Définition de l'entrée

Le management participatif désigne un courant des techniques de gestion du personnel et du travail qui cherche à favoriser la participation des salarié·es aux décisions concernant leur travail plutôt que la stricte obéissance à la hiérarchie. Le management participatif cherche à rompre avec le taylorisme, mais son horizon démocratique reste fortement limité, car subordonné aux cadres classiques de la propriété et du pouvoir actionnarial.

Pour citer cet article :

Coutrot, T. (2022). Management participatif (2). In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/management-participatif-2-2022

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Un anti-taylorisme principiel

Le terme de management participatif regroupe des écoles et auteurs très divers qui ont en commun de contester théoriquement la doctrine du taylorisme, de lui opposer des alternatives ou au moins de chercher à en atténuer la mise en œuvre. La doctrine taylorienne, auto-proclamée « organisation scientifique du travail », inventée au début du XXème siècle par l’ingénieur Frederick Taylor, repose sur la division stricte entre conception et exécution : les ouvrier·es voient leur travail réduit à un ensemble de tâches simples prédéfinies par des ingénieurs et qu’il s’agit d’exécuter à la lettre, comme le feraient des « gorilles apprivoisés » (selon la célèbre formule de F. Taylor). Cette doctrine et ses déclinaisons gestionnaires ont été mises en œuvre dans les usines des « Trente Glorieuses » de l’après-deuxième guerre mondiale.

Dès la fin des années 1940, des chercheurs et des managers ont contesté cette approche, arguant du fait que l’intelligence et l’initiative des salarié·es de base est indispensable à la performance de l’entreprise. Ce courant, qu’on a pris l’habitude de désigner sous le terme de « management participatif » (Argyris, 1955), prend acte - pas toujours explicitement - des acquis des sciences du travail, et en particulier de l’ergonomie, qui ont montré comment le travail réel s’écarte toujours du travail prescrit, et pour de bonnes raisons : la description des tâches à effectuer, aussi précise soit-elle, ne l’est jamais assez pour prévoir les aléas liés à la variabilité des situations, face auxquels les salarié·es doivent trouver des solutions souvent inédites. Ainsi le « management par objectifs », formalisé par Peter Drucker (1957), reconnaît la nécessaire autonomie opérationnelle des travailleur·ses : la direction leur fixe des objectifs, leur alloue des moyens, et c’est à eux d’organiser leur travail pour les atteindre.

 

Un dévoiement sémantique

Dans nos sociétés qui exaltent la liberté individuelle, la doctrine taylorienne manque singulièrement de légitimité. Même quand les systèmes de management restent fortement ancrés dans la logique taylorienne, ils adoptent une rhétorique gestionnaire valorisant l’autonomie et l’engagement des salarié·es au service des objectifs de l’entreprise (Boltanski et Chiapello, 1999). L’opposition principielle entre taylorisme et management participatif en est souvent obscurcie, et « l’impératif participatif » donne alors lieu à un dévoiement de la participation elle-même.

Ainsi le lean management, doctrine aujourd’hui dominante dans les entreprises, recourt au registre participatif de façon systématique et souvent abusive. Ses promoteurs en Occident (Womack et alii, 1993) ont prétendu importer du Japon le système Toyota de réduction des coûts et des gaspillages, qui se fondait assez largement sur l’initiative et la participation des salarié·es à l’amélioration continue (kaizen) des procédés de production. Mais son adaptation occidentale s’est nettement écartée de ces principes. Comme le montre Michel Sailly (2017), responsable CFDT et ergonome chez Renault, au lieu de la participation active des salarié·es, ce sont des procédures et des contrôles rigides qui se sont imposés dans les ateliers et les bureaux occidentaux, certes avec des noms japonais (« kaizen », « muda », « poka yoke »,…), mais au service d’un management par le chiffre (Coutrot et Perez, 2022) ou d’une gouvernance par les nombres (Supiot, 2015) qui laissent en réalité peu de marges de manœuvre aux salarié·es. La traçabilité, les procédures détaillées, le reporting permanent sont utiles pour surveiller en temps réel la performance financière pour le compte des actionnaires mais ne stimulent guère la créativité. Sous l’étiquette du lean management et du new public management s’affirme un « néo-taylorisme digital » (Gautié et alii, 2020) fortement bureaucratisé, administré par un « management désincarné » (Dujarier, 2015) qui ne sollicite la participation des salarié·es qu’à l’intérieur d’un cadre procédural extrêmement contraint.

