Définition de l'entrée

La notion de genre désigne la construction sociale d’une différence hiérarchisée entre hommes et femmes ainsi que les valeurs et représentations qui lui sont associées.

Pour citer cet article :

Sa Vilas-Boas, M. (2022). Genre. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/genre-2022

Citer

La relation entre genre et dispositifs de participation citoyenne a été étudiée par trois types de littérature. La première aborde les conditions d’inclusion des femmes dans les processus délibératifs et les effets de la participation sur leur capacité d’action. La seconde analyse la reproduction ou la subversion des inégalités de genre dans les dispositifs participatifs. La troisième porte sur la catégorisation des publics et les comportements attendus des participant·es. La notion de genre désigne la construction sociale d’une différence hiérarchisée entre hommes et femmes ainsi que les valeurs et représentations qui lui sont associées. Le terme « « dispositifs de participation citoyenne » désigne les instruments qui, dans le domaine de la participation et la délibération, sont mis en place par les pouvoirs publics et organisent « des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur » (Lascoumes et Le Galès, 2004 : 13).  

 

Renforcer la présence des femmes dans le champ politique 

Une partie de la littérature, fondée sur une approche féministe, aborde la relation entre genre et dispositifs de participation en interrogeant, d’une part, les mécanismes nécessaires à une meilleure inclusion des femmes dans le champ politique et, d’autre part, les effets de l’engagement participatif sur les capacités d’action des femmes. 

Dans le champ de la théorie démocratique, plusieurs autrices féministes ont, dans un dialogue critique avec les travaux de Jurgen Habermas, interrogé les conditions d’inclusion des groupes minorisés dans les processus délibératifs. Parce que l’espace public n’est pas neutre mais qu’il a historiquement été construit par et pour les hommes, les femmes ayant été renvoyées à l’espace privé en raison de leur nature supposée (Pateman, 2010), il n’offre pas une capacité égale à tous les groupes sociaux de faire entendre leur voix. Aussi, pour Iris Marion Young (2002), une délibération inclusive implique d’assurer la prise en compte des « perspectives » minoritaires, c’est-à-dire les conceptions issues de l’expérience de la domination en particulier de genre, de race ou de classe. Historiquement, ces conceptions ont souvent été formulées dans des « contre publics subalternes », en marge des scènes principales de l’espace public et au sein desquels les groupes minorisés ont émis des revendications propres, sans avoir à être renvoyés à leur illégitimité par les groupes dominants (Fraser, 2003). Si ces approches théoriques ont fait l’objet de débats quant au risque éventuel de naturalisation des « identités » à l’origine de l’expérience minoritaire (Mouffe, 1993 ; McBride, 2005), elles ont toutefois pour ambition de rompre avec un universalisme délibératif aveugle aux inégalités tout en pensant les individus sous l’angle de la position qu’ils occupent dans l’espace social, qualifié de « statut » par Fraser (2011), et non sur la base d’attributs fixes qui les définiraient.

Un second corpus de textes aborde les effets de la participation des femmes sur leur capacité d’action. Les chercheur·es s’appuient bien souvent sur la notion d’empowerment pour penser le processus de renforcement, ou à l’inverse d’amoindrissement, du pouvoir d’agir des femmes par l’engagement participatif. Réinvestie par les organisations internationales, telles que la Banque Mondiale, la notion d’empowerment des femmes par la participation a été érigée en « bonne pratique » de la gouvernance locale et/ ou de la gestion de la pauvreté (Parizet, 2016). Lorsqu’elle accompagne les politiques du développement, cette notion tend à être dissociée de son ambition la plus radicale, à savoir la lutte contre les inégalités structurelles (Bacqué et Bienewer, 2013). Elle est plutôt adossée à une perspective gestionnaire, où les individus sont tenus pour responsables de leur trajectoire socio-économique (Cantelli, 2013).

