Habitat, architecture, urbanisme

Jodelle Zetlaoui-Léger, Urbaniste, Professeure à l’ENSA Paris La Villette.

Habitat, architecture, urbanisme

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Habiter procède de savoirs et de pratiques sociales, consubstantiels à l’existence humaine et pouvant être reconnus à chacun·e. Le domaine de l’aménagement de l’espace, à travers les disciplines qui l’ont structuré telles que l’urbanisme et l’architecture, aurait ainsi pu être l’un des plus ouverts à la participation. Or cela n’a pas été le cas. S’y sont manifestés, comme dans d’autres champs, des modes d’exercice du pouvoir politique, socio-économique et technique qui ont eu tendance à discréditer la légitimité et la capacité de l’habitant·e-citoyen·ne à s’exprimer sur le devenir de son cadre de vie. D’autres considérations plus spécifiques à ce domaine, liées notamment aux conditions d’énonciation d’un jugement esthétique, l’ont encore un peu plus disqualifié. Si, selon les contextes nationaux ou culturels ce constat peut être nuancé, ces différentes formes de domination ont gouverné les processus de fabrication de l’urbain au Nord comme au Sud, tandis que des modèles professionnels emblématiques, comme celui de l’architecte démiurge, ont largement circulé. En France, le recours à la norme technique et à l’outil statistique comme instruments de planification et de programmation, la référence au fonctionnalisme et au modernisme comme doctrine, n’ont fait qu’entretenir cette mise à distance.

Pour le décideur-maître d’ouvrage ou pour le concepteur-maître d’œuvre, le passage du « je » à un « nous » incluant l’habitant·e suppose plusieurs changements de paradigme. L’opposition à des politiques de rénovation urbaine brutale dès la fin du XIXe siècle, puis la revendication d’un « Droit à la ville » pour le citoyen·ne ordinaire à partir des années 1960, en ont amorcé la démonstration. Elles ont initié des collaborations entre des groupes d’habitant·es et des professionnel·les qui leur ont prêté assistance, bousculant les manières de catégoriser le pouvoir d’expertise. Les techniques d’enquêtes, les expériences d’advocacy et de community planning qui se sont développées à ces occasions, ont été aux fondements de la structuration d’une grammaire de la participation. En cherchant à comprendre les attentes de celles et ceux qui vivent dans des lieux, voire en s’appuyant sur leur « pouvoir d’agir », ces démarches ont contribué à une diffusion des savoirs et des savoir-faire de la participation, et plus encore, au renouvellement des méthodes de l’architecture et de l’urbanisme à l’échelle internationale. Plébiscitées par les institutions d’aide au développement des pays du Sud, elles sont aujourd’hui réinterprétées par les acteurs publics et économiques au Nord pour faire face à la question environnementale mais souvent de manière dépolitisée. La diffusion de ces expériences ne parvient toutefois ni à remettre en question l’existence de profondes hiérarchies sociales ni à conjurer des effets d’exclusion aggravés par la prégnance des politiques urbaines d’inspiration néolibérale.

Les pratiques qui s’expriment derrière les mots de la participation citoyenne dans le domaine de l’aménagement de l’espace traduisent ainsi des tensions, voire des contradictions. Un nombre croissant d’opérateurs de la ville a pris conscience de la nécessité de reconnaître un rôle actif à l’habitant·e dans la gestion de son cadre de vie, mais des logiques économiques cherchent davantage à instrumentaliser son engagement et sa responsabilisation pour diminuer la part des investissements publics.

En France, la crainte que les « luttes urbaines » ou « environnementales » ne se transforment en contre-pouvoirs politiques susceptibles de menacer la démocratie représentative, a suscité une première vague d’encadrement réglementaire de la participation citoyenne à partir du milieu des années 1970. Dans un domaine encore largement tributaire du volontarisme des pouvoirs publics, ce phénomène d’institutionnalisation a joué un rôle majeur pour mettre, ou ne pas mettre, les acteurs politiques et professionnels en mouvement. Plusieurs notices de ce dictionnaire y font référence. Elles montrent que l’absence de définition, ou les confusions sémantiques entretenues par un grand nombre de textes réglementaires, ont laissé suffisamment de latitude aux autorités juridiquement compétentes pour s’en tenir à la diffusion tardive d’informations ou à des entreprises communicationnelles. La désubstantification effective de certains termes, comme celui de concertation, a bien conduit dans les années 2010 le législateur et les acteurs en charge des politiques urbaines nationales ou locales à en préférer d’autres, comme ceux de coconstruction, de coproduction, voire de « capacité d’agir ». Mais en assimilant le plus souvent ces niveaux participatifs à des instruments, à des dispositifs ou à des outils particuliers (conseils, assemblées, ateliers, maisons des projets, permanence architecturale…), sans reconsidérer de manière plus structurelle l’élaboration de l’action publique dans lesquels ils s’inscrivent, leur portée s’en trouve encore potentiellement limitée. Les démarches d’évaluations qui se sont développées dans le champ de l’aménagement de l’espace montrent en effet, qu’outre les principes d’inclusion des publics, de transparence et de publicisation des informations déjà mis en exergue dans le domaine plus large des politiques publiques, l’intégration de la participation aux différentes étapes de définition et de mise en œuvre d’une action, constitue un enjeu fondamental encore peu identifié par les élu·es et par celles et ceux qui les assistent.

