Définition de l'entrée

Le concept et le terme de la reddition des comptes (accountability) sont intimement liés à ceux de la responsabilité politique de celles et ceux qui exercent des fonctions d’autorité publique, en d’autres termes celles et ceux qui prennent des décisions contraignantes pour une collectivité donnée.

Pour citer cet article :

Papadopoulos, Y. (2013). Reddition de comptes. In I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, & D. Salles (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/reddition-de-comptes-2013

Citer

Accountability : responsabilité, sanction, information

Dans nos démocraties représentatives, l’anticipation par les gouvernants du fait qu’ils devront rendre des comptes aux citoyens au plus tard lors de la prochaine campagne électorale est censée servir d’incitation pour que leurs décisions reflètent fidèlement les préférences de leurs électeurs (responsive goverment). Le consentement à l’exercice de la contrainte collective est lié au fait que ceux qui l’exercent ont non seulement été autorisés à le faire par un mandat électoral, mais aussi au fait qu’ils sont obligés de rendre périodiquement des comptes à ceux qui subissent leur contrainte, et qui peuvent les sanctionner, toujours par le biais électoral.
C’est donc la sanction possible lors d’élections concurrentielles qui est censée garantir la responsabilité des dirigeants (Manin, 1995), et il a même été affirmé que, avec la médiatisation croissante de la politique et le rôle des sondages, les partis sont désormais contraints de manière permanente à justifier leurs choix (De Beus, 2006). Or la sanction électorale est plus ou moins redoutée par les gouvernants en fonction du caractère plus ou moins incertain de l’issue du scrutin. Au-delà, une limitation majeure en termes d’effectivité de l’accountability électorale réside dans les problèmes d’asymétrie d’information en défaveur de l’électorat. Les citoyens sont inégalement informés sur les actes de leurs dirigeants, leur capacité à sanctionner ceux-ci dépend de leur propension à voter de manière rétrospective (sur la base d’évaluations de la performance passée des gouvernants) plutôt qu’en se fondant sur des anticipations générées par les promesses des concurrents, etc. Le mécanisme de reddition des comptes risque aussi de demeurer fictif si l’action des dirigeants n’est pas clairement visible : on a ainsi évoqué « the problem of many hands » (Thompson, 1980) lorsque plusieurs acteurs concourent à une prise de décision, de sorte que l’imputation des responsabilités devient difficile, ou aussi les situations de blame shift (Hood, 2010), lorsqu’un acteur incriminé pour sa conduite arrive à rejeter le blâme sur un autre acteur. Dès lors, la transparence apparaît comme une pré-condition à la reddition des comptes et à cet égard la « démocratie du public » (Manin, 1995) se caractérise par le rôle croissant des médias en tant qu’instance de surveillance des détenteurs des rôles d’autorité.

 

Accountability verticale, horizontale, diagonale

Mais la question de la reddition des comptes se pose de manière plus large dans la vie sociale et politique, tout acteur social pouvant être amené soit de jure soit de facto à rendre des comptes sur son (in)action et ce auprès de divers publics ou instances. Déjà sur le plan politique, la reddition des comptes n’est pas uniquement la conséquence de la délégation de pouvoir des citoyens aux élus, mais s’inscrit dans une chaîne de délégation plus longue (Strom, Müller, et al., 2003) : à son tour, le premier ministre élu est en droit de demander des comptes à ses ministres, qui sont en droit d’en demander aux membres de l’administration, etc. Nous sommes ici en présence de multiples séquences constitutives de l’accountability dite verticale qui, à leur tour, ne sont pas les seules garantes de la qualité démocratique du gouvernement, des dispositifs de contrepouvoir et de surveillance mutuelle des instances de décision (checks and balances) étant aussi souvent présents (accountability horizontale : O’Donnell, 1998). En matière d’action publique, il convient donc de s’interroger sur qui rend des comptes à qui, si ceci est une exigence formelle ou résulte d’un rapport de forces entre acteurs, si la reddition de comptes s’accompagne de sanctions, et si oui de quelle nature et dotées de quel coefficient de crédibilité (des sanctions soft reposant sur la stigmatisation de l’incriminé dans un contexte de pression sociale). Il convient également de s’interroger à propos de quoi un acteur doit rendre des comptes, par exemple s’agissant de détenteurs de rôles d’autorité publique la reddition de comptes concerne-t-elle la légalité de leurs actes, ou bien la substance, voire les conséquences qui y sont associées ?
Dans le monde anglo-saxon, la question du contrôle des dirigeants en démocratie est souvent appréhendée à partir du modèle du principal-agent, qui s’applique à toute relation de délégation, y compris par exemple aux rapports que nous entretenons avec notre médecin concernant le contrôle de notre santé. Ce modèle érige le problème de l’asymétrie de l’information en variable centrale et présente aussi des mécanismes permettant de réduire ce problème. Si certains de ces mécanismes ne relèvent pas de la reddition des comptes car ils ressortent du « pilotage » ex ante de la sélection de ceux à qui nous déléguons notre pouvoir, les mécanismes de contrôle ex post des dirigeants accordent une place fondamentale à l’obligation de reddition des comptes, en tant que remède aux problèmes d’ informations ou d’actions cachées générés par la professionnalisation de la politique (l’agent dispose d’informations auxquelles le principal n’a pas accès ou est capable de mener des actions qui sont soustraites à son regard). Le modèle intègre aussi les coûts induits par l’exercice de la surveillance. Ainsi, un contrôle systématique des dirigeants prenant la forme de mécanismes assimilés à des patrouilles de police réduit le risque d’aléa moral car la régularité des patrouilles sera crainte, mais le coût lié à leur mise en place incitera plutôt à déléguer la surveillance à des lanceurs d’alertes quasi-professionnalisés (les médias en sont un exemple typique).
La complexification accrue des systèmes de décision entraîne aussi ipso facto celle des relations d’accountability. Ainsi, les autorités de régulation indépendantes sont en principe soumises à un contrôle politique moins étroit que l’administration classique, mais restent par contre soumises à un impératif de justification de leurs décisions, lorsqu’elles sont contestées, auprès des tribunaux. Par ailleurs, émergent également des accountability forums dits diagonaux, à l’instar de l’institution du médiateur : les administrations peuvent être amenées à justifier leurs décisions auprès d’une telle instance, toutefois celle-ci ne dispose pas de pouvoirs de sanction directs à leur égard. En outre, l’internationalisation croissante des activités de décision politique génère des impératifs de reddition des comptes multi-niveaux (Papadopoulos, 2010) : par exemple, les gouvernements des pays membres de l’Union européenne doivent certes rendre des comptes sur leurs actes à leurs populations, mais aussi à des instances telles que la Commission ou la Cour de justice. Dans la mesure où ces divers forums n’ont pas tous les mêmes préférences, cela crée des dilemmes d’action et, dans la mesure où certains de ces forums n’ont pas de légitimité élective, ceci peut aussi créer des problèmes normatifs en lien avec le déficit démocratique du système de décision. Même la mise en place de procédures participatives ne résout pas nécessairement ce problème. Ainsi, il est indéniable que désormais de multiples acteurs de la société civile globale exercent de fortes pressions pour que diverses instances transnationales (le Fonds monétaire international [FMI], la Banque mondiale, etc.) tiennent compte des préférences des populations qui subissent leur impact. Toutefois, en l’absence de consentement explicite de la part de ces populations pour que des Organisations non gouvernementales (ONG), médias ou autres servent de forums à qui les instances transnationales rendent des comptes, le caractère autoproclamé de ces forums, qui ont souvent leur propre agenda, pose problème.