 

Reproduire et subvertir l’ordre du genre dans les processus participatifs

Plusieurs travaux constatent qu’en Europe ou en Amérique latine, la présence des femmes dans les dispositifs de participation citoyenne est conséquente voire qu’elles sont majoritaires. Mais cette présence varie fortement selon les territoires étudiés, les dispositifs et les thématiques soumises à la discussion. Si les budgets participatifs sont, au Brésil comme en France, particulièrement mixtes (Gret et Sintomer, 2002 ; Paoletti et Rui, 2015), tel n’est pas le cas d’autres dispositifs portant sur des thèmes perçus comme « une affaire d’hommes », tels que la consultation autour du projet urbain à Bordeaux étudié par Yves Raibaud (2015).

Ce constat permet d’interroger l’influence de la « grammaire » des dispositifs de participation (Talpin, 2010) sur les inégalités de genre. Observe-t-on une reproduction ou une neutralisation de ces mêmes inégalités ? Les travaux nous permettent de penser l’ambivalence des processus participatifs. La légitimité de certains registres de prise de parole, en particulier le registre expérientiel particulièrement mobilisé par les femmes (Contamin, 2007), favorisent leur présence et leur prise de parole. Aussi, certaines observatrices ne constatent-elles pas de restriction genrée dans la capacité à intervenir des hommes et des femmes pour exprimer « une colère » (Jarry-Omarova, 2019). Mais des inégalités de formes de prise de parole, observées dans les institutions représentatives (Dulong et Matonti, 2017), sont renouvelées dans les dispositifs de participation citoyenne. Dans plusieurs dispositifs mixtes, les femmes prennent la parole moins longtemps et elles se font plus fréquemment couper la parole que les hommes (Raibaud, 2015). Par ailleurs, lorsque le dispositif prévoit l’exercice de mandats, à l’image des conseillers des budgets participatifs (Gret et Sintomer, 2015) ou des vice-présidents des conseils de quartier, leur présence décline à mesure que l’on monte dans la hiérarchie des positions.

Toutefois, il serait réducteur de ne voir dans les dynamiques internes aux dispositifs de participation qu’une simple reproduction d’inégalités structurelles. Les recherches ethnographiques et/ou les travaux s’inscrivant dans une perspective pragmatiste nous rappellent que les rapports de domination se négocient en situation et qu’ils peuvent être temporairement inversés en fonction des configurations. Même dans des situations où les hiérarchies sociales et professionnelles, qui recoupent bien souvent des hiérarchies genrées, traversent les dispositifs, les chercheurs constatent des stratégies de résistances, à l’image des rires des infirmières face aux références culturelles de certains médecins dans les dispositifs d’éthique à l’hôpital (Smadja, 2015) ou la politisation « à bas bruit » d’inégalités multiples (Chevallier, 2019). Parce qu’ils reposent sur des règles et une grammaire propres, les dispositifs de participation ne peuvent être envisagés comme le simple décalque d’inégalités sociales et politiques préexistantes.

 

Catégorisation des publics et rôles féminins

A l’exception de certains dispositifs spécifiquement orientés vers la promotion de la cause des femmes, à l’image des conférences des femmes au Brésil (Sa Vilas Boas, 2015), hommes et femmes sont généralement invités à prendre part aux dispositifs de participation en tant que membre d’une catégorie non définie sur la base du sexe et du genre. C’est en tant qu’ « habitant·es », « bénéficiaires » d’une politique publique, « professionnel·les » d’un secteur, qu’ils sont appelés à s’exprimer dans un dispositif donné. Cette entreprise de catégorisation encadre les comportements attendus ainsi que l’(in)dicible dans les espaces participatifs (Laplanche-Servigne et Sa Vilas Boas, 2019). Dans cette perspective, les femmes sont souvent renvoyées à des rôles spécifiques, en particulier leur position de mère dans les dispositifs locaux créés en direction des populations précaires et/ou migrantes (Jarry-Omarova, 2017, Chevallier 2019). Opposées à une parentalité masculine parfois jugée défaillante, la valorisation de la maternité peut s’accompagner d’une assignation à certaines tâches, telles que le renforcement des activités de sociabilité dans les quartiers pour répondre à l’imaginaire de « bon·nes citoyen·nes » diffusé par les organisateurs (Palomares et Rabaud, 2006). Mais cette maternité peut également être investie d’une dimension militante afin d’obtenir des droits, comme cela peut être observé en Amérique latine (Molyneux, 2000) ou dans certains territoires d’outre-mer (Paris, 2017).

