Définition de l'entrée

La participation conservatrice conforte un ordre social et politique inégalitaire. Au sein des dispositifs participatifs, elle est un des éléments d’un répertoire d'action plus général et porté par des groupes conservateurs qui se déploie dans et hors des institutions, intégrant depuis une dizaine d'années des formes protestataires désormais routinisées comme la manifestation.

Pour citer cet article :

Della Sudda, M. (2022). Participation conservatrice. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/participation-conservatrice-2022

Citer

La participation politique désigne habituellement l’engagement citoyen dans l’arène électorale, institutionnelle et sous d’autres formes. Sa forme électorale, conventionnelle et instituée, n’est qu’une dimension de la participation démocratique. Sans autre qualificatif, elle renvoie aux dispositifs non-électoraux mis en place pour inclure des publics et groupes sociaux mal représentés par les canaux habituels de la démocratie représentative, suscitant des débats sur son rôle d’adjuvant, de complément ou au contraire d’obstacle. La participation conservatrice se présente de prime abord comme n’allant pas de soi : elle renvoie à l’engagement en faveur d’un projet politique attaché à l’ordre existant (conservatisme) ou à un ordre traditionnel passé à restaurer (restitutionnisme), dans lequel l’engagement démocratique n’est pas central, trahissant en cela ses origines. Plus spécifiquement, elle désigne dans le champ des études de la participation « toutes les fois où des dispositifs de participation citoyenne contribuent à la reproduction de l’ordre social et politique » (Gourgues et Le Mazier, 2021 : 9). En effet, le conservatisme politique moderne naît en réaction à la Révolution française et bascule à droite en 1880, après la stabilisation de la Troisième République (Rouvillois, Dard et Boutin, 2017). Cette doctrine politique traversée de tensions, est portée par des groupes sociaux « dominants » (Agrikoliansky et Collovald, 2014), occupant des positions socio-économique avantageuses et dotés de capitaux culturels qui participent davantage aux élections et à la décision publique au sein des différentes instances.

Protestations conservatrices et croisades morales

L’engagement conservateur au sein de partis politiques ou sous forme de participation électorale est bien documenté par la littérature scientifique. En France, ce courant politique doit souvent composer au sein des droites avec le libéralisme. Mais dernièrement l’élection présidentielle de 2017 a été marquée par la présence d’un conservateur assumé comme candidat de la droite, François Fillon. D’autres modalités caractérisent la participation conservatrice. Inattendue pour des groupes attachés au respect de l’ordre public et des institutions, la participation dite « non-conventionnelle », protestataire en dehors des urnes, a pris des formes spécifiques pour défendre des causes essentiellement morales. Aux Etats-Unis, les ligues de tempérances portées par des groupes sociaux dominants au début du XXe siècle s’engagent dans une « croisade symbolique » quand leurs valeurs sont menacées par de nouvelles élites capitalistes plus libérales (Gusfield, 1986). Ces croisades morales se traduisent par l’usage d’un répertoire d’action spécifique à visée essentiellement symbolique et culturelle - pétition, placards, presse - et, plus exceptionnellement, recourant à la manifestation.

La manifestation de droite

Le clivage religieux qui marque la construction de l’Etat-Nation en France situe la droite conservatrice en opposition aux politiques de laïcité (1880-1905). Typique de la mobilisation conservatrice, la « Manifestation des mères de familles » sur la place de la Concorde en juillet 1902 inaugure un rite protestataire exceptionnel pour s’opposer à la laïcisation de l’instruction publique et défendre les congrégations religieuses soumises à un décret d’autorisation. Organisée par la Ligue patriotique des Françaises et des notables d’un parti politique conservateur, l’Action libérale populaire, en accord avec la Préfecture de police de Paris, elle se caractérise par une gestion de l’ordre public assurée conjointement par les forces de l’ordre et le service d’ordre. En France, la manifestation de droite emprunte un parcours distinct de celui des cortèges de syndicats ouvriers et d’organisations de gauche, arpentant les beaux quartiers, familiers et proches des lieux de pouvoir politique (Tartakowsky, 2014) : la Concorde située entre l’Assemblée nationale et l’Elysée, ou la rive gauche parisienne. Pour être efficaces, ces cortèges demeurent exceptionnels, à la hauteur des enjeux, et soigneusement encadrés, comme la manifestation pour « l’école libre » en 1984.

