Définition de l'entrée

Dans la littérature spécialisée, la répression de l’action politique est généralement entendue comme une répression directe, soit : « les efforts pour supprimer tout acte contestataire ou tout groupe ou organisation responsable de ces derniers » (McAdam, Tarrow et Tilly, 2001 : 69).

Partant d’une définition plus spécifique, la répression indirecte désigne les pratiques visant à diminuer les capacités de mobilisation et d’action d’un mouvement, mettant en lumière d’autres formes de répression que l’arrestation.

Pour citer cet article :

Dufour, P, Dussault, J. (2022). Répression. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/repression-2022

Citer

Les études sur la répression politique concentrent généralement l’analyse de l’action policière sur l’action politique militante. On distingue 1) la répression directe en manifestation qui peut se traduire par de la brutalité, des arrestations ciblées ou massives, 2) les actions de la police ou des corps spécialisés de surveillance pour empêcher des activistes de participer à la contestation (par exemple, les arrestations préventives de certain·es militant·es écologistes au moment de la COP21 à Paris), puis 3) les actions visant à diviser les milieux militants en organisant des infiltrations (Dupuis-Déri, 2013; Fillieule et della Porta, 2006). Autrement dit, la répression ne désigne pas seulement les actions ayant pour objectif la suppression de la contestation, comme suggéré par Doug McAdam, Sydney Tarrow et Charles Tilly (2001) dans la définition en début d’article, mais aussi, les efforts externes pour prévenir, contrôler et contraindre les protestations (Earl, 2011).

Plusieurs travaux ont montré les effets négatifs de la répression sur la participation au sein des mouvements sociaux (Boykoff, 2006 ; Ellefsen, 2016 ; Wood, 2007). Les blessures physiques, le choc post-traumatique, la peur et la judiciarisation ne sont que quelques conséquences de la répression qui nuisent à l’implication politique subséquente. Une autre partie de la littérature souligne les effets parfois mobilisateurs de la répression sur la contestation, comme par exemple le fait de cristalliser les oppositions et faciliter la construction de large coalitions (Combes, 2020 ; Almeida, 2008 ; McAdam, 1990). D’autres vont plutôt insister sur les effets curvilinéaires de celle-ci, la répression ayant en premier lieu des effets dissuasifs, puis des effets mobilisateurs (Brockett, 2005 ; Khawaja, 1993) ou encore sur le changement de tactiques de la part des participant·es (O’Brien et Deng, 2015). Au final, la littérature sur les mouvements sociaux n’est pas unanime pour qualifier les effets de la répression et nous en savons encore trop peu sur les facteurs qui influencent les variations notées (Davenport, 2007 ; Davenport et Inman, 2012 ; Earl et Soule, 2010). Ces effets étant multiples, ils doivent être replacés dans leurs contextes immédiats, soit l’environnement concret dans lequel évoluent les mouvements, les groupes et les individus.

De plus, la répression ne provient pas que de l’État (Dominique-Legault, 2022 ; Dufour et Dupuis-Déri, 2022). Elle peut notamment être le fait de contre-mouvements, d’agences privées, de médias, de directions d’établissements ou de mafias. D’ailleurs, Jan Jämte et Rune Ellesen (2020) soulignent que depuis les attaques du 11 septembre 2001 à New York et les actes terroristes qui ont suivi en Europe (comme Madrid, Paris, Londres), les gouvernements des démocraties occidentales ont adopté des mesures législatives qui ont transformé les acteurs de la répression : aujourd’hui, celle-ci fait intervenir une multitude d’agents à qui a été donné le pouvoir de signaler des populations ou des individus à risque de radicalisation. Il est donc nécessaire d’ouvrir l’analyse des pratiques répressives ou coercitives au-delà de l’arrestation par les corps de police.

D’autres définitions de la répression sont employées pour qualifier les freins à l’action politique. Parmi les plus connues qui s’éloignent de la proposition classique de D. McAdam, C. Tilly et S. Tarrow, Myra Marx Ferree (2004) a développé la notion de « répression douce ». Organisée via trois pratiques culturelles, la répression douce met en lumière les tactiques plus subtiles, sans violence physique, de la répression des groupes remettant en cause le statu quo : le fait de ridiculiser un individu dans son quotidien, la stigmatisation d’une communauté en apposant des stéréotypes négatifs et réduire au silence un mouvement (en particulier au niveau médiatique).

