Définition de l'entrée

Pour citer cet article :

Morvan, A. (2013). Recherche-action. In I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, & D. Salles (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/recherche-action-2013

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Un horizon théorique commun

Contester le clivage entre théorie et pratique

Les théorisations de la recherche-action considèrent l’expérience, l’action (ou l’activité) comme source de connaissance et assument une posture d’engagement du chercheur dans la transformation de la réalité (ou d’efficacité pratique de la recherche). Ce point assure l’unité intellectuelle par-delà les différences substantielles entre les familles de théories. Au-delà de cet horizon théorique commun, il faudra distinguer au regard de la question de la participation entre un modèle de recherche-action appliquée et un modèle de recherche impliquée. Dans le deuxième modèle cette contestation de la frontière entre théorie et pratique s’étend à celle du pouvoir du chercheur dans la production de connaissances.
L’apparition et l’utilisation de dispositifs de recherche-action sont imprégnées par des sources de pensée aux intentions distinctes et par bien des aspects opposés. Deux familles de théories en ont influencé le déploiement : l’influence anglo-saxonne du pragmatisme et de la psychologie sociale d’une part, l’importance du marxisme puis des théories et pédagogies critiques d’autre part.
La philosophie pragmatiste associée aux travaux de la psychologie sociale constitue une des sources d’inspiration des approches scientifiques utilisant les dispositifs de recherche-action dans un modèle de recherche dite « appliquée » c’est-à-dire de production d’un savoir utile dans l’action (modèle attribué à Lewin).
Aux États-Unis, James (médecin, psychologue, philosophe, enseignant en biologie) puis Dewey, élève de James (psychologue, philosophe), développent un courant qui confère une valeur à une théorie en fonction de son efficacité pratique. L’action occupe dès lors un autre statut dans la recherche : on ne peut découvrir certaines choses qu’en expérimentant.
Lewin (1890-1947) devient psychosociologue après avoir étudié les sciences et la philosophie. Juif allemand, il émigre aux États-Unis pour fuir le nazisme en 1934. Il est considéré comme l’un des premiers à utiliser la notion de recherche-action (Action Research) dans le monde savant au cours des années 1940. Son approche inspirée par la psychologie de la forme (Gestalt Theorie) s’inscrit dans le courant dynamique. À cette même période Von Bertalanffy développe l’approche systémique en biologie et surtout le behaviorisme devient la théorie dominante en psychologie aux États-Unis. Lewin utilise la notion de champ (empruntée à la physique) pour étudier des comportements humains dans un rapport d’interaction au sein de collectifs. Ses terrains de recherche, en pleine période de la deuxième guerre mondiale, ont pour objet les climats d’autorité et les habitudes alimentaires avec des dispositifs expérimentaux d’observations et d’analyse comparative des comportements collectifs. Il pratique les méthodes de training-group qui auront une large influence dans les années 1959-1960 sur le monde de l’entreprise (courant des relations humaines dans le management), de la formation et de l’animation. La Tavistock Clinic (puis le Tavistock Institute of Human Relations) poursuivra et diffusera en Europe ses travaux de recherche-action.
Le rôle ici assigné au chercheur est classique : celui d’expérimentateur avec la méthodologie des sciences exactes où les hypothèses sont élaborées a priori avec un dispositif expérimental correspondant. C’est le chercheur et son équipe qui doivent modifier la réalité sociale pour la connaître mais ces derniers restent seuls maîtres de la définition de la recherche et de son utilisation.