 

Accountability et participation
 

À notre sens, les systèmes de gouvernance complexe se caractérisent par une multiplication des relations d’accountability, mais aussi souvent par leur faible codification et par leur découplage par rapport au circuit démocratique. Dès lors, revaloriser le rôle des citoyens ou des acteurs démocratiquement élus en tant que forums de reddition des comptes par les gouvernants va dans le sens d’un mode d’exercice du pouvoir plus participatif. Même en l’absence de sanctions, la simple obligation de justification relevant de l’ impératif délibératif transforme les conduites des gouvernants et a un effet disciplinant (Blondiaux, 2008). Cependant renforcer la dimension démocratique de l’évaluation des décisions politiques n’est qu’un pas limité à cet égard, dans la mesure où ces décisions continueront d’être produites par des acteurs dont les préférences risquent de ne pas coïncider avec celles des citoyens. L’internationalisation de la gouvernance notamment accroît ce risque, en étendant les chaînes de délégation et en réduisant ainsi la congruence entre policy-makers et policy-takers, tout particulièrement en conduisant fréquemment à l’exercice de facto du pouvoir par des experts ou des acteurs privés dont l’accountability démocratique est pratiquement inexistante.   La démocratie participative requiert en fait l’implication soutenue des citoyens non seulement dans l’évaluation des outputs mais aussi dans la formulation des inputs dans les processus de décision. Dans une conception participative, c’est seulement si les citoyens se reconnaissent dans les décisions qui les contraignent qu’ils pourront développer un sentiment d’identification (ownership) suffisant pour consentir à la contrainte. Ce sont avant tout les procédures de démocratie directe qui correspondent à cette situation d’identité entre policy-makers et policy-takers. Quid alors de l’impératif de reddition des comptes dans cette situation participative caractérisée par l’absence d’usurpation et même de délégation volontaire du pouvoir ? Il ne disparaît pas pour autant, dans la mesure où de telles procédures ne sont pas à l’abri de la génération d’externalités négatives, que ce soit à l’égard de groupes non consultés, ou tout simplement à l’égard des générations futures. Il subsiste dès lors une obligation morale de produire des décisions other- et future-regarding (Offe et Preuss, 1990). Dans un système participatif, on peut aisément concevoir que la délibération publique contraigne les acteurs à intégrer cette dimension réflexive dans leurs décisions (Goodin, 2003b), car il est plausible que des forums exigeront que les acteurs rendent des comptes sur les conséquences de leurs choix. Toutefois, les citoyens ne seront véritablement contraints de justifier leurs choix que si leur vote est public. Si certains théoriciens sont favorables à la publicité du vote non seulement des représentants mais aussi des citoyens ordinaires (par exemple Brennan et Pettit, 1990), ceci n’est plus le cas dans notre univers politique, à l’exception de quelques town meetings et Landsgemeinden qui font désormais figure de curiosités historiques.
Bibliographie
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