Sens 1 : Manifestation d’opposition entre acteurs dénonçant l’incompatibilité entre certaines pratiques, formes d’appropriation de sous-ensembles spatiaux ou utilisation de ressources naturelles.
Sens 2 : Concurrence potentielle entre certaines pratiques, formes d’appropriation de sous-ensembles spatiaux ou utilisation de ressources naturelles.
Sens 1 : Manifestation d’opposition entre acteurs dénonçant l’incompatibilité entre certaines pratiques, formes d’appropriation de sous-ensembles spatiaux ou utilisation de ressources naturelles.
Sens 2 : Concurrence potentielle entre certaines pratiques, formes d’appropriation de sous-ensembles spatiaux ou utilisation de ressources naturelles.
L’appellation conflit d’usage, ou plutôt conflit d’usage du sol ou de l’espace, si l’on reprend ses traductions anglaises land-use conflict ou espagnoles conflicto de uso del suelo est utilisée pour caractériser des situations d’opposition portant sur l’utilisation de sous-ensembles spatiaux. Il s’agit de la dénonciation d’incompatibilités entre certaines formes d’appropriation ou d’exploitation des espaces et des ressources naturelles. Même si en première analyse le terme semble caractériser des oppositions entre usagers de l’espace, l’observation de la littérature scientifique montre qu’il est utilisé plus largement pour saisir des situations qui sont aussi qualifiées de conflits de localisation (Lidskog, 2005), lorsqu’il s’agit de contrer une implantation industrielle ou une infrastructure, de conflits d’aménagement (Dziedzicki, 2001), lorsque l’usage dénoncé est porté par un projet public, de conflits d’environnement (Charlier, 1999), lorsque la question des espaces naturels, des nuisances ou du risque est au cœur de débats, ou de conflits de proximité (Sénécal, 2005 ; Melé, 2011), dans la mesure où des habitants se mobilisent contre un phénomène qu’ils décrivent comme affectant leur espace proche.
Les principales situations saisies en termes de conflits d’usage concernent l’utilisation des ressources « naturelles », en particulier l’eau (Vidal-Madjar, Topol, et al., 2001), les usages et pratiques des espaces protégés ou naturels (Laslaz, et al., 2010) ; la pression pour l’urbanisation des espaces littoraux (Cadoret, 2006), les mutations de l’occupation des espaces ruraux (Groupe, 2005) ou périurbains (Cadène, 1985 ; Von der Dunk, Grêt-Regamey, et al., 2011), les impacts négatifs d’activités extractives (Hilson, 2002 ; Melé, 2011) ; les « débordements » d’activités industrielles (Letté, 2012) ; mais aussi plus largement les relations entre activités et usages résidentiels (Lecourt et Faburel, 2008) et, à une autre échelle, les heurts et oppositions, pour l’appropriation des espaces publics (Duhau et Giglia, 2008).
Dans la littérature géographique et dans des textes traitant plus largement de la question environnementale, le terme conflit d’usage est aussi adopté pour évoquer des contradictions ou concurrences potentielles entre certaines pratiques, formes d’appropriation de sous-ensembles spatiaux ou utilisation de ressources naturelles. Il s’agit d’un sens proche de celui de compétition entre usages, de concurrences spatiales dans lequel le conflit peut être latent ou seulement sous-jacent. Des rapports de forces entre activités concurrentes peuvent être mis au jour pour analyser les dynamiques socio-spatiales ; les périodes de crise peuvent être décryptées à partir de l’identification de conflits entre usages ; des pratiques sociales différenciées d’un même espace peuvent être décrites comme conflictuelles (Picon, 1988).
Une perspective aménagiste, qui plaide pour un usage plus rationnel de l’espace tend à mobiliser le terme non seulement pour analyser des compétitions entre intérêts contradictoires mais comme révélateur de l’incompatibilité entre certains usages (Bergstrom, Goetz, et al., 2004). On peut aussi identifier un sens normatif, souvent associé à des activités de zonages, dégagé de l’analyse de toute situation concrète, selon lequel il serait possible de classer les usages de l’espace en fonction de leur potentielle compatibilité.