 

« L’entreprise libérée », ultime avatar

La récupération, voire l’usurpation du terme « participatif » par le lean management n’a pas empêché la permanence et a même sans doute stimulé le renouveau d’un courant managérial qui prend au sérieux la participation. Il s’est pour une large part regroupé sous la bannière de « l’entreprise libérée » (Getz et Carney, 2016), même si son principal théoricien, Frédéric Laloux (2016), préfère parler d›« entreprise autogouvernée » .

Le modèle disqualifie le management hiérarchique traditionnel (« Command and Control »), critiqué par Isaac Getz pour son obsession à surveiller et punir les « 3% de tire-au flanc » au détriment de l’engagement des 97% restants. Au lieu de chercher à prédéfinir, optimiser et contrôler en détail l’activité de travail, « l’entreprise libérée » parie sur les capacités d’auto-organisation individuelle et collective des salarié·es, auxquels il est demandé d’utiliser au mieux les informations émises par les outils et les objets du travail, les client·es et usager·es, les collègues et les fournisseur·ses, afin d’assumer pleinement le rôle qui leur est assigné au service de la mission de l’organisation.

La « libération » doit suivre quatre étapes incontournables (Verrier et Bourgeois, 2016) : 1. définir clairement la mission de l’organisation (le « pourquoi on travaille ici ») ; 2. abolir les normes bureaucratiques et les dispositifs de contrôle ; 3. réinventer les processus et les mécanismes de coordination, avec la participation des salarié·es ; 4. repositionner les fonctions supports et les managers de façon à soutenir les salarié·es au lieu de les commander. Certains consultant·es proposent même des modèles d’organisation clés en main, comme l’holacratie, qui spécifient en détail un ensemble de règles de coordination et de décision reposant sur la délibération (Robertson, 2016).

Les initiatives récentes de grands groupes comme Airbus, Décathlon, Auchan ou Michelin, soumis à la gouvernance actionnariale ou côtés sur les marchés, sont nettement moins audacieuses : après une mise en œuvre souvent très rigide du lean management, elles visent à redonner de l’autonomie aux travailleur·ses en s’inspirant plutôt du management par objectifs, de « l’enrichissement des tâches » et des équipes semi-autonomes des années 1970, sans aller jusqu’à supprimer ni même alléger les objectifs et les contrôles exigés par les actionnaires.

L’entreprise libérée est promue par des dirigeants, consultants et essayistes – Brian Robertson, Jean-François Zobrist, Isaac Getz ou encore Frédéric Laloux - qui fournissent concepts, slogans et exemples propres à mobiliser des émules. Les pionniers sont des PME familiales comme Favi, sous-traitant automobile dans le Nord, ou le Groupe Hervé Thermique, spécialisé dans le chauffage des bâtiments, qui ont mis en place une organisation en équipes autonomes dotées de très larges responsabilités y compris de gestion. Ainsi, chez Favi, chaque équipe d’ouvrier·es est affectée à un client (un grand constructeur automobile) et assume aussi bien la production que la politique d’investissement ou la relation client, et même les décisions d’embauche et de licenciement. Au modèle mécaniste de la hiérarchie, les théoriciens opposent le modèle organiciste de l’entreprise libérée, auto-organisée comme un organisme vivant réagissant aux signaux de son environnement (client·es, fournisseur·ses, médias, riverain·es, associations…).

