L'instaurer en France, le préserver en Suisse. Books on Demand
Considérant, Victor. 1985. La Solution ou le Gouvernement direct du peuple. Paris : Librairie phalanstérienne.
Egger, Clara. 2022. Pour que voter serve enfin : Manifeste pour une transition démocratique. Paris : Talma Studios
Rittinghausen, Moritz. 1852. La législation directe par le peuple et ses adversaires. Paris : C. Muquardt.