Management participatif
Charles, J, Zimmermann, B. (2013). Management participatif. In I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, & D. Salles (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/management-participatif-2013
Le management participatif relève de la problématique plus large de la participation des salariés dans l’entreprise. La participation des salariés recouvre des acceptions variées et transite par des dispositifs aussi divers que l’information et la consultation, les délégués du personnel, la négociation collective, les comités d’entreprise, l’autogestion, les équipes semi-autonomes, les groupes d’amélioration continue, ou encore l’intéressement financier aux résultats. Parmi les essais typologiques tentant de classer ces différentes formes, on retiendra la distinction qu’opère Dominique Martin (1995) entre la « citoyenneté dans l’entreprise » et la « citoyenneté de l’entreprise ».
La première recouvre essentiellement des formes de participation indirecte fondée sur la médiation collective et la représentation syndicale. Elle s’appuie sur l’octroi de droits aux salariés par le biais de la négociation collective ou de la législation et privilégie une conception de l’entreprise comme un espace mixte de coopération et de conflit. Par contraste, la « citoyenneté de l’entreprise » n’a pas de fondement juridique. Octroyée à l’initiative du management, elle favorise la participation directe des salariés et promeut une conception de l’entreprise comme un espace de coopération, totalité souveraine, dont chacun serait co-entrepreneur indépendamment de sa position hiérarchique. Nous retiendrons cette participation directe comme trait distinctif du management participatif, nuançant le propos de David Hall (1992) qui considère que « le management est toujours participatif ». Si le management vise invariablement la mobilisation des salariés, il ne favorise cependant pas nécessairement l’expression directe des salariés.
Le management participatif a été développé, dans un premier temps, en réponse aux effets démobilisateurs du taylorisme (1). Parmi ses expressions historiques les plus connues, le toyotisme cherche à accroître la productivité et à lutter contre l’absentéisme par l’implication des salariés dans l’optimisation de l’organisation et l’environnement de travail (2) ; le modèle socio-technique scandinave accorde quant à lui, aux côtés des considérations économiques et productives, une importance égale aux dimensions sociales de la relation de travail (3). Valorisation des dimensions humaines du travail et accroissement de la performance individuelle et collective coexistent ainsi dans le management participatif. C’est pourquoi lorsqu’il ne se déploie pas dans l’antagonisme à la participation par délégation syndicale, des formes hybrides de participation peuvent se développer dans l’entreprise (4). Cela amène à poser la question de la fonction politique du management participatif et des rapports entre travail et démocratie qu’il instille (5).
Le taylorisme et ses limites
Dans l’organisation taylorienne, exécution et conception du travail ne sont pas seulement distinguées mais, plus encore, la première est entièrement soumise à la seconde. Assujetti à des principes scientifiques, le travail est décomposé en opérations élémentaires chronométrées. Officiellement, la participation des travailleurs se déploie alors à travers la négociation collective et porte sur des contenus généralement délimités par le droit du travail. Il n’en reste pas moins que, dans l’atelier, le travailleur est impliqué dans la gestion du geste productif au-delà du travail prescrit, dans une participation « clandestine » (Borzeix et Linhart, 1988). Cet engagement dans la gestion des aléas inévitables du processus de travail est en effet dénié par l’organisation qui perçoit l’« opérateur » comme simple exécutant de consignes prédéfinies. En outre, il sera reproché à la spécialisation inhérente au taylorisme une parcellisation de l’activité conduisant à des effets inverses de ceux escomptés en termes d’augmentation de la productivité. Bref, le taylorisme est considéré par ses critiques comme étant à la fois inefficace et déshumanisant (Friedmann, 1964).
C’est pour remédier à ces « dysfonctionnements » que se développeront d’autres modalités d’organisation du travail, orientées vers une « meilleure » participation des travailleurs, laquelle laisserait place à l’innovation et aux compétences personnelles broyées par le taylorisme. Sera alors valorisée une organisation flexible, ouverte à la communication et à l’initiative, qui prendra des formes différentes dans le toyotisme et les modèles inspirés de la démocratie industrielle scandinave.
