Définition de l'entrée

L’habitat participatif est une démarche citoyenne qui permet à un groupe d’habitants de s’associer en vue de produire du logement et des espaces mutualisés. Fondée sur un principe de participation aux décisions concernant le montage, la programmation, la conception, la construction puis la gestion d’un ensemble résidentiel, cette démarche fait de la question du partage une dimension forte du projet.

Pour citer cet article :

Biau, V, D'Orazio, A. (2022). Habitat participatif. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/habitat-participatif-2022

Citer

L’habitat participatif est souvent présenté comme une « troisième voie » qui se distingue à la fois du logement social et de la promotion privée traditionnelle. Il emprunte ses références à des modèles développés dans diverses régions du monde sous des termes variés : « habitat groupé » en Belgique, « coopératives d’habitation » en Suisse, « cohousing » dans les pays scandinaves, etc. (Bresson et Tummers, 2014).

En France, une dénomination sous le signe de la participation

En France, la filiation des pratiques contemporaines renvoie principalement à l’habitat groupé autogéré qui s’est déployé au début des années 1970 (Bacqué et Vermeersch, 2007). Pour autant, des initiatives antérieures comme les coopératives d’Habitations à Bon Marché, la location-attribution ou les coopératives d’auto-construction du mouvement Castors, avaient émergé dès la première moitié du XXe siècle.

L’expression « habitat participatif » résulte des discussions qui ont pris place en vue des premières Rencontres Nationales de l’Habitat Participatif, organisées en 2010 à Strasbourg. C’est cette expression qui a été retenue dans l’écriture de la loi ALUR qui donne à cette pratique, en 2014, son cadre juridique : « L’Habitat Participatif est une démarche citoyenne qui permet à des personnes physiques de s’associer, le cas échéant avec des personnes morales, afin de participer à la définition et à la conception de leurs logements et des espaces destinés à un usage commun, de construire ou d’acquérir un ou plusieurs immeubles destinés à leur habitation et, le cas échéant, d’assurer la gestion ultérieure des immeubles construits ou acquis. En partenariat avec les différents acteurs agissant en faveur de l’amélioration et de la réhabilitation du parc de logements existant public ou privé et dans le respect des politiques menées aux niveaux national et local, l’Habitat Participatif favorise la construction et la mise à disposition de logements, ainsi que la mise en valeur d’espaces collectifs dans une logique de partage et de solidarité entre habitants. » (Art. 47 de la loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové, du 24 mars 2014, Art. L. 200-1 du Code de la construction et de l’habitation). Ce nouveau cadre juridique institue deux formes de sociétés d’habitat participatif : les coopératives d’habitants et les sociétés d’attribution et d’autopromotion.

Institutionnalisation de la notion et diversification des pratiques

Les premières mobilisations militantes contemporaines voient le jour dès le début des années 2000, portées par une série d’associations locales qui se créent ou se structurent dans différentes régions de France. Elles font largement écho aux initiatives qui sont apparues dans le nord de l’Europe dans le cadre de la dynamique des écoquartiers, ou au Québec autour du logement communautaire coopératif. Très vite, deux tendances principales se font concurrence qui ont toutefois en commun une volonté de construire des alternatives à la promotion immobilière conventionnelle (statut de propriété, production d’espaces communs partagés, implication des habitants dans la gestion patrimoniale, …). D’un côté, les militants de l’approche coopérative (héritiers des expériences québécoises et suisses) revendiquent un nouveau statut de droit et la reconnaissance du principe de la propriété collective. De l’autre, les tenants de l’auto-promotion (inspirés des démarches allemandes des Baugruppen mais aussi des initiatives françaises autogestionnaires des années 1970) souhaitent que le groupe d’habitants s’organise pour endosser le rôle de maître d’ouvrage. Il se livre à lui-même un immeuble d’habitation qu’il aura programmé, financé et qu’il gérera en contrôlant son cadre de vie (Bacqué et Biau, 2010). Si les premiers temps furent ceux de la rivalité entre les démarches, très vite la nécessité d’une position commune s’est faite jour, visant l’interpellation des pouvoirs publics (D’Orazio, 2012). L’usage commun du terme d’habitat participatif à partir de 2010 a scellé cette alliance tout en maintenant les spécificités de chacune des approches (Carriou et D’Orazio, 2015). La distinction entre les démarches coopératives d’une part et les démarches d’autopromotion d’autre part a été entérinée à l’occasion des travaux préparatoires de la loi ALUR qui se sont tenus en 2013. A cette occasion, des ateliers ont réuni autour de Cécile Duflot, Ministre du Logement et de l’Egalité des territoires, et de son administration, la Coordin’action (groupement des principales associations militantes), le Réseau national des collectivités locales pour l’habitat participatif (RNCHP), l’Union sociale pour l’habitat (USH), la Fédération des coopératives HLM, et le Réseau des professionnels de l’habitat participatif (RAHP), etc. Au-delà de la reconnaissance en droit de l’habitat participatif, cet exercice singulier de co-construction de la loi a facilité la diffusion et l’institutionnalisation de la démarche (D’Orazio, 2017). Ainsi, en 2015 lors du Congrès HLM, l’USH affirme son engagement et annonce la production à venir d’environ 1500 logements, soit une centaine d’opérations. S’ouvre alors une nouvelle séquence d’hybridation des modèles où les opérateurs sociaux de l’habitat jouent un rôle essentiel dans la légitimation et la fiabilisation des opérations tant auprès des collectivités locales que d’un public plus large et moins initié.