L’appropriation ou le rejet des comportements attendus dans les dispositifs dépendent fortement des ressources des participant·es. Plusieurs travaux constatent que les femmes ayant une trajectoire militante sont les plus enclines à contester les inégalités internes et externes aux processus participatifs (Palacios et al., 2015), cette contestation pouvant concerner la manière dont la cause des femmes est cadrée par les unes et les autres (Sa Vilas Boas, 2015). Les participant·es sans trajectoire militante peuvent faire l’expérience de la politisation de leur vécu (Carrel, 2006), acquérir de nouvelles ressources propices à l’entrée en politique (Talpin, 2008), voire accéder à une position d’ « intermédiaire » dans la mise en œuvre des politiques publiques dans certains territoires (Sa Vilas Boas, 2013).

 

Au final, la littérature atteste de l’ambivalence des processus participatifs sur les rapports de genre. Ni simple décalque de relations préexistantes, ni espaces pleinement autonomes à l’égard des normes de la vie sociale et politique, les dispositifs participatifs peuvent être tout autant à l’origine d’une subversion des rapports de genre que de leur reproduction. Reste à déterminer, en fonction des expériences observées, les processus menant à l’une ou l’autre voie.

Bibliographie

Bacqué, Marie-Hélène et Carole Bienewer, L’Empowerment, une pratique émancipatrice ?, Paris, Éd. La Découverte, coll. Poche, 2013.

Cantelli, Fabrizio, « Deux conceptions de l’empowerment », Politique et Sociétés, vol. 32, n°1, 2013, pp. 63–87.

Carrel, Marion. « Politisation et publicisation : les effets fragiles de la délibération en milieu populaire », Politix, vol. 75, n° 3, 2006, pp. 33-51.

Chevallier, Thomas. « Résister à bas bruit aux catégorisations institutionnelles dans des dispositifs de participation à Berlin », Participations, vol. 25, n°3, 2019, pp. 109-138.

Contamin, Jean-Gabriel. « Genre et modes d'entrée dans l'action collective. L'exemple du mouvement pétitionnaire contre le projet de loi Debré », Politix, vol. 78, n° 2, 2007, pp. 13-37.

Dulong, Delphine, et Frédérique Matonti. « Comment devenir un(e) professionnel(le) de la politique ? L'apprentissage des rôles au Conseil régional d'île-de-France », Sociétés & Représentations, vol. 24, n°2, 2007, pp. 251-267.

Fraser, Nancy, Qu'est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, La Découverte, coll. « La Découverte/Poche », 2011.

Fraser, Nancy. « 5. Repenser l'espace public : une contribution à la critique de la démocratie réellement existante », Emmanuel Renault éd., Où en est la théorie critique ? La Découverte, 2003, pp. 103-134.

Gret Marion et Yves Sintomer., Porto Alegre. L'espoir d'une autre démocratie, Paris, La Découverte, 2002.

Jarry-Omarova, Anna. « Le genre de la participation citoyenne à Sevran (Seine-Saint-Denis) », Participations, vol. 18, n° 2, 2017, pp. 177-204.

Laplanche-Servigne, Soline et Marie-Hélène Sa Vilas Boas. « Introduction. Les catégorisations des publics minorisés en questions », Participations, vol. 25, n°3, 2019, pp. 5-31.