Le toyotisme
Deux principes sont à la base de la « chasse aux gaspillages » que vise le toyotisme pour accroître la productivité : le juste-à-temps et l’auto-activation (ou automatisation) de la production. Le premier consiste, en se calant sur la demande du client, à faire parvenir sur la chaîne de montage les éléments voulus, au moment voulu et dans la quantité voulue : c’est le principe du flux tendu, largement diffusé sous l’expression de lean production. L’automatisation se réalise pour sa part en dotant les machines de systèmes de repérage des anomalies, couplés à des mécanismes d’arrêt automatique. Ce principe est, par extension, appliqué aux opérations des travailleurs. Le toyotisme va dès lors de pair avec une forte standardisation des processus de production : ce sont les écarts aux standards qui seront considérés comme anomalies. Les deux principes contribuent ainsi à une « visibilisation » des problèmes qui, dans l’organisation taylorienne, étaient gérés clandestinement. L’augmentation de la productivité requiert que les travailleurs recherchent collectivement des solutions pour atteindre les objectifs de réduction de coûts imposés par la direction. Cet engagement dans l’« amélioration continue » induit une implication et une responsabilisation accrue des salariés.
Les indicateurs de mesure sont au cœur de cette réorganisation du travail. En effet, dans le contexte de reconstruction de l’économie japonaise au sortir de la seconde guerre mondiale, des experts américains sont sollicités pour accroître la qualité de la production industrielle et transmettre les méthodes statistiques du Quality Control aux top et middle managers des grandes industries japonaises. L’analyse décentralisée est utilisée pour révéler les causes des problèmes industriels et envisager des solutions réparatrices. Par la suite, un enseignement statistique de base est dispensé aux ouvriers et contremaîtres. C’est dans ce contexte que, au cours des années 1960, les cercles de contrôle qualité prennent leur envol en tant que réunions régulières d’une dizaine de travailleurs volontaires visant à résoudre les problèmes qu’ils ont eux-mêmes décelés dans l’atelier en s’appuyant sur les outils statistiques (essentiellement l’écart-type). Au-delà de l’engouement limité dans le temps suscité par les cercles de qualité, ce type de cadrage de la participation par des objectifs mesurés par des indicateurs statistiques est aujourd’hui largement répandu dans le monde du travail (Charles, 2012).
La démocratie industrielle scandinave
La démocratie industrielle participative s’est développée sur la base d’un double constat. Le premier, commun au toyotisme, relève les dysfonctionnements du taylorisme en matière de rendement productif. Le second, qui lui est propre, pointe les limites des mécanismes de participation représentative, avec des délégués souvent pris en porte-à-faux entre la direction et leur base, et se préoccupe d’améliorer la participation des salariés au pilotage politique de l’entreprise. Cette double quête d’efficacité économique et de développement social fait l’originalité de la démocratie industrielle expérimentée en Norvège et en Suède dans les années 1960. On parle de « système socio-technique » pour caractériser cette optimisation conjointe du social et du technique (Martin, 1994). Un trait distinctif de ce système est d’avoir été soutenu par les pouvoirs publics, les directions d’entreprises et les organisations syndicales, faisant de la participation directe des salariés un choix de société.
Parmi les principes au fondement des systèmes socio-techniques comptent l’enrichissement des tâches, l’extension de l’autonomie et la responsabilité des salariés, la prise en compte du niveau d’estime de soi généré par le travail, l’ouverture des tâches sur un « futur désirable » (Thorsrud, 1975). Les moyens utilisés à ces fins sont, outre la réorganisation du travail (polyvalence, équipes semi-autonomes…), la réduction des niveaux hiérarchiques, la mise en place de formes spécifiques d’expression ouvrière associant par exemple les ouvriers à la définition des objectifs de production et, dans le cas suédois, une politique ambitieuse de formation continue et de développement des compétences. Ici, la fonction du management participatif n’est donc pas seulement technique : elle est aussi politique en contribuant à la création d’espaces de régulation conjointe du travail (Reynaud, 1988), et sociale en favorisant le développement professionnel des salariés.
Participation et pluralité des dispositifs
Les deux voies de sortie du taylorisme esquissées ici ont donné lieu à des modalités de réception et de transfert très variées hors de leurs contextes d’origine. Ainsi en France, malgré les lois Auroux qui ont instauré en 1982 les cercles de qualité en vue de l’amélioration des droits des travailleurs et de leur citoyenneté dans l’entreprise, le management participatif ne s’est jamais développé à grande échelle de manière durable. Dans un contexte de double méfiance patronale et syndicale une fois passé le premier engouement, l’étiolement des cercles de qualité peut être analysé comme le résultat d’un plaquage de dispositifs ex post sur des organisations existantes peu enclines à remettre en question leur fonctionnement. La participation s’en est trouvée enfermée dans des lieux en aval de la production et limitée à des cercles de discussion sans prise sur le travail effectif. Elle peut alors être comprise, au moins partiellement, comme une volonté de valoriser l’image de marque de l’entreprise et de faire place à des contributions des salariés sans remettre en question les lignes hiérarchiques (Chevalier, 1991).
