Inégalités, justice et inclusion

Sandrine Rui, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de Bordeaux

Inégalités, justice et inclusion

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Un axe thématique de la 2ème édition du Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, retient les mots-clés : inégalités, discriminations, rapport sociaux de pouvoir, qui sont ici regroupés sous la thématique : Inégalités, justice et inclusion. Quelles que soient les approches et les disciplines, bon nombre de notices travaillent de façon directe ou de façon plus indirecte cette thématique transversale. Il s’agit d’une thématique qui s’impose d’emblée pour qui souhaite penser et définir les mots de la participation. Cela n’a rien d’étonnant.

D’abord, dans ses développements contemporains, la promesse participative réactualise et active l’idéal démocratique qui est progressiste et émancipateur, égalitaire et inclusif. Ainsi, non seulement il s’agit d’élargir l’accès aux libertés politiques à toujours davantage d’individus, tout en élargissant les objets, les mécanismes et les ambitions de la participation, mais aussi de corriger les accrocs à l’idéal démocratique de justice. Il s’agit donc à la fois de démocratiser la démocratie mais aussi de faire société, de faire citoyenneté. La notice citoyenneté (Janie Pelabay), rappelle d’ailleurs les débats structurants des gains et entraves en termes de participation des citoyen·nes, surtout quand ils sont en marge ou que leur parole est minorée.

Pourtant, dans les faits, cette promesse est plus ou moins tenue. Sur le terrain empirique et concret de la participation, les réalités sont pour le moins contrastées, car la démocratie réellement existante est structurée par des rapports sociaux de pouvoir, aux multiples dimensions.

Ainsi, il est possible de cheminer dans le DicoPart par le jeu des variables de la (non-) participation (Vincent Jacquet, Guillaume Petit), et dont plusieurs comptent parmi les critères des lois sur les discriminations. Une telle perspective est clairement retenue par plusieurs notices : handicap (Pierre-Yves Baudot), genre (Marie-Hélène Sa Vilas Boas), théories féministes (Marion Paoletti), appartenances ou assignations ethnoraciales/groupes ethniques minorisés (Marion Lang), classes/participation des salarié·es et citoyenneté industrielle (Karel Ion), les castes dans les Gram Sabha indiens (Stéphanie Tawa Lama), ou encore les hiérarchies multiples dans les parlements de rue africains (Patrick Hinnou) … qui viennent compléter des notices déjà existantes dans la 1ère édition (2013) : exclu·es (Marion Carrel), sans part (Guillaume Gourgues). De façon plus générale, des notices diverses portent sur les rapports entre gouvernant·es/gouverné·es, savant·es-expert·es/profanes, par exemple celle de Baptiste Godrie qui expose les rapports entre savoirs expérientiels et savoirs cliniques, scientifiques, professionnels, en addition de celle d’Héloïse Nez sur les savoirs d’usage.

En outre, ce chemin de lecture thématique repose sur des questionnements différenciés, souvent articulés dans les notices. Une première grande question est : que font l’offre publique et l’offre civile de participation des inégalités, des discriminations, et des rapports sociaux de pouvoir existants ? Sont-ils des impensés et des objets de déni ? Sont-ils pris en compte ? Et lorsqu’il y a prise en compte : est-elle assumée ou embarrassée ? Cet embarras est-il manifeste ou masqué, travesti ? De fait, on retrouve la tension entre les deux postures de l’offre publique de participation à l’égard des inégalités de fait : faut-il envisager le public comme des citoyen·nes indifférenciés traités comme s’ils étaient des égaux ou comme des citoyen·nes différenciés et envisagés comme des individus pris dans des rapports sociaux aux dimensions multiples et traités de façon équivalente ?

L’embarras est alors perceptible compte tenu de la tension clé que Joan Scott avait souligné à propos de la citoyenneté paradoxale : comment à la fois rendre visibles et revendiquer les différences et les rapports de pouvoir, car à défaut de le faire, on prend le risque de la minoration, stigmatisation, discrimination, marginalisation, exclusion rompant avec l’horizon de justice et d’égalité. Mais aussi, à la fois, ne pas (trop) rendre visibles ni revendiquer ces différences, car dès lors on prendrait le risque de l’assignation, la restriction et l’enfermement des individus dans des groupes réels ou supposés dont ils et elles pourraient chercher à s’émanciper.

Bref, comment rendre visibles les différences pour traiter les problèmes et expériences singulières et spécifiques, sans pour autant réduire et enfermer les individus par le jeu participatif même ?

Les citoyennes invitées à participer en tant qu’elles sont des mères, peuvent ainsi faire l’expérience d’une offre de participation structurée par cette tension entre inclusion et assignation.

Un autre axe de questionnement est celui qui se demande ce que font l’offre publique et l’offre civile de participation aux inégalités, discriminations et rapports de pouvoir ? Ainsi, observe-t-on des mécanismes de reproduction, voire d’exacerbation, ou à l’inverse, de réduction des inégalités de fait ? Doit-on parler de domination accrue ou d’émancipation des individus et des groupes entrés en participation ? De ce point de vue, à la lecture des notices, le point de vue des auteurs et autrices apparait comme limpide : les mobilisations collectives, les interpellations, les associations et les mouvements sociaux semblent les plus à même de répondre aux enjeux démocratiques d’émancipation. Dès lors, comment comprendre et interpréter ces observations ? Plusieurs voies d’interprétation sont recensées. Parfois les explications sont recherchées dans les normes culturelles (idéologies, représentations…), voire dans les théories elles-mêmes. C’est par exemple l’apport des théories féministes dans leur discussion des théories sur la démocratie. Parfois, les explications sont recherchées dans les règles du jeu, les formes procédurales, la pratique des démarches participatives… Et bien des notices restituent une critique de l’institutionnalisation dans son potentiel de gouvernementalisation à revers des démarches reposant sur l’empowerment, le pouvoir d’interpellation et le pouvoir d’agir. Enfin, des explications sont aussi recherchées dans les dynamiques propres aux scènes participatives : au plan vertical comme horizontal, les rapports sociaux de pouvoir sont toujours structurants, y compris entre les citoyen·nes eux-mêmes. De ce point de vue, on lira avec intérêt les notices sur le Gram Sabha en Inde et les parlements de rue en Afrique, qui constituent à la fois des ouvertures internationales et des apports clés sur ces questionnements transversaux de justice et d’inclusion.

En conclusion, ce qui est ici perceptible en arrière-plan c’est la tension historique entre corps civique et corps social. Une tension sans doute exacerbée alors que les formes contemporaines de la démocratie participative et délibérative, institutionnalisées ou non, prétendent leur accès ouvert et non restrictif. En effet, si on sait juridiquement définir qui peut prétendre à être électeur ou électrice, qui a le droit de vote, ce n’est généralement pas le cas pour bien des procédures, dispositifs, expériences de participation, dont les organisateur·rices privilégient une acceptation floue, inclusive, des participant·es, au risque de la reproduction des inégalités. D’où une singularité dans les différentes notices qui affrontent la question de la justice et de l’inclusion à partir d’une ambiguïté du droit à participer : ce droit dont tout le monde pourrait faire usage est peu codifié, laissant un espace pour l’injustice, comme pour sa critique.

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