Appropriations conservatrices de formes de participation progressiste

On observe une continuité avec les cortèges qui rassemblent en 2012-2013 les organisations catholiques de défense de la famille contre le mariage pour les couples homosexuels. Cette coalition d’organisations principalement composée de catholiques adopte un cadrage séculier et opère une patrimonialisation de certains enjeux jadis portés par la gauche : la laïcité et la République (Raison du Cleuziou, 2019). Exceptionnelle et pratiquée par des groupes marginaux, la manifestation de droite s’est désormais routinisée au terme d’un travail de légitimation mené par des entrepreneurs de mobilisation professionnalisés recourant à une « rhétorique réactionnaire » (Hirschman, 1991) qui utilise les cadrages de leurs opposants pour en subvertir le contenu. Ainsi « Mon corps, mon choix » est-il le mot d’ordre de la Marche pour la vie - cette coalition contre l’avortement qui manifeste annuellement en janvier - en 2021 pour s’opposer à l’extension du délai d’interruption de grossesse. L’usage des techniques modernes de communication signe également la participation conservatrice : des lanternes lumineuses utilisées au début du XXe siècle pour la propagande, aux réseaux sociaux, en passant par le cinéma, les technologies avancées ont fait partie des moyens de communication politique employés par les groupes conservateurs et notamment catholiques.

L’impératif participatif et la participation conservatrice

Le « tournant participatif » des politiques publiques a ouvert une opportunité d’engagement pour des groupes conservateurs défenseurs des valeurs traditionnelles. Ainsi, des militantes et militants de la Manif pour tous et d’autres groupes opposés à la procréation médicalement assistée - pour les femmes célibataires ou en couple avec une femme - ou encore à la possibilité de choisir sa fin de vie ont investi les consultations préalables à la réactualisation du projet de loi bioéthique en janvier 2018. Ce mode d’intervention requiert une implantation locale et des dispositions à la participation - socialisation et disponibilité - caractéristiques des personnes engagées dans les rangs de la Manif pour Tous ou des associations catholiques impliquées : les habitus et caractéristiques sociales des personnes urbaines et diplômées, leur permettent de se saisir aisément des dispositifs participatifs. Les opposantes et opposants à la loi Taubira (2013) sur le mariage des couples homosexuels avaient fait preuve de leur capacité à utiliser les différents dispositifs participatifs tels que la pétition citoyenne de 700 000 signature adressée au Conseil économique social et environnemental (CESE) en février 2013 pour avoir un avis sur le texte de loi. Quelques années plus tard, les Cahiers de doléances citoyennes ouverts à l’initiatives de l’association des Maires ruraux de France puis du Président de la République avec le « Grand Débat » entre janvier et mars 2019 ont été l’occasion de porter quelques contributions sur ces sujets. En dépit de la participation massive de ces groupes à la consultation en ligne du CESE pour définir les thèmes du Grand débat national, faisant de l’abrogation de la loi Taubira (5600 votes) une préoccupation majeure de la consultation - en dépit de son absence dans les demandes des Gilets jaunes (Collectif de recherche citoyenne sur les doléances et al., 2022 ; Collectif d’enquête Jaune Vif et al. 2019) -, le gouvernement choisit de ne pas inclure les thèmes relatifs à la sexualité dans le Grand débat. La portée limitée de la participation conservatrice dans ces dispositifs participatifs témoigne d’un usage instrumental de ces outils d’inclusion du public. D’autres formes de participation directe, en dehors des institutions, caractérisent les groupes conservateurs plus jeunes, diplômés et affichant une radicalité assumée dans leurs engagements.

Une politique préfigurative conservatrice ?

