Définition de l'entrée

Le forum en ligne est un dispositif délibératif qui organise une discussion entre participants à distance.

Pour citer cet article :

Badouard, R. (2022). Forum en ligne. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/forum-en-ligne-2022

Citer

Le terme de forum désigne à l’origine les places publiques des villes de la Rome antique, où se réunissaient les citoyens pour traiter des affaires politiques, économiques ou religieuses. Par analogie, le terme est aujourd’hui employé pour désigner des espaces ou des dispositifs ouverts au sein desquels des citoyens débattent de sujets ayant trait à la vie publique. Différentes déclinaisons de la notion sont utilisées par les chercheurs et chercheuses qui s’intéressent aux questions de participation (forums hybrides, ouverts, etc.) et parmi elles, les forums en ligne, dont il va être question ici.
 
Le forum en ligne est un dispositif délibératif qui organise une discussion entre individus à distance. Hébergé sur un site internet, il permet de poster des messages successifs au sein de fils de discussion relatifs à un sujet dédié. Il peut être ouvert ou fermé selon qu’il nécessite une inscription ou non pour prendre part à l’échange. La dynamique délibérative favorisée par un forum en ligne présente plusieurs spécificités : les échanges sont asynchrones, se font par écrit, et les interlocuteurs ne sont pas tenus d’utiliser leur véritable identité (recours à des pseudonymes). Les débats peuvent par ailleurs s’étirer sur un temps long et faire l’objet d’une consultation a posteriori.

Forum et design numérique

Les forums en ligne constituent l’un des premiers usages sociaux d’internet. Antérieurs à l’apparition du web (ils étaient alors hébergés sur des réseaux tels que Usenet – un réseau d’échange de fichiers et de messages créé à la fin des années 1970 – ou accessibles via le minitel), ils ont incarné dans les années 1990 et 2000 une forme de renouveau du débat public, de par leur caractère ouvert, tout en permettant des délibérations à grande échelle (on pense ici aux débats sur le traité constitutionnel européen au milieu des années 2000). A partir de la fin des années 2000, ils ont eu tendance à être supplantés par les réseaux sociaux, même s’ils sont encore utilisés aujourd’hui par de nombreuses communautés en ligne. Par ailleurs, à bien des égards, les réseaux sociaux et les applications de messagerie relèvent eux aussi de forums en ligne, notamment par le biais de fils de commentaires qui s’inspirent directement du fonctionnement des forums.

Le recours à des forums en ligne dans le cadre de procédures participatives institutionnalisées a mis en évidence l’importance de la conception des espaces d’échange en ligne. Parce qu’ils cadrent les interactions entre internautes et configurent leurs modalités d’action, les forums mettent en œuvre une certaine vision de la participation. Le recours à certaines applications techniques dans le cadre de procédures institutionnalisées revient alors à effectuer un choix politique, en « matérialisant » certaines conceptions de la citoyenneté (Wright et Street, 2007 ; Monnoyer-Smith, 2010). Le forum nous invite ainsi à détourner notre regard d’une technologie participative vers son design, dans la mesure où c’est dans sa conception, et non dans la technologie en elle-même, que réside son potentiel démocratique.

Par exemple, sur un forum, les échanges peuvent se suivre de manière chronologique (le premier message posté apparait en premier) ou ante-chronologique (le dernier message posté apparait en premier). Dans le premier cas, la conception du forum favorisera des débats plus constructifs, dans la mesure où avant de réagir, les participants seront invités à prendre connaissance des commentaires précédents. Dans le second cas, sa conception favorisera le dynamisme des discussions, en incitant les participants à réagir au dernier commentaire posté. Il est également possible d’organiser les échanges selon d’autres logiques, comme en faisant apparaître en premier les commentaires les plus « likés » par les autres participants aux échanges (permettant ainsi d’identifier des points qui font consensus dans le débat), ou en permettant à des fils de discussion secondaires de prendre place sous un commentaire particulier, comme sur YouTube ou Facebook (ce qui favorise la visibilité d’un fil rouge au sein de la discussion principale).

Les usages sociaux des forums

Au sein des procédures de participation institutionnalisées, l’intérêt principal des forums en ligne est généralement de proposer des espaces de débat qui s’articulent à des espaces en face-à-face, même si cette articulation est plus ou moins bien pensé suivant les dispositifs. En multipliant des dispositifs qui proposent chacun des caractéristiques spécifiques de prise de parole, la procédure favorise une expression plus large des intérêts et des positions des différents acteurs engagés (Benvegnu et Brugidou, 2008). Elle est également plus inclusive, dans la mesure où ce ne sont pas forcément les mêmes individus qui s’expriment en ligne et hors ligne : certains publics réticents à la prise de parole lors de réunions publiques peuvent ainsi faire preuve d’une certaine aisance une fois sur des forums internet (Monnoyer-Smith, 2006). Différentes études de cas ont également souligné que dans le cadre de procédures consultatives, les forums sont moins utilisés comme des opportunités de dialogue que comme des scènes publiques où les internautes livrent des témoignages (Wojcik, 2006) ou mobilisent des individus pour « détourner » la procédure (Badouard, 2015).
 
