Définition de l'entrée

La représentation miroir est une forme de représentation que l’on peut qualifier de descriptive, où la base de la représentation est la similitude - selon des critères préalablement choisis - entre représentant·e et représenté·es.

Pour citer cet article :

Dutoya, V. (2022). Représentation miroir. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/representation-miroir-2022

Citer

La notion de représentation miroir est l’une des définitions classiques de la représentation, identifiée notamment par Hannah Pitkin (Pitkin, 1972). On peut la trouver désignée sous d’autres termes, comme représentation descriptive, ou encore représentation microcosmique ou sociologique. On oppose généralement la représentation miroir à la représentation dite « substantielle », où le fondement de la représentation est constitué par les actions de l’individu ou de l’institution représentatif. Les gouvernements représentatifs contemporains reposent  sur le principe de sélection et de distinction entre représentant·es et représenté·es, et mettent donc de côté la représentation descriptive, alors jugée archaïque et peu efficace (Manin, 1995). La question de la représentation miroir a toutefois été remise d’actualité par les débats autour de la sous-représentation systématique de certains groupes sociaux, et la logique discriminante de l’élection (Mansbridge, 2013 ; Williams, 2000). Un des exemples les plus emblématiques est celui des quotas pour les femmes. À cet égard, les mécanismes visant à rendre plus descriptives les institutions représentatives ne remettent pas véritablement en cause le principe représentatif ; il s’agit avant tout de résoudre la crise de la représentation, en permettant à toutes et tous de se reconnaître dans les institutions. Mais de fait, la démocratie participative n’échappe pas au manque de représentativité descriptive de la démocratie représentative, tandis que la question du choix des caractéristiques sociales que l’on souhaite voir représentées demeure.

L’opposition représentation descriptive/représentation substantielle

Dans son ouvrage classique sur la représentation, Hannah Pitkin revient sur les débats qui émergent au 19ème siècle quant à la nature de la représentation, et en particulier sur le lien qui doit exister entre représenté·s et représentant (pensé presque exclusivement au masculin à cette période). Elle montre que ces débats ont opposé la notion de représentation descriptive (standing for), à celle de représentation substantielle (acting for), où ce sont les actions du représentant qui sont déterminantes, et que c’est ce dernier modèle qui a finalement dominé. En effet, la représentation substantielle semble offrir de meilleures garanties pour la représentation des intérêts particuliers et de l’intérêt général, dans la mesure où l’on se concentre sur les actions réelles des représentants. En effet, il n’existe aucune garantie que les représentants dits « descriptifs » agissent dans l’intérêt de celles et ceux qu’ils sont supposés représenter, ou de l’intérêt général. La représentation substantielle correspond par ailleurs à l’idéal du citoyen universel, non marqué par son identité, qui se dessine à cette période. Initialement préférée pour son efficacité (choisir les meilleurs), la représentation substantielle éviterait l’essentialisme et la réduction des citoyen·nes à certaines de leurs caractéristiques sociales.

Toutefois, dès les origines de la démocratie représentative, la demande de représentation descriptive de certains groupes sociaux existe. On peut par exemple mentionner le Manifeste des soixante en 1864, par lequel des ouvriers réclament des candidatures ouvrières sous le Second empire français. Cette demande a trouvé une réponse, sur une forme certes différente, avec l’institutionnalisation de la représentation des forces économiques sous la Troisième république. En 1925 est créé le Conseil national économique, qui est l’ancêtre du Conseil économique social et environnemental, troisième assemblée constitutionnelle de la Vème République. Dans cette assemblée figurent les différentes forces économiques et sociales, en particulier les syndicats (Chatriot, 2007). Les sièges sont répartis entre trois grandes catégories de groupements : population et consommation, travail, capital, suivant le principe de désignation par les « organisations les plus représentatives », qui sélectionnent ensuite leurs délégués.

La représentation des groupes sociaux fondée sur la race, le genre et d’autres marqueurs considérés comme identitaires (tels que la caste, ou encore la religion) a souvent peinée à être reconnue comme légitime en France, mais on en trouve des exemples dans d’autres pays. Ainsi, dans la première moitié du 20ème siècle, l’homme politique indien Bhimrao Ramji Ambedkar (1891-1956) milite (avec succès) pour que des sièges soient réservés aux personnes de basses castes (les dalits) dans les assemblées législatives (Jha, 2003). Comme cela a pu être développé dans le cas des afro-américains ou des femmes, il défend que dans un contexte de discrimination historique et systémique, il faut que la voix des groupes dominés soit présente dans les assemblées, parce qu’on ne peut attendre qu’ils soient représentés de façon appropriée par celles et ceux qui bénéficient (directement ou non) de leur oppression (Williams, 2000). La théoricienne Jane Mansbridge a également souligné l’importance de la représentation descriptive pour assurer une délibération plus inclusive. (2013 [1999]). Elle permettrait notamment la prise en compte de nouveaux intérêts, qui, parce qu’ils sont encore peu formalisés, ne peuvent être pris en charge par les personnes non concernées. Par ailleurs, l’écart social important entre représentant·es et représenté·es nuirait à la légitimité du système politique dit « représentatif ».