Vers une science de la praxis

Le deuxième modèle de recherche-action dit de « recherche impliquée » ou « recherche-action participative » (participative action research) tire son originalité de la contestation de la spécialisation du travail intellectuel avec la division qu’elle engendre. Cette orientation puise notamment dans les sources théoriques du marxisme, ainsi que des théories et pédagogies critiques.
Les premières expériences voient le jour également autour de la deuxième guerre mondiale, en France, aux origines du mouvement de l’analyse institutionnelle. Cette constellation de pensées et de pratiques forme un courant critique né d’interventions sur des terrains de critiques sociales (sociologie, sciences de l’éducation, psychiatrie…). Ces travaux ont en commun de créer des cadres de collaboration entre chercheurs et groupes concernés avec le souci que ces derniers fassent autorité sur le devenir des situations à partir des connaissances produites sur celles-ci. À la différence du modèle de Lewin, le chercheur a un rôle de ressource et d’aide à partir des difficultés présentées comme le point de départ de la recherche action. Dans les années 1940 en Lozère à Saint-Alban l’expérience de psychothérapie institutionnelle (Tosquelles, 1966) donne naissance à ce mouvement. L’analyse institutionnelle va regrouper ensuite une multitude d’écoles de pensées : de la psychothérapie à la pédagogie institutionnelle (Ardoino et Lourau, 1994). Ces écoles partagent une conception dialectique des institutions (Castoriadis, 1965 ; Lourau, 1970) à partir des concepts d’instituant, d’institué, d’institutionnalisation et de la notion d’intervention. Cette approche de la recherche-action vise à étudier à un niveau micro social comment les personnes dans le cadre de leurs activités quotidiennes peuvent réfléchir par eux-mêmes sur les forces qui agissent sur leur situation, quelle que soit l’origine de ces forces (de Freud à Marx : de l’inconscient individuel au dévoilement des forces politiques régissant une société) et comment cette dynamique peut infléchir l’institution.
Ce modèle défend l’implication des acteurs au processus de production des connaissances mais aussi sa finalité de transformation sociale. Il s’accompagne de la reconnaissance de la fonction politique de toute recherche en sciences sociales et le plus souvent d’un appel à la pluridisciplinarité voire à la multiréférentialité. La science produit de la discipline, il s’agit de critiquer la fragmentation des champs disciplinaires scientifiques et d’inscrire le travail intellectuel dans le développement historique plutôt que dans une position surplombante. Cette conception d’une science à visée émancipatoire prend appui sur les postulats de la théorie critique.
Ce modèle de recherche-action impliquée s’inscrit dans une perspective de démocratie épistémologique. Que le dispositif soit celui de l’entretien individuel ou collectif, d’auto-confrontations croisées, de groupes d’analyse des pratiques ou d’une observation participante, il s’agirait de soutenir la coproduction du sens des conduites en situation. Cette intention de rupture avec la pédagogie et la recherche traditionnelle a rencontré un terrain très favorable au département des sciences de l’éducation à l’université Paris 8 (théorisation de différents types de recherche action, notion de praticien-chercheur). En France, les Collèges coopératifs nés dans la mouvance de l’École pratique des hautes études avec Desroche (Desroche, 1991) ont développé avec une conception humaniste un modèle de formation d’adultes par la recherche-action faisant référence aux inspirations de l’éducation populaire et de l’éducation permanente.
Au sein de la sociologie clinique (Clot, Lhuilier) la clinique du travail s’inscrit dans la tradition des recherches-actions en rassemblant des perspectives qui ont en commun la même conception du rapport dialectique entre connaissance et action (psychodynamique du travail, Lhuilier, 2007). Cette conception est fondée sur l’hypothèse que des savoirs de portée générale peuvent être produits à partir de l’expérience directe des acteurs et relativement à des situations singulières. Action et connaissance sont alors inséparables pour développer le pouvoir d’agir des travailleurs qui le souhaitent.
Dans cette orientation, Carr et Kemmis (1986) conçoivent la recherche-action comme une science de la praxis entendue comme action informée et impliquée, en référence à la notion marxienne telle qu’élaborée par Habermas (école de Francfort, théorie critique). Ainsi conçue en accentuant l’orientation démocratique, la recherche-action se veut libératrice dans la mesure où le groupe de praticiens se responsabilise en s’auto-organisant en vue de sa propre émancipation par rapport aux habitudes irrationnelles, bureaucratiques de coercition. La présence d’un courant que j’appellerais « critique » de recherche-action se manifeste ainsi à partir des années 1970 puis dans les années 1980 notamment en Allemagne, en France, en Suisse, aux États-Unis, en Amérique Centrale et du Sud, en Grande-Bretagne ou au Canada (Sanford en Californie aux États-Unis, Freire au Brésil, Fals Borda en Colombie).
 

Des usages mineurs et controverses

Les usages du mot révèlent un intérêt tant de la part de chercheurs que de praticiens de différents domaines d’activité (éducation, social, santé,…) et d’acteurs publics. Mais son utilisation reste suspecte dans les sciences humaines dites nobles du fait de l’implication reconnue du chercheur.
Son usage concerne notamment des mondes invisibilisés ou peu reconnus : recherche-action par exemple sur le travail d’urgence avec des squatters, ou avec des parents d’enfants en situation de handicap. Cette configuration de départ peut justifier la critique formulée à l’endroit de ces démarches au titre de la survalorisation du terrain ou du risque d’idéalisation des groupes dominés (Grignon et Passeron, 1989) voire des pratiques étudiées (utiliser les ressorts scientifiques pour défendre une pratique).
L’utilisation de dispositifs de recherche-action est privilégiée également lorsqu’il s’agit de transformer et d’interroger les institutions et leurs pratiques : acteurs sociaux devenus chercheurs ou politiques publiques en quête d’acteurs réflexifs (voir l’appel à recherche-action du secrétariat d’État à l’économie sociale et solidaire en 2003 en France).
Ces usages multiples de la notion de recherche-action facilitent le premier type de glissement et le plus repérable : l’instrumentalisation. Dans la suite des travaux de Lewin, un courant de recherches s’est appliqué à promouvoir un changement des relations humaines dans les organisations (Mouvement Organization Development). Les prétentions à des résultats en recherche fondamentale se sont éloignées au profit d’un rôle d’agents de changements, qui plus est dans une logique d’adaptation aux réquisits (performance, productivité) des directions d’entreprises. Dans d’autres cas de figures, l’analyse de pratiques peut aussi prendre le pas sur l’effort de théorisation, l’invention de nouveaux concepts, le positionnement de chercheurs.
La question que pose ce type de pratique renvoie au caractère inédit des connaissances produites. Ce type d’approche permet-elle de mieux comprendre, connaître, les réalités en question ?