McBride Cillian, « Deliberative democracy and The Politics of recognition », Political Studies, vol. 53, n°2, 2005, pp. 497-515.

Molyneux, Maxine, “Mobilisation sans émancipation ? Participation des femmes, Etat et révolution au Nicaragua”, in Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur, Le genre : un outil nécessaire : Introduction à une problématique, Cahiers Genre et Développement, n°1. Genève, Paris : EFI/AFED, L'Harmattan, 2000, pp. 123-131

Mouffe, Chantal, The return of the political, Londres, Verso, 1993.

Palacios, Jone Martínez, et al. « La participation entravée des femmes. Le cas des processus d’innovation démocratique au Pays basque », Participations, vol. 12, n°2, 2015, pp. 31-56.

Pateman Carole, Le contrat sexuel, trad. Charlotte Norman, Paris, La Découverte/IEC, 2010 [1988].

Paoletti, Marion, et Sandrine Rui, « Introduction. La démocratie participative a-t-elle un sexe ? », Participations, vol. 12, n°2, 2015, pp. 5-29.

Palomares, Élise, et Aude Rabaud. « Minoritaires et citoyens ? Faites vos preuves ! », L'Homme & la Société, vol. 160-161, n°2-3, 2006, pp. 135-160.

Paris, Myriam. « Un féminisme anticolonial : l’Union des femmes de La Réunion (1946-1981) », Mouvements, vol. 91, n°3, 2017, pp. 141-149.

Parizet, Raphaëlle. « Le « pauvre d’abord ». Une analyse des dynamiques circulatoires de la participation populaire au développement », Participations, vol. 14, n°1, 2016, pp. 61-90.

Raibaud, Yves. « La participation des citoyens au projet urbain : une affaire d’hommes ! », Participations, vol. 12, n°2, 2015, pp. 57-81.

Sa Vilas Boas, Marie-Hélène. « Politiser les « différences » : les rapports sociaux en débat au sein des conférences municipales des femmes de Recife », Participations, vol. 12, n° 2, 2015, pp. 139-165.

Sa Vilas Boas, Marie-Hélène. « Des street level bureaucrats dans les quartiers : la participation aux conférences municipales des femmes à Recife », Revue internationale de politique comparée, vol. 20, n°4, 2013, pp. 55-76

Smadja, David. « Politiques de l’éthique : hégémonie médicale et pratiques de décodage des acteurs subalternes. Une observation ethnographique d’un dispositif participatif pilote de réflexion éthique », Participations, vol. 12, n°2, 2015, pp. 83-107.

Talpin, Julien. « Ces moments qui façonnent les hommes. Éléments pour une approche pragmatiste de la compétence civique », Revue française de science politique, vol. 60, n°1, 2010, pp. 91-115.

Talpin, Julien, « Pour une approche processuelle de l’engagement participatif : les mécanismes de construction de la compétence civique au sein d’institutions de démocratie participative », Politique et Sociétés, vol. 27, n°3, 2008, pp. 133–164

Young I. M., 2002, Inclusion and democracy, Oxford, Oxford Universiy Press.

Sur le même sujet

Publié en novembre 2022
Inégalités, justice et inclusion

Féminismes

Il n’y a pas de théorie générale féministe de la démocratie participative mais des prises, diverses, dans différents courants du féminisme, qui critiquent et enrichissent les théories de la démocratie participative. Il y…
Publié en octobre 2023
Inégalités, justice et inclusion

Croisement des savoirs

Si l’on admet qu’il existe différentes typologies de recherches participatives, nous pouvons dire que les recherches en croisement des savoirs font partie des recherches participatives radicales (Godrie, Juan et Carrel…
Publié en juin 2013
Innovations démocratiques
Organisation du débat public

Facilitation

Le terme « faciliter » désigne l’action de susciter la communication et de la fluidifier entre des personnes qui, par nature, sont porteuses de sensibilités, de capacités d’expression et de cadres culturels différents…