L’
information du public, c’est-à-dire l’accès par les populations concernées à des données sur un projet d’aménagement ou un établissement à
risque est un pré-requis de la
concertation, et à plus forte raison de la participation au sens plein du terme. Non seulement la qualité de l’
information, donnée ou obtenue, conditionne la mobilisation, mais elle fournit aussi une substance décisive pour mettre en
débat public ces enjeux et susciter une éventuelle contre-expertise. Dans les années 1950, aux États-Unis et en Scandinavie c’est en tant que pré-requis à l’exercice du droit fondamental à l’expression que les droits à l’
information ont d’abord été reconnus. Il s’agissait de nouveaux droits-créances pour les
citoyens vis-à-vis de l’État, afin de leur permettre d’exercer pleinement leur capacité civique.
En France, dans les années 1970, les combats des associations pour l’accès à l’
information concernant l’activité des centrales nucléaires ou les projets de grands aménagements (mission interministérielle d’aménagement de la Côte d’Aquitaine, parc de la Vanoise) ont eu un rôle décisif dans les luttes environnementales. Ce type de revendication a été progressivement étendu à beaucoup d’autres enjeux (air, eau, etc.). Cependant, dans l’esprit des décideurs l’
information a longtemps été synonyme de participation. La loi de 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement qui assimilait les deux témoigne de cette réduction (Cans, 1995). Il fallut attendre la loi sur la
démocratie de proximité (2002) puis la charte constitutionnelle de 2005 pour que ces deux activités soient distinguées. L’article 7 est ainsi formulé : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux
informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ».
Historique
Les origines de l’accès aux
informations environnementales sont anciennes avec les enquêtes commodo et incommodo liées aux nuisances des établissements classés (1810) et les enquêtes publiques en matière d’expropriation (1833). Mais ces procédures sont restées longtemps très formelles et apportant peu de contenu informatif. Il fallut attendre une réforme de 1983 pour qu’une
information de meilleure qualité permette, dans une certaine mesure, l’amorce de
débats publics. À grands traits on peut dessiner une évolution en trois étapes :
-
depuis le XIXe siècle l’exercice du pouvoir s’effectuait par un prélèvement d’informations sur le social (statistiques, enquêtes sociales) et par leur centralisation en vue de préparer les décisions politiques. L’idéologie de l’intérêt général et sa forme extrême la raison d’État légitimaient cette dissymétrie et l’opacité des critères de décision. Le développement des États providence et l’intense interventionnisme qui l’a accompagné ont fait évolué les relations entre l’État et la société civile. Le néo-corporatisme, l’interpénétration croissante des espaces publics et privés ont rendu nécessaire un assouplissement des rapports gouvernants/gouvernés ;
-
durant les années 1970, sous couvert de modernisation et de démocratisation, de nouveaux instruments sont venus assurer une meilleure fonctionnalité de la gestion publique et ont relégitimé le monopole de définition du bien commun et d’exercice de la force par les institutions. Une nouvelle forme de libéralisme politique prend forme et de nouveaux droits subjectifs sont reconnus aux citoyens, en particulier pour l’accès aux données informatiques et aux documents administratifs. La loi Informatique et liberté (janvier 1978) et celle sur l’accès aux documents administratifs (juillet 1978) consacrent cette évolution (aussi dans des secteurs moins connus mais sensibles : janvier 1979 sur l’accès aux archives et juillet 1979 sur l’obligation de motiver les décisions administratives). Un nouveau type de relation est ainsi établi entre le droit à l’expression politique et le droit à l’information ;
-
une troisième étape intervient dans les années 1980 dans un sens encore plus favorable aux citoyens. Le droit à l’information qui était jusqu’alors un droit d’accès nécessitant un rôle actif du citoyen, évolue avec la création d’obligations d’informer pesant désormais sur les acteurs forts, l’État, puis les entreprises et les concepteurs de projet d’aménagement. C’est le cas pour les gestionnaires d’établissement à risques (centrales nucléaires, centres d’enfouissement et de stockage de déchets industriels et nucléaires, établissements classés Seveso, etc.) (Jamay, 1998). Sous une forme proche l’introduction de plans d’exposition aux risques naturels (1982, 1987) relèvent de la même démarche d’information obligée. Ce type d’obligation a été depuis étendu à de nombreux enjeux (qualité de l’air, des eaux, usage de substances chimiques, etc.) et cela sous l’influence principale de dispositions internationales. Aux États-Unis on parle de mandatory disclosure (obligations de révéler) qui ont été multipliés pour le contrôle de la qualité de l’air et de l’utilisation des produits chimiques (produits de consommation, diffusion dans l’environnement : eau, air, sol) (Barbach et Kagan, 1992). En Europe, un pas décisif a été accompli avec la directive de l’Union européenne énonçant un droit général à l’information environnementale (juin 1990) et son renforcement par celles de 2003 (janvier pour l’information, mai 2003 pour la participation à l’élaboration des politiques). Le principe numéro 10 de la convention de Rio (1992) et surtout la convention d’Aarhus (1998) ont encore renforcé ces dynamiques. Cette dernière montre le caractère indissociable des activités liées à la mobilisation des mouvements sociaux en combinant dans ses mesures les obligations d’information, de concertation et les possibilités de recours judiciaire contre les obstacles et lacunes en ces domaines.