Débats et controverses

L’habitat participatif est de faible ampleur puisqu’en 2022 l’on estime à 900 les groupes-projets dont la réalisation est achevée ou en cours (source : Habitat Participatif France) ; et pourtant, ce phénomène a engendré de multiples débats et voies d’expérimentation.

L’habitat participatif apparaît comme une alternative aux voies traditionnelles de production du logement, mettant l’habitant-usager en situation de « consom’acteur » (Dubuisson-Quellier, 2009). En cela, il répond à un air du temps plus soucieux de la prise en compte des usages dans la conception architecturale et urbaine et rouvre l’éventail des possibles dans une production du cadre habité qui s’est progressivement enfermée dans un cadre réglementaire, normatif et financier très restreint conduisant à une standardisation des formes de l’habitat (Costes, 2015). L’habitat participatif est ainsi l’occasion pour les architectes d’inventer de nouvelles interactions avec les futurs habitants, tant en phase de définition des attentes et donc de programmation, que dans la conception des espaces partagés ou enfin dans le dessin des espaces privatifs. On peut toutefois se demander si, engagé à son origine dans une perspective très militante, le phénomène « habitat participatif » ne s’est pas fondu au cours des années dans des pratiques plus ordinaires. C’est le cas par exemple de la place qu’ont prise progressivement des acteurs professionnels venant en appui aux groupes de ménages ou en se substituant à eux dans leur rôle de maîtres d’ouvrage. En revanche, cette ouverture du jeu d’acteurs favorise la diffusion de ces démarches auprès de ménages socialement plus diversifiés.

Par ailleurs, il sera intéressant d’observer si à l’avenir, dans les projets développés par les promoteurs privés notamment, le rôle du groupe des habitants ne tend pas à se réduire, les moments de co-programmation et de co-conception perdant de leur importance dans les processus de production. L’enjeu lié aux espaces partagés semble s’atténuer au profit d’une valorisation du « logement choisi », « sur-mesure », s’adressant à des ménages consommateurs d’alternative et de distinction.

Dans ses diverses formes, l’habitat participatif questionne les conditions et les parcours d’accès au logement, le juste prix de celui-ci dans le budget des ménages, et cherche à s’affranchir des phénomènes de spéculation immobilière. Les coopératives d’habitants ouvrent également un débat critique sur la propriété individuelle de la résidence principale, sur les modalités de la transmission du patrimoine immobilier par succession, ainsi que sur la plus-value foncière et immobilière engendrée par sa revente. Elles instaurent la propriété collective comme contre-modèle dans lequel les ménages acquièrent des parts sociales qui sont dissociées de la jouissance d’un logement en particulier. L’habitat participatif coopératif partage ainsi avec les organismes de fonciers solidaires l’enjeu de soustraire des marchés spéculatifs les terrains et les logements destinés aux classes moyennes et populaires.

Le vieillissement de la population et la recherche de solutions alternatives face à la faiblesse des offres proposées actuellement en termes de logement ou d’hébergement du troisième âge favorisent le recours à l’habitat participatif pour cette génération. Se développent des formes d’habitat fondées sur l’entraide et la solidarité entre personnes âgées et/ou avec des résidents d’autres tranches d’âge, tout en garantissant l’autonomie des individus et la possibilité d’un bien vieillir ensemble (Labit, 2017).