Or, il semble important de conserver à la notion de conflit son caractère de description de situations dans lesquelles des acteurs se mobilisent, tentent de peser sur des décisions publiques (Melé, Larrue, et al., 2003). En ce cens, ce ne sont pas des usages qui sont en conflit, mais bien des acteurs qui s’opposent à la remise en cause de certaines formes d’appropriation de l’espace, qui tentent de peser sur les dynamiques socio-spatiales, qui portent certains intérêts ou certains projets pour des sous-ensembles spatiaux.
L’appellation conflit d’usage est en particulier utilisée par des économistes, à partir de l’identification d’externalités négatives liées à certaines utilisations de l’espace. On peut d’ailleurs identifier un emploi dans lequel conflit d’usage est utilisé comme synonyme d’externalité négative. Les conflits d’usage constituent surtout un des champs de mise en œuvre d’une réflexion depuis la science économique sur la proximité. Des travaux sur des situations de conflit permettent d’appréhender la proximité spatiale à partir de ses dimensions négatives comme source de tensions et vecteur de conflictualité. La proximité spatiale ou « géographique » est ici définie à partir de la distance physique, donnée considérée comme relative (dépendant du temps et des coûts de transport) mais aussi subjective (dépendant des représentations et des cadres d’interprétation des individus) (Torre, 2009). L’analyse est complétée par la prise en compte d’une autre dimension de la proximité, la proximité organisée au sein d’institutions ou d’organisations. À partir de travaux sur différents types de conflits d’usage, définis ici comme provoqués par une proximité géographique subie, les recherches menées dans le cadre de l’économie de la proximité se focalisent essentiellement sur les espaces ruraux ou péri-urbains (Darly, 2009 ; Kirat et Torre, 2008).
Philippe Jeannaux (2006), à partir d’une recherche portant sur la localisation d’un incinérateur, plaide pour une économie de la décision publique et propose de sortir d’un cadre d’interprétation du conflit d’usage comme une opposition directe entre deux types d’acteurs ayant des modes d’usage de l’espace différents et réintègre la place des pouvoirs publics dans les conflits. Il est en effet possible de considérer que les conflits et oppositions sont fortement tournés vers la remise en cause de décisions des acteurs publics dans la mesure où, en attribuant des droits de construire et autorisations de localisation d’activités, ils répartissent des droits d’usage mais aussi des externalités négatives.
Dans cette optique, les oppositions locales ne peuvent être analysées uniquement comme des antagonismes entre usagers de l’espace mais ce sont aussi des protestations des populations qui s’estiment les perdants des choix publics. On comprend dès lors pourquoi les débats sur les zonages et le statut des espaces sont au cœur de nombreuses situations de conflit.
Si la notion d’usage place au premier plan l’espace ou les ressources « naturelles » elle apparaît inadaptée à saisir dans leurs complexités les dimensions spatiales et territoriales des conflits. Il semble nécessaire de prendre en compte non seulement les pratiques, les préférences et les représentations, mais aussi différentes modalités d’ancrage et d’identification à des groupes ou des espaces (Wester-Herber, 2004). Dans la littérature géographique, les rapports entre conflits et territoires sont d’abord traités à partir de la capacité des conflits à révéler des ancrages territoriaux interprétés en termes d’appartenance, d’appropriation ou même d’identités territoriales (Lecourt, 2003). Ces travaux considèrent les conflits comme signes de la résistance au changement de groupes sociaux dotés d’une forte cohésion ou d’une identité culturelle spécifique, dont un des attributs est justement la capacité à se définir en s’opposant à l’extérieur et aux changements perçus comme allogènes. La réflexion géographique s’intéresse donc aux conflits d’abord à partir de leur capacité à révéler et à renforcer des territorialités préexistantes. Un autre aspect de la relation entre conflit et territoire est moins présent et moins étudié (Faburel, 2003 ; Melé, Larrue, et al., 2003) : le rôle des conflits comme processus de territorialisation. Sans nier l’importance des configurations préexistantes sur le déclenchement et les modalités du conflit, certains travaux ont focalisé l’attention sur l’analyse des effets des situations de conflit et controverse dans les relations à l’espace des populations et des institutions (Melé, 2008). Ces situations ont pu être mobilisées pour identifier des formes de territorialités réactives (Lolive, 1999) ou un régime de territorialité réflexive (Melé, 2009) marqué par la réinterprétation des relations à l’espace dans le cadre de processus d’actions collectives et par les enquêtes des publics qui cherchent à défendre une certaine vision du devenir d’un sous-ensemble spatial.