La représentation miroir est revenue au centre des débats politiques à la fin du 20ème siècle, au sujet de la représentation politique des femmes. Dans un contexte où l’égalisation des droits politiques n’avait pas permis aux femmes d’être représentées de façon équitable dans les institutions politiques et d’atteindre l’égalité réelle, de nombreuses théoriciennes féministes ont défendu une « politique de présence » (Phillips, 1995) pour lutter contre les discriminations effectives subies par les femmes et garantir la prise en compte de leurs intérêts. Cette demande s’est matérialisée par l’adoption de quotas dans de nombreux pays dans les années 1990 et 2000 (Lépinard, 2007 ; Krook, 2005 ; Sharma, 1998). Ces politiques se déclinent selon des modalités variées, depuis les sièges réservés aux femmes (Asie du sud), où seules les femmes peuvent être candidates, jusqu’aux quotas portés par les partis (Suède) en passant par des systèmes comme la parité en France, où la loi impose un nombre égal de candidats et de candidates. Au-delà des quotas, d’autres mécanismes peuvent améliorer la représentation descriptive, comme des découpages de circonscriptions correspondant mieux à l’implantation de certains groupes sociaux, un vote cumulatif ou pondéré qui permet de choisir plusieurs élu·es, et donc d’affiner la représentativité, ou des binômes d’élu·es. À bien des égards, les dispositifs participatifs constituent également une tentative d’améliorer la représentativité descriptive des institutions.

Représentation-miroir et participation

L’opposition entre la démocratie représentative et la démocratie participative est connue (Pateman, 1970). En effet, là où il y a participation directe des citoyens, la représentation n’a a priori pas lieu d’être. De fait les dispositifs participatifs apparaissent comme des réponses aux manques de la démocratie représentative, et se positionnent dans une logique souvent bien distincte. Pourtant, dans les faits, on observe souvent des glissements entre représentation et participation (Warren 2008). En effet, si la démocratie participative vise à réduire la distance entre les décideur·euses politiques et les citoyen·nes, elle ne s’oppose pas véritablement à la représentation, puisque la légitimité des dispositifs participatifs suppose une certaine représentativité. Et la forme de représentativité qui est attendue de ces dispositifs est justement une forme de représentation-miroir.

Cette ambivalence se retrouve par exemple dans les dispositifs des conseils citoyens, créés en 2014 dans les quartiers marqués par la pauvreté (Demoulin et Bacqué, 2019). D’après le cadre de référence des conseils citoyens, ces derniers sont censés « faciliter l’expression des habitants sans être leur porte-parole » (Ministère des droits des femmes, de la jeunesse et des sports : 17). Ces textes insistent sur l’importance d’attirer dans le conseil citoyen des personnes éloignées de la politique (jeunes, étrangers non communautaires) et donc a priori peu au fait de l’action publique locale. Il s’agit donc ici de pallier l’absence de ces publics dans la vie politique représentative, en les intégrant par d’autres moyens. De fait, beaucoup des instances de démocratie participative incorporent des règles de représentativité descriptive, à commencer par la parité entre les femmes et les hommes. Cette attente se retrouve aussi dans les modes de sélection des participant·es, qui peuvent, comme dans le cas des conseils citoyens, incorporer des procédures de tirage au sort. Cette procédure, qui rompt avec la logique de l’élection visant à choisir les meilleur·es, établit une plus grande horizontalité entre celles et ceux qui participent à la décision publique, et les autres, dans la mesure où toutes et tous avaient une chance égale d’être sélectionnés (Courant et Sintomer, 2019). Le tirage au sort a ainsi pu être adopté pour la sélection des assemblées citoyennes en Irlande, qui avaient la mission de rédiger une nouvelle constitution, ensuite présentée au vote de tous les citoyen·nes (Courant, 2019).

Par ailleurs, la démocratie participative peut être utilisée par les représentant·es élus pour capter et identifier les attentes des habitant·es dont ils peuvent être éloignés sur le plan descriptif. En mettant l’accent sur la « démocratie de proximité », les dispositifs participatifs constituent des outils important pour les élu·es qui souhaitent mettre en évidence leur capacité à refléter les attentes de leurs électeurs et électrices (Anquetin et Cuny, 2016).