A divers titres, la question de l’habitat participatif s’inscrit largement dans le débat sur la fabrique de la ville durable et y prend une valeur d’exemplarité. Il valorise l’inscription des nouveaux logements dans des dynamiques locales, parfois en revitalisant un patrimoine bâti dont l’échelle ne permettrait ni l’acquisition par un particulier ni l’intervention d’un maître d’ouvrage professionnel public ou privé. Il s’inscrit dans des dynamiques de quartier et de revitalisation urbaine, privilégiant le voisinage et l’échange avec les associations présentes. Par sa capacité à mettre en réflexion un projet dans toute sa complexité, l’habitat participatif a souvent permis le réinvestissement de fonciers délaissés, incommodes. Il a également facilité la densification des tissus urbains existants, notamment dans les zones urbaines mixtes où subsistaient d’anciennes parcelles artisanales ou industrielles de petite taille. Enfin, les opérations d’habitat participatif s’inscrivent dans les exigences en matière de renouvellement du parc immobilier. Ces démarches ont une valeur démonstrative et répondent aux demandes de ménages recherchant un habitat plus « vertueux » sur le plan environnemental.

L’habitat participatif a sans doute joué un rôle dans le « réenchantement » de la participation dans le champ des questions urbaines après les critiques et phénomènes d’usure qu’avaient subis les dispositifs institutionnels de type conseils de quartier issus de la loi Vaillant de 2002 (Nez, 2015). Il a mobilisé l’intérêt des acteurs publics nationaux et d’un grand nombre de collectivités territoriales qui ont apporté un soutien direct ou indirect à ce type de projets (Devaux, 2016).          
Pour autant, et malgré une forme d’engouement médiatique autour de ce terme, la production reste quantitativement minime et l’ambition des militants de la première heure à imposer une troisième voie peine à trouver des relais. Au-delà du cas français, des mobilisations s’apparentant au co-housing interrogent les conditions du logement en Europe et invitent à en réinventer les règles du jeu, tant du point de vue de la gouvernance que des processus de production (Bresson et Labit, 2020). A ce titre, l’habitat participatif français agit comme un signal faible qui rappelle que la crise du logement ne peut être cantonnée à un problème de volume de production mais qu’elle porte aussi sur une exigence en termes de qualité de l’offre, tant du point de vue des espaces bâtis que des formes de voisinage. Face à la dérive des pratiques spéculatives du logement, des valeurs de solidarité et d’entraide cherchent à s’imposer comme de nouvelles ressources d’une économie domestique renouvelée.   

Bibliographie

Bacqué, Marie-Hélène et Stéphanie Vermeersch. 2007. Changer la vie : les classes moyennes et l'héritage de Mai 68, Paris : Éditions de l'Atelier.

Bacqué, Marie-Hélène et Véronique Biau, dir. 2010. Habitats alternatifs : des projets négociés ? Rapport de recherche pour le Plan Urbanisme Construction et Architecture. https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01538137 (accès le 8.11.2022)

Bresson, Sabrina et Lidewij Tummers. 2014. « L’habitat participatif en Europe ». Métropoles, 15. https://doi.org/10.4000/metropoles.4960

Bresson, Sabrina et Anne Labit. 2020. « How does collaborative housing address the issue of social inclusion? A French perspective », Housing, Theory and Society, 37(1) : 118-38

Carriou, Claire et Anne D’Orazio. 2015. « L’habitat participatif, quand les institutions militent ». Dans Socio-Anthropologie n°32, Habiter. Sous la direction de Laurence Coste, 139-154. Paris : Éditions de la Sorbonne.

Costes, Laurence. 2015. « Habiter autrement ? ». Dans Socio-Anthropologie n°32, Habiter. Sous la direction de Laurence Coste, 9-19. Paris : Éditions de la Sorbonne.

Devaux, Camille. 2015. L’habitat participatif ; de l’initiative habitante à l’action publique, Rennes : PUR.

Devaux, Camille. 2016. « Habitat participatif et politiques de l’habitat : un mariage par intérêt ? ». Dans Revue française des affaires sociales » (7) : 151-74

D’Orazio, Anne. 2012. « La nébuleuse de l’habitat participatif. Radiographie d’une mobilisation », Métropolitiques. https://metropolitiques.eu/La-nebuleuse-de-l-habitat.html (accès le 8.11.2022)

D’Orazio, Anne. 2017. « S’associer pour habiter et faire la ville : de l’habitat groupé autogéré à l’habitat participatif en France (1977-2015). Exploration d’un monde en construction », Thèse en aménagement de l’espace et urbanisme, Université Paris – Nanterre.

Dubuisson-Quellier, Sophie. 2009. La consommation engagée. Paris : Presses de Sciences Po.

Labit, Anne. 2017. L’habitat participatif : une solution pour bien vieillir ? Note de synthèse réalisée pour la Fondation de France.

Nez, Héloïse. 2015. Urbanisme, la parole citoyenne. Lormont : Ed. Le Bord de l’Eau.

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