À la suite d’Arthur Jobert (1998) et de Dany Trom (1999), de nombreux textes prennent leur distance avec l’appellation NIMBY (Not in my back yard : pas dans mon jardin) utilisée pour construire une catégorie de situations dans laquelle les protestations contre de nouveaux usages de l’espace relèveraient uniquement d’attachements résidentiels ou d’intérêts particuliers. Les usages de ce qualitatif par des porteurs de projets ont d’abord pour effet de délégitimer les attachements de proximité et de réaffirmer leur position de prescripteur de l’intérêt général.
La notion de montée en généralité caractérise la capacité des mobilisations sur des enjeux de proximité à déplacer leurs discours de justification pour élargir le concernement et tenter de transformer leur cause en problème public. Or, il est possible de construire une critique de cette vision en notant, d’une part que l’ancrage dans des valeurs est souvent présent dès le début des mobilisations et, d’autre part, que de nombreux travaux montrent que les mobilisations peuvent être analysées comme la construction de collectifs hybrides impliquant des riverains, des acteurs politiques et institutionnels, des militants politiques ou écologistes.
Les conflits d’usage ne sont donc pas seulement des situations produites par des configurations locales et, dans de nombreux cas, il n’est pas possible d’analyser des mobilisations ancrées spatialement sans les inscrire dans un moment de la construction de causes à l’échelle nationale ou internationale (Chateauraynaud, 2011).
Du point de vue de la gestion des espaces, la notion de conflit d’usage est utilisée pour signifier la difficulté à construire un accord entre les porteurs de différents intérêts sur le devenir de certains espaces. Des dispositifs institutionnels sont mis en place dans l’objectif de prévenir ou de désamorcer des conflits d’usage, de réconcilier des perceptions antagonistes, d’apaiser les tensions. La référence dans le domaine de l’eau ou des espaces naturels à des formes de gestion intégrée, les références à des stratégies de gestion patrimoniale d'espace ou à des formes de gouvernance territoriales, la prise de conscience que le rôle des politiques d’aménagement du territoire est d’abord de traiter des demandes d’utilisation de l’espace en conflit (European Environment Agency, 2010), la croyance renouvelée dans la planification territoriale comme mise en débat de projets concertés du territoire, se traduisent par des dispositifs plus ou moins ouverts à la concertation ou à la participation. Par ailleurs, dans différents domaines se sont mis en place des comités de suivi, se sont ouverts des espaces d’échange qui tentent d’intégrer les représentants des habitants et des différents usages dans l’objectif proclamé de reconstruire la confiance entre les différents porteurs d’intérêts et d’assurer les conditions de l’intégration des représentants des riverains ou des groupes mobilisés dans des instances assurant une vigilance institutionnelle.
Quels que soient les effets de la généralisation de ces dispositifs qui constituent aussi des scènes pour l’expression des conflits, les situations de conflit peuvent être appréhendées en elles-mêmes comme l’ouverture d’un espace public intermédiaire de débat sur le devenir de certains espaces. Dans certaines mobilisations locales s’expriment aussi directement la manière dont les individus mobilisés pensent la citoyenneté et revendiquent un rôle de citoyen (Carrel, Neveu, et al., 2009 ; Fourniau, 2007) et non pas uniquement le refus localisé de certains usages du sol.
Pour citer cet article
Patrice MELÉ, « Conflit d'usage », in CASILLO I. avec BARBIER R., BLONDIAUX L., CHATEAURAYNAUD F., FOURNIAU J-M., LEFEBVRE R., NEVEU C. et SALLES D. (dir.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la participation, Paris, GIS Démocratie et Participation, 2013, ISSN : 2268-5863. URL : http://www.dicopart.fr/fr/dico/conflit-dusage.