Ainsi, les dispositifs participatifs pallient certains manques de la démocratie représentative, notamment en réintroduisant des logiques de représentation-miroir. Ce faisant, ils constituent également un espace où les limites de la représentation descriptive sont apparentes. En premier lieu la difficulté à véritablement refléter l’ensemble d’une population, tant certains groupes sociaux restent invisibles politiquement, en particulier dans les dispositifs visant à faire participer les habitant·es des quartiers populaires (Daquin et al., 2019). Mais au-delà des angles-morts, la question cruciale demeure la sélection des traits sociaux qu’il est légitime de chercher à représenter, et des inévitables déformations du reflet qui est créé.

Comment refléter la société ?

L’image du miroir suggère un objet déjà constitué, qu’il s’agirait de refléter de façon adéquate. La difficulté serait alors technique, consistant à trouver des mécanismes permettant de refléter de façon fidèle l’objet à représenter. Cependant, cette image pose question. Tout d’abord, comme cela a été montré par l’approche constructiviste de la représentation, l’enjeu est autant la constitution du groupe représenté que du représentant·e. Pour le dire autrement, le travail de représentation implique entre autres de construire le groupe à représenter, qui ne préexiste pas à la représentation (Dutoya et Hayat, 2016 ; Saward, 2006). Si l’on adhère à cette approche de la représentation, la notion de représentation miroir devient plus complexe, puisqu’il ne s’agit pas tant de présenter un miroir, que de décider quelles sont les caractéristiques que l’on souhaite représenter, et la façon dont ces caractéristiques peuvent constituer un groupe social politiquement légitime.

En effet, cette question est loin d’être évidente, et les réponses varient en fonction des contextes politiques et sociaux. Ainsi, en Inde, si la représentation des basses castes et des populations dites tribales est entérinée dans la Constitution depuis 1950, celle des femmes ou des minorités religieuses fait davantage débat. En revanche, au Liban, la représentation confessionnelle est institutionnalisée. Le problème est souvent que les logiques de représentation miroir reposent sur la sélection d’une caractéristique, prise isolément. Or, les logiques de classe, race, genre, sont souvent interdépendantes et intersectionnelles, et cette complexité se prête difficilement au jeu du miroir.

Enfin, la question demeure de savoir si la représentation-miroir peut permettre la représentation des intérêts. En effet, si l’on prend l’exemple du genre, deux femmes peuvent avoir des positionnements différents sur des enjeux genrés (typiquement l’avortement, le travail du sexe, etc.). Toutefois, comme l’a souligné Anne Phillips (1995), il est difficile de nier que les positionnements vis-à-vis de ces enjeux sont structurés par le genre, et que la sous-représentation des femmes, voire leur absence dans la prise de décision sur ces questions est problématique. A cet égard, sans être une garantie, la représentation-miroir peut être un outil permettant la présence des concerné·es dans les débats, et donc augmente a priori les chances de voir leurs intérêts pris en compte.

***

La représentation miroir renvoie à la fonction de figuration de la représentation. Sa mise en œuvre est toujours délicate, tant le partage de certains traits sociaux ne garantit pas la similarité des intérêts et des opinions. Toutefois, son absence est tout aussi problématique ; comment accepter comme représentatives des institutions composées de membres appartenant tous à une petite frange de la société, souvent celle qui est dominante socio économiquement parlant ? À cet égard, si l’image du miroir est intéressante lorsqu’il s’agit de mettre en évidence les absences les plus criantes, il faut aussi la dépasser, car elle tend à invisibiliser toute une partie du travail de représentation, à savoir la formation et la politisation des groupes sociaux, préalables à leur accès à la représentation. Les instances de démocratie participative peuvent à cet égard constituer des arènes où la participation est plus facile, et permettre la politisation de celles et ceux a priori plus éloignés de la démocratie représentative, à condition de ne pas être de purs instruments de légitimation du système politique établi.

Bibliographie

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Chatriot, Alain. 2007. « Les apories de la représentation de la société civile. Débats et expériences autour des compositions successives des assemblées consultatives en France au XXe siècle ». Revue française de droit constitutionnel 71 (3): 535‑55. https://doi.org/10.3917/rfdc.071.0535.

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Demoulin, Jeanne, et Marie-Hélène Bacqué. 2019. « Les conseils citoyens, beaucoup de bruit pour rien ? » Participations 24 (2): 5‑25. https://doi.org/10.3917/parti.024.0005.

Dutoya, Virginie, et Samuel Hayat. 2016. « Prétendre représenter ». Revue française de science politique 66 (1): 7‑25. https://doi.org/10.3917/rfsp.661.0007.

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