La crise écologique qui caractérise l’ère contemporaine a produit des effets sur les modes de participation conservatrice en légitimant des pratiques jadis marginales et portées par des groupes radicaux. Si la sobriété et la tempérance peuvent être revendiquées par des conservateurs et la droite religieuse, elles sont érigées en principes éthiques et politiques guidant une politique préfigurative conservatrice (Ebin, 2021). Prenant acte de l’incapacité des institutions politiques à porter les transformations impérieuses sur le plan moral et environnemental, des collectifs conservateurs ou de droite radicale empruntent les voies d’une action transformatrice, immédiate et en dehors des institutions d’abord pensée pour l’engagement révolutionnaire et radical à gauche (Boggs, 1977). Cette radicalité est assumée dans l’écologie intégrale revendiquée par les protagonistes des Veilleurs, qui se définissent comme des « écolos conservateurs » (Gianoncelli, 2020). C’est ainsi que la Bénisson-Dieu, éco-hameau où se sont installés des fondateurs de la revue écologiste conservatrice Limite est devenue un lieu alternatif où se renouvelle l’engagement communautaire (Carle, 2017). Les Antigones, ce collectif militant non-mixte engagé à partir de 2013 pour restaurer la « féminité » menacée par les politiques d’égalité de genre, le féminisme et le capitalisme libéral, promeut également un style de vie « enraciné », centré sur des petites communautés, à partir duquel reconstruire une société politique, pour faire advenir ici et maintenant leur projet politique (Della Sudda, 2022).

Bibliographie

Agrikoliansky, Éric, et Annie Collovald. 2014. « Mobilisations conservatrices : comment les dominants contestent ?, Conservative Mobilizations: How Dominant Groups Protest? » Politix, no 106 (décembre): 7‑29.

Boggs, Carl. 1977. « Marxism, Prefigurative Communism, and the Problem of Workers’s Control ». Radical America, no 11‑12: 98‑122.

Carle, Zoé. 2017. « Contre-révolutions écologiques ». Revue du Crieur 8 (3): 44‑61.

Collectif de recherche citoyenne sur les doléances, Magali Della Sudda, Danielle Lefebvre, Gilbert Lefebvre, Nathan Gaborit, Stéphane Mestre, Nicolas Patin, et Marcel Guilhembet. 2022. « Les cahiers de la colère : une trace dans le sillage des Gilets jaunes ». Le Monde diplomatique, juin, 20.

Collectif d’enquête Jaune Vif et al. 2019. « Enquêter in situ par questionnaire sur une mobilisation ». Revue francaise de science politique 69 (5): 869‑892.

Della Sudda, Magali. 2022. Les « Nouvelles femmes de droite ». Faits & Idées. Marseille: Hors d’atteinte.

Ebin, Chelsea. 2021. « Tomorrow’s Past Today: Prefigurative Politics and the Christian Right ». Présenté à Conference for research on male supremacism and right-wing movements, On-line, mai 14.

Gianoncelli, Ève. 2020. « Des racines du socialisme à la politique chrétienne par la racine : l’union radicale conservatrice et ses limites ». Mots. Les langages du politique n° 123 (2): 29‑46.

Gourgues, Guillaume, et Julie Le Mazier. 2021. « Participations à l’ordre et participations conservatrices ». Participations 29 (1): 7‑40. https://doi.org/10.3917/parti.029.0007.

Gusfield, Joseph R. 1986. Symbolic Crusade: Status Politics and the American Temperance Movement. Urbana: University of Illinois Press.

Hirschman, Albert Otto. 1991. Deux siècles de rhétorique réactionnaire. Traduit par Pierre Andler. Paris: Fayard.

Raison du Cleuziou, Yann. 2019. Une contre-révolution catholique: aux origines de La Manif pour tous. Paris, France: Éditions du Seuil.

Rouvillois, Frédéric, Olivier Dard, et Christophe Boutin. 2017. Le dictionnaire du conservatisme. Paris, France: Les éditions du Cerf.

Tartakowsky, Danielle. 2014. Les droites et la rue: histoire d’une ambivalence, de 1880 à nos jours.

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