Effets
La question la plus sensible concerne les effets de l’
information des publics en matière environnementale. La question reste discutée et elle est envisagée sous différents angles.
Tout d’abord, s’agissant des décideurs, Bruno Dente (1995) a été un des premiers auteurs à avoir conceptualisé cette question. Il soulignait les spécificités des politiques publiques environnementales (transectorielles, multi-acteurs et dépassant le cadre des
territoires nationaux) et les conséquences de ces particularités sur le choix des instruments de régulation possibles. Selon lui, les modes d’action réglementaire et fiscaux classiques lui paraissaient en voie de dépassement et il soulignait l’importance croissante des instruments incitatifs s’efforçant de mobiliser directement les destinataires de l’action publique, dont l’
information et la participation. D’autres travaux, moins normatifs, ont analysé les effets de la diffusion en matière de
risques (Le Bourhis, 2007). Ils montrent que le changement de politique intervenu au
milieu des années 1990 où l’État a pris l’initiative de dire le
risque en objectivant les menaces a suscité de fortes réactions négatives des acteurs locaux. Ces cartes d’exposition aux
risques ont ainsi renforcé l’
information, mais l’ont aussi brouillée en raison des négociations tortueuses sur le choix des tracés des zones. Yannick Rumpala (2003) a de son côté développé une approche critique en soulignant surtout la volonté de disciplinarisation des conduites et le transfert de responsabilité de la puissance publique vers les acteurs économiques et les consommateurs devenus des acteurs centraux dans des politiques comme celle de gestion des déchets ménagers. On pourrait dire aujourd’hui la même chose à propos des incitations à la consommation d’énergie via les labels, etc. Enfin, Rumpala analyse ces nouveaux instruments d’action publique comme une forme de légitimation de l’action publique technocratiques classique par des affichages de
transparence et de mise en débat.
Ensuite, des travaux surtout anglo-saxons ont porté sur les effets des obligations d’
information. Si les destinataires apparents de ces techniques sont les
citoyens, ce sont en fait les opérateurs (industriels et aménageurs) qui seraient les plus sensibles à ces effets. Les instruments informatifs (listes,
warnings, données en ligne, etc.) les conduiraient à agir comme s’ils étaient en permanence sous le contrôle de publics plus ou moins concrets. La loi californienne de
Safe drinking water and toxic enforcement act (1986) repose sur ces principes (Pease, Zeise,
et al., 1990). La diffusion de l’
information serait ainsi un moyen de pression incitant à l’adoption de pratiques plus respectueuses des normes environnementales par crainte des dénonciations publiques, des campagnes de presse et des contentieux. Le souci de préservation des réputations, mais aussi de la cohérence interne d’une entreprise serait de nature à exercer une pression sur les pratiques professionnelles.
Enfin, l’
information est toujours construite. Elle est une mise en forme, produit de sélections et d’accentuations. Elle induit souvent une problématisation particulière de l’enjeu dans la mesure où elle hiérarchise des variables et peut aller jusqu’à induire un système explicatif. D’où l’interrogation sur la portée de l’
information dans les dynamiques de participation. Certes, elle est à l’évidence un facilitateur. L’
information partagée distribue des ressources dans des contextes où prévaut souvent une grande dissymétrie entre les acteurs. De plus, elle permet des alertes et donne prise à des
argumentations. Mais d’un autre côté, différents travaux ont montré plusieurs limites (Lascoumes et Rumpala, 2002). Tout d’abord, l’
information suppose une certaine schématisation : les dimensions les plus controversées, les phénomènes minoritaires trouvent difficilement leur place dans des documents, surtout s’ils sont formatés pour le grand public. Ensuite, l’
information et les réductions qu’elle suppose est génératrice de tensions entre le souci de rigueur scientifique ou technique (explicitations de concepts et de méthode), et le besoin d’efficacité politique (diffusion de messages intelligibles pour les destinataires censés en retirer des lignes de comportement). Enfin, l’usage des
informations par les groupes concernés et les effets d’interaction lors des échanges entre groupes demeure le plus souvent en « boîte noire » dans les travaux sur la participation (Mazeaud, 2006 ; Lascoumes, 2011).