Les évolutions réglementaires des années 2000 ont moins été l’expression d’une défiance vis-à-vis de la participation citoyenne que cela n’avait été le cas dans l’après 68. Elles sont la conséquence de deux mouvements qui se sont parfois combinés. L’un relève de la déclinaison dans les politiques urbaines d’engagements internationaux pris par la France pour faire face au changement climatique, associant étroitement développement durable et participation. L’autre correspond à un ensemble de mobilisations citoyennes, liées à cette même question environnementale, ou dénonçant les conditions de vie dans les quartiers populaires et les démolitions du bâti encouragées par l’Agence de la Rénovation urbaine. Ces initiatives ont souvent donné lieu à des formes de coopération inédites entre des collectifs d’habitant·es, des associations, des chercheur·ses, des opérateur·rices de l’habitat, des représentant·es des pouvoirs publics… Elles ont par exemple permis la construction d’un cadre légal favorable aux projets d’habitat participatif ou ont été à l’origine de la création de conseils citoyens dans les quartiers en renouvellement urbain. Ainsi, au-delà de leur caractère contestataire, elles ont souvent été forces de propositions concernant de nouvelles manières d’habiter ou de fabriquer de l’urbanité, dans les métropoles ou dans le monde rural.

Des actions citoyennes ont pris des formes démonstratives ou « préfiguratives », donnant à voir par diverses modalités d’occupation de l’espace, comment la vie, des activités productives, une approche autogérée des communs urbains, pourraient se développer. Porteuses de dynamiques d’innovations, s’inspirant pour certaines des mouvements nord ou sud-américain du « place-making » ou de « l’urbanisme tactique », elles ont suscité l’intérêt des collectivités territoriales ou de grands opérateurs urbains. Des groupes de citoyen·nes ou des porteur·ses de projet issus de la société civile parfois accompagnés par des collectifs d’architectes ou d’artistes, sont ainsi de plus en plus sollicités pour mettre en œuvre des dispositifs d’urbanisme transitoire, de végétalisation des espaces publics, de programmation en action

De nouvelles formes de professionnalités ou figures professionnelles tels que les « assistant·es à maîtrise d’usage », ont émergé pour organiser ces démarches. Spécialistes ou non de l’espace, ils entrent parfois en concurrence avec des praticien·nes de l’architecture ou de l’urbanisme plus installés et qui se sont engagés dans le tournant participatif. Essayant de tisser des liens entre expérimentation et participation, praticien·nes, chercheur·ses, associations, structures privées, collectivités, construisent des coopérations inédites. Mais ces acteurs ne prennent pas toujours la mesure des niveaux d’exigences, en matière d’évaluation notamment, que suppose l’articulation entre ces deux notions.

Les incitations à l’innovation et à la créativité qui accompagnent nombre d’expériences participatives en urbanisme et en architecture, la mobilisation à ce titre de plateformes collaboratives, de méthodes ludiques importées de l’univers du jeu numérique ou du domaine du marketing, supposent d’interroger la nature de leurs objectifs. Loin de constituer des processus de cofabrication ou de coconstruction d’espaces ou de services, elles peuvent surtout viser à donner une plus grande attractivité à des espaces en cours de gentrification, à en exclure certaines populations ou encore à valoriser des solutions écotechniques accréditant le modèle de la smartcity.

Depuis les années 2000, pour nombre d’élu·es et de professionnel·les du cadre bâti, l’importance à accorder aux « savoirs d’usage » ainsi que la dimension potentiellement inventive de la participation, ont constitué une véritable révélation. Elles ont permis à cette pratique de gagner en légitimité et en considération. Mais la question de la portée politique de bon nombre d’actions participatives encouragées n’en demeure pas moins posée : dans quelle mesure sont-elles destinées à faire effet de levier pour démocratiser la manière de transformer et de gérer les espaces urbains ? Visent-elles à explorer des alternatives ou constituent-elles au contraire un opérateur puissant de la diffusion des modèles néo-managériaux dans les politiques urbaines ?

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