L’
arène est une notion mobilisée dans les travaux de science politique française dans les années 1990 pour nuancer le travail intellectuel de description des lieux du politique. C’est au politiste Bruno Jobert que l’on doit notamment les premières tentatives de théorisation spécifiant deux scènes dans l’analyse de l’action gouvernementale : d’un côté les
arènes politiques, lieu d’affrontement entre acteurs, et de l’autre les forums de politiques publiques, lieu de traduction des problèmes en priorités collectives (Jobert, 1995, 2004). Le débat fait écho à une abondante littérature anglo-saxonne centrée sur les
Public Arenas (Hilgartner et Bosk, 1988) et sur la mise sur agenda des problèmes dans les sphères de la décision publique, avec une classification qui propose une distinction entre
politics,
policies et
problems streams (la compétition politique, l’action publique, le public). Lorsque l’économiste Albert Hirschman étudiait les mécontentements des individus dans sa célèbre étude
Exit, Voice and Loyalty, il assignait explicitement les
arènes politiques aux jeux du pouvoir et aux joutes électorales dans une perspective d’instrumentalisation politique (Hirschman, 1970). On voit donc que la notion d’
arène émerge sans lien direct avec la question de la
démocratie participative, et même qu’elle symbolise plutôt une appréhension du politique inscrite dans les théories du
gouvernement représentatif (Manin, 1996). À cet égard, l’ouvrage collectif consacré aux
débats publics et à ses « espaces mosaïques » mobilise clairement la notion d’
arène dans une perspective critique diagnostiquant la victoire de la parole des
professionnels de la politique sur les « gens ordinaires » (François et Neveu, 1999).
C’est précisément cette dichotomie tranchée qui fait l’objet d’une discussion renouvelée depuis une décennie, et cela sans doute pour partie grâce aux travaux sur la participation. Mais pour comprendre ce renouveau, il faut d’abord s’attarder sur les dimensions symboliques et signifiantes du terme dans le lexique français. L’
arène vient notamment de l’Espagne, en référence aux
corridas, ces courses de taureaux organisées dans un espace clos de combat (d’abord des places fermées, ensuite des amphithéâtres circulaires spécifiquement dédiés). L’
arène constitue donc à l’origine un lieu d’affrontement et de violence. Sa transposition dans l’univers politique véhicule l’idée d’une confrontation brutale et elle fait sens dans cette acception, aussi bien dans le langage courant que pour ses développements plus savants. Mais le parallèle avec la tauromachie permet aussi de comprendre que l’
arène est un espace contrôlé de codification de l’affrontement politique. Dans une corrida, tout est réglé au millimètre (le temps des
tercio, l’ordre de passage des
peons, le rôle du gardien du
toril…). À la différence des lieux du
lobbying ou du clientélisme, l’
arène est publique et elle génère une violence politique contenue dans un système domestiqué par la publicité.
Si l’on suit cette piste de la violence contenue, il apparaît que c’est bien la parole citoyenne, dans sa capacité d’interpellation des autorités publiques, qui colore l’usage savant et profane de la notion d’
arène à partir des années 1990. On accole volontiers le terme à des lieux politiques placés sous les feux des médias et de l’opinion publique : l’
arène électorale, régionale, parlementaire, européenne, internationale, judiciaire... L’
arène est mentionnée comme une scène d’interactions entre les individus en lien avec des luttes institutionnelles, un lieu où les acteurs politiques interagissent, s’affrontent, exercent le pouvoir ou y résistent, mais sans que l’issue des négociations soit mécaniquement maîtrisée ou instrumentalisée par une catégorie d’acteurs. Dans cette perspective, on repère des interprétations qui insistent sur la territorialisation de la négociation politique, d’abord dans les apprentissages régionaux sur les sites institutionnels (Nay, 1997), ensuite dans l’exercice du métier d’élu local (Faure, 1997), enfin au cœur des tournois d’action publique de l’État local (Lascoumes et Le Bourhis, 1998). Dans les thèses récentes en science politique, la notion est couramment mobilisée comme variable explicative, que ce soit pour décrypter les stratégies de changement d’
arènes (Delori, 2008), pour décrire les nouveaux
dispositifs de la
démocratie participative (Gourgues, 2010) ou encore pour détailler le « champ gravitationnel » des cercles politiques de la décision publique (Audikana, 2012). Dans l’ouvrage que le politiste américain Theodore J. Lowi vient de consacrer aux
Arenas of Power (Lowi, 2009), on retrouve ce même effort de combinaison entre le
politics et les
policies, l’auteur défendant l’idée que chaque type de politique publique détermine une structure de compétition politique.