Nous aimerions insister dans cette notice sur la répression indirecte de la participation citoyenne (Codaccioni, 2019). Brièvement définie en début de notice, la répression indirecte désigne les actions qui ne sont pas des arrestations de personnes, mais plutôt des pratiques visant à diminuer les capacités de mobilisation d’un mouvement, soit en ayant un effet sur les individus à un niveau micro ; soit en ayant un effet sur des groupes spécifiques ; soit en ayant un effet sur le mouvement en général (ou un mixte de tout cela). Nous préférons le terme de répression indirecte parce qu’il ne préjuge pas du caractère moins violent de la réception de cette répression pour les personnes, ce que le qualificatif de « doux » peut laisser penser.

Moins traité, ce phénomène n’en est pas moins prégnant et révélateur des tensions qui peuvent exister au sein des démocraties représentatives libérales quant aux différentes acceptations de la participation. La participation électorale étant largement considérée comme légitime, elle est plus rarement confrontée à la répression indirecte, si ce ne sont les barrières à la participation électorale qui peuvent être plus difficiles à combattre pour les catégories de population marginalisées. On peut penser dans ce cas aux enjeux d’inscription sur les listes électorales pour certaines communautés noires aux États-Unis ou encore aux enjeux de mobilité et d’éloignement géographique pour voter lors du jour du scrutin. De même, il est plutôt rare que les groupes formels qui exercent un lobbying reconnu auprès des acteurs étatiques ou des représentants politiques soient empêchés d’exercer cette fonction par des actes de répression. En revanche, il existe toute une gamme d’actes de répression indirecte qui limitent la participation politique des citoyen·nes en dehors des institutions formelles, que ce soit lors d’événements de contestation ou dans la vie quotidienne des associations dont ils et elles font partie. Ces actes peuvent être exercés par l’État ou d’autres acteurs. Dans tous les cas, ils posent des freins concrets à la participation. Nous traiterons plus spécifiquement dans ce qui suit de trois modalités de cette action répressive indirecte envers des collectifs citoyens ou mouvements sociaux (protestataires ou non).

Les actions répressives indirectes et leurs formes matérielles

Diverses stratégies de formes matérielles de répression indirectes ont été documentées. Détaillant des modes de répressions qu’il qualifie de « répressions à bas bruits », Julien Talpin (2016) nomme, par exemple, l’absence de reconnaissance matérielle par les institutions publiques, l’éviction des locaux de réunions, l’anticipation de la répression par les participant·es, la peur d’un arrêt des subventions ; la disqualification de certaines personnes et l’individualisation des enjeux afin de freiner la création et le maintien de regroupements. Ces modes de répression peuvent concerner toutes sortes de collectifs, mais ils ont un effet particulièrement délétère sur la participation des personnes marginalisées.

Elle est comprise ici dans sa dimension collective, dont la capacité à faire entendre sa voix et être visible dans l’espace public, qui est toujours limitée par le poids des rapports sociaux. En effet, les collectifs composés de personnes marginalisées, comme les groupes de chômeurs et chômeuses, les personnes prestataires de l’assistance sociale, les travailleuses du sexe, les personnes racialisées ou encore les personnes aînées rencontrent déjà de fortes barrières à la participation, sans considérer la répression. La militance de ces groupes est désavantagée par le manque de ressources pour l’action, l’inscription dans des rapports de pouvoir particulièrement dissymétriques, la discrimination ainsi que la judiciarisation de la pauvreté (Bellot et Sylvestre, 2017). Que ce soit lors d’actions politiques directes (occupation de bureaux de ministres, squat, conférence de presse) ou par une présence plus ou moins formalisée à des tables de concertation et de négociation, les actions répressives indirectes sont particulièrement dommageables à leur participation politique en ce qu’elle renforce des sentiments d’illégitimité chez les partcipant·es tout en multipliant les défis sur le plan matériel.

Les actions répressives indirectes via le chantage et la manipulation

Le chantage et la manipulation peuvent viser les collectifs de personnes marginalisées, mais ce type de répression s’applique également à d’autres acteurs collectifs. La littérature distingue plusieurs tactiques d’intimidation sans violence physique (surveillance, enquêtes liées à l’impôt, aux finances ou à la bonne gestion, harcèlement, actions de diffamation, menaces). Dans sa dimension répressive (et négative), la manipulation peut être une forme plus ou moins forte de cooptation (comme procurer un avantage à une personne ou un collectif en échange de son soutien politique et donc de sa non-action politique), de channelling (Coy et Heeden, 2005) pour les leaders des organisations (c’est-à-dire de les intégrer aux institutions en leur offrant une position professionnelle) ou encore, elle peut prendre la forme de la facilitation sélective, soit le traitement différencié d’un groupe afin d’en faire son allié et de ce fait, générer un conflit entre les groupes d’un même mouvement. Cette « selective facilitation » (Tarrow, 2011: 209) est une stratégie largement utilisée pour manipuler les dynamiques entre les acteurs sociaux. Dans tous les cas, « les manipulations consistent à tenter de saper, de diviser ou de distraire les organisations de mouvements sociaux ou leur réservoir de recrues potentielles » (notre traduction) (Smithey et Kurtz, 2020 : 197).