Les forums en ligne ont par ailleurs fait l’objet d’une littérature académique abondante. Le champ des études sur la délibération en ligne (Greffet et Wojcik, 2008) s’est par exemple très tôt intéressé à l’analyse de la qualité des débats qui prennent part sur des forums, en observant si les conditions de l’échange sur internet (médiation des écrans, dimension individuelle de la participation, anonymat, caractère asynchrone des échanges, etc.) étaient propices à l’émergence de formes de débat plus respectueuses, mieux argumentées, plus inclusives, ou plus constructives. Si les résultats de ces travaux ont parfois mené à des résultats contradictoires, ils ont permis de mettre en évidence un certain nombre de dynamiques du débat en ligne :
-    La participation sur un forum en ligne est inégale : un petit nombre de participants produit la grande majorité des messages (les « super-participants ») alors que la majorité intervient peu, voire pas du tout ;
-    Les échanges en ligne peuvent produire une « spirale du silence » qui favorise l’expression de points de vue majoritaires : lorsqu’un nombre important de participants s’alignent sur un point de vue particulier et l’expriment, les participants en désaccord préfèrent se taire plutôt que d’entrer dans un débat contradictoire ; dans le même temps, d’autres résultats ont pointé les apports de l’anonymat à des formes de libération de la parole, qui favorise la participation des publics minoritaires ;
-    Les débats qui prennent place dans des espaces politisés (groupes Facebook militants par exemple) ont tendance à générer des monologues collectifs ou les points de vue minoritaires sont rejetés ; inversement, le débat politique contradictoire émerge dans des « tiers espaces » (Wright, 2016) qui ne sont pas politisés a priori et où les participants se montrent davantage respectueux vis-à-vis des points de vue qui ne sont pas les leurs (forums de cuisine ou d’informatique par exemple, tutoriels en tout genre sur YouTube, etc.) ; `
-    La violence expressive est davantage tolérée dans les échanges en ligne, et ne constitue pas forcément un obstacle à la tenue d’un débat constructif (Badouard, 2017) ;

On ne débat donc pas mieux ou moins bien sur un forum ou en face-à-face : on y débat autrement. C’est de la complémentarité des espaces d’échange que naît la possibilité d’un débat plus inclusif et constructif, dans lequel les forums en ligne peuvent jouer un rôle. Par ailleurs, les forums jouent également un rôle essentiel dans l’auto-régulation des communautés en ligne. Les règles de fonctionnement de ces communautés, construites autour de principes de gouvernance collective, de valorisation de la participation, d’équité de la prise de parole et de recherche de consensus, sont ainsi mis à l’épreuve au sein de ces forums. Ces formes d’auto-gestion en ligne font preuve d’une certaine efficacité, et permettent parfois de réguler de larges communautés dont les membres peuvent exprimer des positions et des intérêts hétérogènes, comme le montre le cas de l’encyclopédie en ligne Wikipédia (Cardon et Levrel, 2009). Enfin, les forums en ligne ne sont pas que des espaces de discussion : ils sont également des lieux où se structurent des mobilisations en permettant la coordination d’individus à des projets collectifs (Akrich et Méadel, 2007), et des espaces d’entraide où sont redéfinis les liens de solidarité entre les membres d’une communauté (Auray, 2010).

Bibliographie

AKRICH Madeleine, MÉADEL Cécile, « De l’interaction à l’engagement : les collectifs électroniques, nouveaux militants dans le champ de la santé », Hermès, n°47, 2007, p.145-154.

AURAY Nicolas, “Le web participatif et le tournant néo-libéral : des communautés aux solidarités », in Proulx, S., Millerand, F., Rueff, J., Web social : mutation de la communication?, Presses de l'Université du Québec, 2010, pp.33-51.

BADOUARD Romain, Le désenchantement de l’internet. Désinformation, rumeur, propagande, FYP Editions, 2017.

BADOUARD Romain, « Communautés en ligne et mesure de l’opinion. Retour sur une expérience de « marketing délibératif », Communication, vol.33, n°2, 2015.

BENVEGNU Nicolas, BRUGIDOU Mathieu, « Prendre la parole sur internet. Des dispositifs sociotechniques aux grammaires de la discussion", Réseaux, n°150, 2008, p.51-52.

CARDON Dominique, LEVREL Julien, « La vigilance participative. Une interprétation de la gouvernance de Wikipédia », Réseaux, n°154, 2009, p.51-89.

GREFFET Fabienne, WOJCIK Stéphanie, « Parler politique en ligne : une revue des travaux français et anglo-saxons », Réseaux, n°150, 2008, p.19-50.

MONNOYER-SMITH Laurence, Communication et délibération. Enjeux technologiques et mutations citoyennes, Paris : Hermès Lavoisier, 2010(a).

WOJCIK Stéphanie, « Les forums électroniques municipaux : un espace délibératif inédit », Hermès , n° 45, 2006, p.177-182.

WRIGHT Scott, “Les conversations politiques en ligne au quotidien : design, délibération et “tiers espace”, Questions de communication, n°30, 2016, p.119-134.

WRIGHT Scott, STREET John, « Democracy, deliberation and design : the case of online discussion forums », New Media Society, n°9, vol.5, 2007, p.849-870.

 

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