Ces expériences de « libération » sont riches d’enseignements et de paradoxes. Les partisans du modèle affirment qu’il apporte aux entreprises des gains de réactivité, de créativité et in fine de rentabilité, même si les études de terrain (par exemple Karsenty, 2019 ; Weil et Dubey, 2020) peinent à discerner de tels effets. Du côté des salarié·es, les études indiquent souvent que le travail devient plus intense mais aussi plus intéressant, les salarié·es se déclarant plutôt satisfaits même si certains, notamment parmi les cadres intermédiaires qui perdent une grande partie de leur pouvoir, s’adaptent difficilement et choisissent de partir.

 

Une libération autoritaire ?

Parmi les paradoxes, on note surtout le fait que la « libération » dépende de la décision d’un seul homme (on cherche en vain des femmes parmi les leaders libérateurs mis en avant dans cette littérature). La démarche vise à refonder la légitimité des détenteurs ou mandataires du capital, non plus seulement sur leur statut hiérarchique ou patrimonial mais sur une position symbolique d’animateur d’une communauté de travail. La dimension charismatique est variable mais dans tous les cas le « leader libérateur » est l’initiateur, le pilote et le garant de la nouvelle organisation.

L’engagement sans faille du dirigeant, seul porteur du projet, est à court terme un atout pour la démarche mais aussi une aporie. L’affaiblissement, voire la disparition du contrôle hiérarchique de proximité, laisse les salarié·es en prise directe avec le pouvoir symbolique du dirigeant, qui a édicté les missions et les valeurs supposées guider au quotidien leurs décisions opérationnelles. Ils et elles sont sommés d’adhérer à un projet à propos duquel on ne les a pas consultés mais qu’il s’agit d’intérioriser.

D’où la grande fragilité de ces expériences: l’éventuel départ du « leader libérateur » remet tout en question. Suite au licenciement du DG par l’actionnaire majoritaire insatisfait de la rentabilité, l’expérience de Poult a tourné court. Chez Favi, le départ de Zobrist a, semble-t-il, fait perdre de son originalité au modèle. Quant au groupe Hervé Thermique, un témoignage acéré (Brière, 2021) sème le doute sur la réalité de la « libération ».

Plus profondément, la portée et les limites du management participatif en général, et de « l’entreprise libérée » en particulier, s’éclairent lorsqu’on distingue trois niveaux d’autonomie. L’autonomie opérationnelle, la plus limitée, consiste à pouvoir décider comment on va réaliser des tâches prédéfinies par d’autres (hiérarchie, consultants, donneurs d’ordre). L’autonomie professionnelle permet, comme chez Favi, de choisir comment on va organiser son travail pour répondre à la mission: elle suppose la mobilisation de l’intelligence et de l’expérience individuelle et collective des salarié·es. L’autonomie stratégique, enfin, va jusqu’à laisser les salarié·es contribuer à la définition des finalités du travail et de l’entreprise.

Le taylorisme limite fortement l’autonomie opérationnelle en définissant pour chaque opération le « one best way », la procédure standard. Avec le management participatif, l’autonomie opérationnelle s’accroît, les salarié·es peuvent davantage déployer et développer leurs compétences. L’ « entreprise libérée », elle, fait en principe accéder les salarié·es à l’autonomie professionnelle, enrichissant ainsi le sens de leur travail. Mais jamais à l’autonomie stratégique : les décisions d’investissement et de production restent le monopole des dirigeants, le profit pour l’actionnaire reste dans la plupart des cas la finalité principale voire unique. En définitive, il s’agit de relâcher la pression du « travail mort » (les procédures, les consignes, les contraintes machiniques, …) sur « le travail vivant » (la nécessaire créativité inhérente au travail humain), sans toutefois remettre en cause le monopole de décision capitaliste sur les finalités du travail.