L’asymétrie des légitimités sachantes

Le processus de production de connaissances et la contribution qu’en retirent les sujets sont deux effets mutuellement dépendants et souhaités de la recherche-action. C’est le questionnement central et épistémologique sur le rapport entre savoirs universitaires et savoirs profanes, souvent décliné en termes de degré de radicalité ou de critique à l’égard des pratiques scientifiques dominantes. Les recherches-actions sont démarquées en fonction de ce critère de la participation, entre le modèle type de Lewin avec des méthodes de recherche appliquée (recherche>action) et des nouvelles recherches-actions (travaux de Carr et Kemmis) à l’initiative d’un groupe d’acteurs (action>recherche) qui représenterait un renversement de la place et de l’usage des sciences.
Cette articulation entre savoirs savants et endogènes s’effectue par ailleurs dans un régime de coproduction inégalitaire de savoirs. Jusqu’où la division du travail des tâches est-elle remise en cause et quid des bénéfices, des intérêts en jeu ? Peu de travaux de recherche explicitent les conflits entre ces légitimités. La question du contenu et des modes d’apprentissage dans la recherche-action (tout comme celle de l’accompagnement) fait partie des impensés.
Quelques chercheurs font en outre état de leurs questions sur la composition des groupes dans la recherche-action. Qui participe et avec quel intérêt au titre de la communauté concernée par le problème de départ ? D’autres difficultés repérées sont liées aux entretiens de groupes et à leur animation conflictuelle en présence de différents statuts et identités (y compris lorsqu’il s’agit de discipline et corpus variés et parfois divergents).

Théoriser la dimension émancipatrice

Chaque recherche de ce type est confrontée au problème de la théorisation du lien entre recherche et transformation sociale ou éducative.
Si une partie des usages de la recherche-action se targuent de visées émancipatrices et transformatrices, certains travaux restent aux portes de l’action et la plupart n’éclaircissent pas les implicites du changement visé. Qui formule la demande ou la commande de départ ? Dans l’intérêt de qui les connaissances sont-elles produites ? Que signifie le terme action ? Quels sont les liens entre les modifications des représentations et la transformation des pratiques (Mesnier et Missotte, 2003) ?
L’absence de théorisation de la dimension de transformation affaiblit le travail de recherche. En n’élucidant pas ces aspects, la recherche-action risque de servir à manipuler les groupes concernés dans les décisions prises les concernant : construire l’acceptabilité de changements programmés. Or, pour les recherches-actions à visée émancipatrice, le travail d’élaboration proposé dans cette démarche ne devrait être validé que s’il permet de renforcer le pouvoir d’agir des groupes sur eux-mêmes et sur les situations problèmes auxquelles ils sont confrontés.

Bibliographie
ARDOINO J., LOURAU R., 1994, Les Pédagogies institutionnelles, Paris, Presses universitaires de France. BARBIER R., 1996, La Recherche action, Paris, Anthropos. BOUMARD P., 1989, Les Savants de l’intérieur, Paris, Armand Colin. CARR W., KEMMIS S., 1986, Becoming Critical: Education, Knowledge, and Action Research, Londres, Falmer Press. CASTORIADIS C., 1965, « Marxisme et théorie révolutionnaire », Socialisme et Barbarie, no 36, p. 1-25. DESROCHE H., 1991, Entreprendre d’apprendre. De l’autobiographie raisonnée aux projets d’une recherche-action, Paris, Éd. Ouvrières. GRIGNON C., PASSERON J-C., 1989, Le Savant et le populaire : misérabilisme et populisme en sociologie et en littérature, Paris, Gallimard. HUGON M-A., SEIBEL C., 1988, Recherches impliquées, recherches-actions : le cas de l’éducation, Paris, De Boeck-Wesmael. KEMMIS S., 1993, « Action Research and Social Movement: A Challenge for Policy Research », Education Policy Analysis Archives [en ligne], vol. 1, no 1, http://epaa.asu.edu/ojs/article/view/678/800 (accès le 03/04/2005). LAPASSADE G., 1989, « Recherche-action externe et recherche-action interne », Pratiques de Formation/Analyses, université Paris 8, formation permanente, no 18, p. 17-41. LHUILIER D., 2007, « Penser le travail », Nouveaux regards, no 37-38, p. 14-16. LIU M., 1997, Fondements et pratiques de la recherche-action, Paris, L’Harmattan. LOURAU R., 1970, L’Analyse institutionnelle, Paris, Éd. de Minuit. MESNIER P-M., MISSOTTE P. (dir.), 2003, La Recherche-action, une autre manière de chercher, se former, transformer, Paris, L’Harmattan. TOSQUELLES F., 1966, « Pédagogie et psychothérapie institutionnelle », Revue de psychothérapie institutionnelle, no 2-3.