Les actions répressives indirectes via les réseaux sociaux

La répression en ligne envers les militantes féministes et les personnes LGBTQIA2+ est de plus en plus documentée (Waldispuhl, 2022 ; Blais, 2018). Elle peut être le fait d’individus isolés, mais cette répression peut également être le résultat de stratégies de la part de contre-mouvements (notamment anti-féministes, transphobes, homophobes), qui préparent des raids numériques envers un militant·e, dans le but de le forcer au silence. La stigmatisation et les pratiques de silenciation existent bien sûr hors-ligne, et sont connues comme des formes de répression symboliques qui peuvent avoir des effets de retrait des personnes visées, individuellement ou collectivement.

Néanmoins, l’analyse de ces pratiques en ligne montre que les effets sont aussi bien réels dans le monde virtuel et que ceux-ci se prolongent hors-ligne. Les personnes ciblées peuvent décider de se retirer (temporairement ou non) des réseaux sociaux ou encore de ne plus parler publiquement de la nature de leur engagement de peur de représailles et d’effets sur leur vie privée (notamment sur la famille et l’emploi). Ces pratiques répressives peuvent de surcroit nuire aux relations entre les groupes d’un même mouvement ; le courant dominant ne voulant pas être associé à la frange jugée plus radicale. Ces actions répressives ont également des effets hors-ligne, incluant entre autres la violence physique, les menaces, la modification des pratiques militantes, du répertoire d’action collective et de la quotidienneté de ses membres. À titre d’exemple, Mélissa Blais (2018) souligne que les Centres pour femmes victimes de violence, qui sont des organismes associatifs du Québec, ont pris pour habitude devant les menaces antiféministes de tenir leurs assemblées générales à huis clos, alors que la loi régissant ces organismes demande explicitement que ces assemblées soient ouvertes au public.

***

La notion de répression a pour avantage de rendre visibles les différentes manières de contrôler, empêcher ou limiter l’activité politique. Les recherches effectuées durant les dernières décennies permettent à la fois de comprendre les types de répression, leurs acteurs, certaines variations observées empiriquement ainsi que leurs effets. Si la répression indirecte exercée au sein des démocraties représentatives libérales est particulièrement couverte ici, d’autres enjeux liés à la répression dans les régimes autoritaires et dans d’autres types de démocraties sont à prendre en compte. Néanmoins, ce concept de répression indirecte apparaît particulièrement pertinent pour penser les actions et interactions des acteurs sociaux au-delà des arrestations lors des manifestations. C’est le cas, notamment, avec la suppression des instances participatives et décisionnelles dans lesquelles peuvent s’impliquer employé·es et citoyen·es dans le milieu de la santé au Québec (Dussault, à paraître). Cette tendance internationale à enlever des stratégies de gouvernance les comités paritaires, les instances de consultation et les comités d’usager·es freine la participation citoyenne et, plus largement, nuit aux processus démocratiques des institutions.

Bibliographie

Bellot, Céline, et Marie-Ève Sylvestre. 2017. « La judiciarisation de l’itinérance à Montréal : Les dérives sécuritaires de la gestion pénale de la pauvreté ». Revue générale de droit, 47 : 11‑44. https://doi.org/10.7202/1040516ar

Blais, Mélissa. 2018. « Masculinisme et violences contre les femmes : Une analyse des effets du contremouvement antiféministe sur le mouvement féministe québécois ». Thèse de sociologie, Université du Québec à Montréal.

Boykoff, Jules. 2006. The suppression of dissent : How the state and mass media squelch US American social movements. New York: Routledge.

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Codaccioni, Vanessa. 2019. Répression : l’État face aux contestations politiques. Textuel, 2019.

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Coy, Patrick G et Timothy Hedeen. 2005. “A Stage Model of Social Movement
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Dufour, Pascale, et Francis Dupuis-Déri, dir. 2022. Profilages policiers. Montréal : Les Presses de l'Université de Montréal.

Dupuis-Déri, Francis dir. 2013. À qui la rue? : Répression policière et mouvements sociaux. Montréal: Les Éditions Écosociété.

Dussault, Joëlle (à paraître) « Action collective, genre et travail : une étude comparée des processus de mobilisation en santé et services sociaux au Québec ». Thèse de sociologie, Université du Québec à Montréal.

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