 

Un rapport ambigu à la démocratie

Le modèle de l’entreprise libérée pousse sans doute à la limite les ambitions mais aussi les contradictions du management participatif. Il renonce, au moins en théorie, aux principaux dispositifs qui assuraient au quotidien la subordination du travail au capital - ordres, contrôles, objectifs, évaluation individualisée des performances, menace de licenciement. Il promet aux travailleur·ses l’autonomie maximale compatible avec la cohérence organisationnelle. Mais les buts de l’organisation ne font pas partie du champ de la délibération et le pouvoir ultime de décision, y compris celui de revenir à tout moment à un management autoritaire, reste détenu par les propriétaires du capital. Les partisans du modèle font d’ailleurs rarement référence à la démocratie, et préfèrent parler de liberté, d’autonomie ou d’autogouvernement.

Peut-être l’un des intérêts majeurs du courant de l’ « entreprise libérée » est-il d’avoir popularisé le vocabulaire et les concepts innovants de la sociocratie, courant de pensée sur lequel s’appuient (sans le citer…) Frédéric Laloux ou Brian Robertson. Fondée aux Pays-Bas par le pédagogue Kees Boeke (1884-1966) et l’ingénieur Gerard Endenburg (né en 1933) dans la tradition égalitariste et quasi-libertaire des quakers, la sociocratie est un modèle de démocratie au travail qui distribue le pouvoir à tous les niveaux de l’organisation. Son design organisationnel vise à la subsidiarité : concilier le maximum d’autonomie à la base avec la cohérence d’ensemble de l’action collective. Dans ce modèle organisé en cercles emboîtés, aucune décision, y compris stratégique, ne peut être prise par un niveau supérieur sans le consentement des cercles de niveau inférieur. Les principes sociocratiques pourraient sans doute aider à penser une organisation sans domination et servir ainsi d’horizon utopique démocratique au management participatif.

Bibliographie

Argyris, Chris. 1955. "Organizational leadership and participative management", The Journal of Business 28.1. 1-7.

Boltanski, Luc, et Eve Chiapello. 1999. Le nouvel esprit du capitalisme, Gallimard. 

Thomas Coutrot, Coralie Perez, Redonner du sens au travail. Une aspiration révolutionnaire, Le Seuil, 2022

Thibault Brière, Toxic management, Robert Laffont, 2021

Drucker, Peter. 1957. La pratique de la direction des entreprises, Les éditions d'organisation. 

Dujarier, Marie-Anne. 2015. Le management désincarné, La Découverte. 

Gautié, Jérôme, Karen Jaehrling, et Coralie Perez. 2020. « Neo-Taylorism in the Digital Age: Workplace Transformations in French and German Retail Warehouses », Relations industrielles / Industrial Relations Volume 75, n°4. 

Carney, Brian M., et Isaac Getz. 2016. Liberté & Cie, Quand la liberté des salariés fait le succès des entreprises, Champs. 

Laloux, Frédéric. 2015. Reinventing Organizations. Vers des communautés de travail inspirées, Diateino. 

Robertson, Brian. 2016. La Révolution Holacracy, Le système de management des entreprises performantes, Alisio. 

Sailly, Michel. 2017. Démocratiser le travail: Un nouveau regard sur le lean management, Editions de l'Atelier. 

Supiot, Alain. 2015. La gouvernance par les nombres, Cours au Collège de France (2012-2014), Fayard. 

Verrier, Gilles, et Nicolas Bourgeois. 2016. Faut-il libérer l'entreprise ? Confiance, responsabilité et autonomie au travail, Dunod. 

Karsenty, Laurent (dir.). 2019. Libérer l’entreprise, ça marche ?, Toulouse, Octares. 

Weil, Thierry, et Anne-Sophie Dubey (coord.). 2020. Au-delà de l’entreprise libérée. Enquête sur l’autonomie et ses contraintes, Paris, Presses des Mines.

Womack, James P., Daniel T. Jones, Daniel Roos, et James P. Womack. 1992. Le système qui va changer le monde: une analyse des industries automobiles mondiales dirigée par le Massachusetts Institute of Technology. Paris: Dunod.

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