Des formes originales de management participatif se sont néanmoins développées de manière ponctuelle en France. Prenons l’exemple de cette entreprise suédoise de poids lourds dont le management du site français s’est forgé à la croisée d’influences multiples. L’esprit du système socio-technique scandinave s’y trouve associé aux principes du toyotisme adaptés à une production en petite série, le tout cadré par le droit du travail français (Zimmermann, 2011). Les cultures nationales des relations et du droit du travail s’avèrent par conséquent des éléments décisifs, mais non suffisants, pour rendre compte de la pluralité des dispositifs se réclamant du management participatif.
Si les cercles de qualité et les autres formes de management participatif se sont développés dans le secteur industriel, ils se sont largement déplacés aujourd’hui vers le secteur tertiaire. La « mobilisation subjective » des travailleurs serait alors visée (Linhart, 2010), à travers une attente d’engagement de la personne toute entière ; le salarié étant supposé en tirer un bénéfice personnel, entre autres en matière d’employabilité et de valorisation de soi.
Participation au travail et démocratie
Le management participatif recouvre différentes facettes dont l’agencement varie en fonction des mondes de production (Salais et Storper, 1993), des systèmes de relations professionnelles et de leur cadre juridique, mais aussi de facteurs plus conjoncturels et situés. Ses usages et ses effets s’avèrent contrastés, relativement notamment à la manière dont est prise en compte la dimension humaine et sociale du travail. Il peut en résulter des formes de servitude volontaire (Durand, 2004) aussi bien qu’une extension de la latitude d’action et du pouvoir d’agir au travail (Clot, 2008). Afin de mieux en apprécier les effets, il est utile de considérer la manière dont s’articulent les différentes fonctions attribuées au management participatif – voire à la participation en général – dans une situation donnée. Parmi ces fonctions, nous en distinguerons trois : technique, psycho-sociale et politique.
La fonction technique vise une meilleure efficacité et qualité de la production, en mobilisant le savoir, le savoir-faire et l’esprit d’initiative de ceux qui expérimentent le travail au quotidien. La fonction psycho-sociale est orientée vers la motivation des travailleurs. Elle pose la question des ressorts conatifs de l’engagement dans la participation (motif, désir, intérêt, conviction), qui peut être résolue en spécifiant les contreparties à l’implication et l’engagement participatif des travailleurs. Ces contreparties peuvent rester purement symboliques, elles peuvent aussi être financières (primes), signifier une extension de l’autonomie au travail ou se traduire en termes de développement professionnel. Enfin, la fonction politique touche à la gouvernance de l’entreprise ; le terme de gouvernance renvoyant à une fonction politique subordonnée à la gestion par contraste avec l’idée de gouvernement démocratique de l’entreprise (Ferreras, 2012). Il s’agit de mobiliser les travailleurs, de canaliser leur capacité critique au service de l’entreprise, mais aussi de légitimer les décisions prises par la direction en soumettant leur mise en œuvre à la délibération des travailleurs. Les objets du management participatif sont sélectifs et n’empiètent que rarement sur le pouvoir décisionnel de la direction. Mais par l’entremise de consultations et de tests grandeur nature, il établit une procédure dans laquelle il revient aux personnes directement concernées de donner un sens pratique aux orientations fixées par la direction. Ce qui est aussi un moyen de voir ces orientations appropriées plutôt que contestées et, ainsi, de désamorcer le conflit social.
Le management participatif cherche des réponses au défi de la conduite collective de l’action au sein de l’entreprise en créant des espaces d’échange sur le travail qui, dans leurs formes les plus élaborées, peuvent s’apparenter à des lieux de délibération. Ce faisant, il définit un cadre moral où travailler équivaut à agir conformément à une certaine conception de l’action en commun, selon des valeurs définies par l’entreprise pour présider à la coordination de l’action, parmi lesquelles compte la participation. Cette dernière peut être consacrée en façon d’être jusqu’à prendre les traits de l’injonction, du devoir être. Participer dans les cadres institués par le management devient dès lors une condition d’appartenance à l’entreprise définie comme communauté, un vecteur de recomposition des collectifs, opérateur à la fois d’inclusion et d’exclusion par la mise à l’écart de ceux qui, pour diverses raisons, ne se plient pas à l’injonction participative.
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