Définition de l'entrée

Les exclu·es de la participation sont les personnes qui sont tenues ou se tiennent à l’écart des procédures délibératives et participatives, des élections et des mouvements sociaux. Leurs points de vue et leurs savoirs ne sont donc pas directement présents dans les arènes de discussion ou de décision sur le bien public.

Pour citer cet article :

Carrel, M. (2013). Exclu·es. In I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, & D. Salles (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/exclues-2013

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Formes d’exclusion dans l’action publique et dans la participation

Le couple exclusion/inclusion a été travaillé en science politique, dans la lignée des recherches sur le « cens caché » (Gaxie, 1978) : un nombre limité de personnes, diplômées et aisées, participe directement aux activités politiques. Sauf cas exceptionnels (manifestations, pétitions, émeutes), la plupart des gens, en particulier les pauvres et non-diplômés, assistent en spectateurs au déroulement de la compétition politique. Le phénomène s’accentue avec l’essoufflement du mouvement ouvrier, qui a laissé place à un vide politique dans les quartiers populaires, se traduisant par une abstention électorale élevée.
Malgré les espoirs placés dans la démocratie participative, le « cens caché » repéré dans la démocratie représentative ne disparaît pas miraculeusement dans les dispositifs participatifs et délibératifs. Le poids de la condition socio-économique dans le fait de prendre part aux débats et aux votes a été démontré dans les recherches anglo-saxonnes sur la démocratie participative (Mansbridge, 1980 ; Young, 2000). Il en est de même en Amérique latine : si les classes populaires se déplaçaient massivement dans les réunions publiques du budget participatif de Porto Alegre, ce sont majoritairement des individus de classe moyenne qui étaient élus conseillers du budget participatif (Gret et Sintomer, 2002). Le constat d’une « sous-représentation des personnes appartenant aux groupes dominés (précaires, jeunes, population d’origine immigrée) » est également établi dans les expériences participatives européennes (Bacqué et Sintomer, 2011 ; Talpin, 2011).
La sociologie et l’anthropologie apportent un éclairage complémentaire sur les processus complexes d’exclusion et d’auto-exclusion de la parole et de l’action publique. Historiquement, la condition de pauvre, comme celle de femme, empêchait l’acquisition du statut de citoyen (Simmel, 1998 [1908]). Si la législation a évolué, cette marque originelle a laissé des traces. Les pauvres restent bien souvent inouïs dans l’espace public, au double sens d’inaudibles et d’improbables car disqualifiés, renvoyés à leur état de nature pour mieux souligner leur immaturité (Boullier, 2009). Ils intériorisent le sentiment d’une non-reconnaissance sociale et d’une certaine invisibilité, qui les freinent dans la formulation et la publicisation de leurs revendications (Kokoreff et Lapeyronnie, 2013). La ségrégation socio-spatiale, couplée de l’exclusion symbolique et réelle de la citoyenneté, renforce la représentation d’une population apathique.
Dans la perspective bourdieusienne, la position sociale du locuteur permet ou non l’accès « à la langue de l’institution, à la parole officielle, orthodoxe, légitime » (Bourdieu, 1982). Celles et ceux qui n’ont pas acquis le capital nécessaire font preuve de timidité, de parole maladroite ou d’absence de prise de parole, tels ces habitants d’une vallée des Appalaches, polluée par l’activité minière, qui ont plongé dans le silence politique (Gaventa, 1980).
Les approches interactionnistes insistent pour leur part sur le fait que les pauvres s’entraident, tissent des liens, montent des projets collectifs, s’organisent dans des associations. Cependant, leur action reste largement invisible aux yeux des institutions, dans la mesure où leurs projets et critiques peinent à être traduits sur la scène politique et administrative, un phénomène qualifié « d’éclipse du public » (Dewey, 2003 [1927]) ou « d’évaporation politique » (Eliasoph, 2010 [1998]). Alors que les paroles échangées en coulisses sont orientées vers le bien public (demande de justice, dénonciation), en situation publique, devant les élus et les médias, cette parole politique s’évapore (les individus s’expriment au nom de leur famille ou de leur logement). De tels phénomènes sont étroitement liés à la manière dont les institutions organisent la participation : le contexte d’interaction entre habitants et pouvoirs publics est marqué par des « pressions institutionnelles subtiles », qui renvoient les habitants à leur condition d’individus isolés et mus par la volonté de défendre leurs intérêts privés.

Causes d’exclusion

Les causes de l’exclusion sont donc multiples et interdépendantes, même si, pour l’analyse, il est possible de les regrouper en deux grands ensembles. Le premier rassemble les causes matérielles et procédurales, par exemple les seuils et conditions fixés par l’institution (limite d’âge, thématique concernée, territoire délimité, désignation des partenaires légitimes, etc.). L’absence de lien entre participation et décision est également pointée comme déterminante dans l’absence des classes populaires. Les questions pratiques font également partie de cet ensemble, autour d’éléments comme la temporalité ou l’organisation matérielle de la discussion. Par exemple, le choix de placer les réunions en fin d’après-midi est excluant pour les parents d’enfants en bas âge ou scolarisés, tout comme la disposition des tables et chaises lorsqu’elles séparent l’estrade et les micros d’un côté, la salle et les spectateurs de l’autre.
Le second ensemble rassemble les causes symboliques de l’exclusion. Le langage autorisé ou légitime, souvent implicite, exclut de fait toute une partie de la population. L’absence d’habitude de parler en public, de coopérer entre personnes aux expériences de vie différentes, phénomènes rarement combattus depuis l’enfance dans la sphère scolaire jusqu’à l’âge adulte dans les sphères administratives, politiques ou dans le monde du travail, sont à compter parmi les causes de l’exclusion. Les modes d’animation de la participation s’attaquent rarement à ces causes d’ordre symbolique. Elles sont difficiles à travailler tant elles touchent à des questions sensibles de discrimination, de déni de reconnaissance, de honte et de peur du jugement, particulièrement chez les personnes en situation de grande pauvreté (Rosenfeld et Tardieu, 1998).

Aspects critiques de l’exclusion

En miroir, un certain nombre de réflexions et préconisations pour lutter contre l’exclusion participative sont formulées. Les chercheurs insistent sur les rituels de salutation, l’acceptation du conflit et des formes incorrectes de paroles citoyennes, la place à confier aux émotions et aux témoignages, l’impartialité méthodologique assurée par des tiers, autant d’éléments sur lesquels travailler pour déconstruire les inégalités dans la délibération (Young, 2000). Plus généralement, un double mouvement est préconisé. En premier lieu, les institutions gagneraient à organiser réellement la codécision avec les exclus de la participation, c’est-à-dire les associer à la définition des orientations stratégiques des politiques publiques et à l’allocation des ressources financières qui y sont liées. En second lieu, l’empowerment des plus précaires devrait leur permettre de se constituer en collectifs autonomes, visibles et puissants. Un retour aux sources du développement social et une inspiration des pratiques de l’organisation communautaire stimulerait l’action collective et l’expression des conflits en démocratie (Carrel, 2013).
Pour conclure, précisons que la notion d’exclusion est soumise à critique : certains utilisent des notions moins tranchées pour souligner le fait que les individus font bien partie de la société, qu’ils ont des points de vue et exercent à leur manière leur citoyenneté, mais pas dans les arènes dédiées et selon les canons officiels. La notion de « désaffiliation » de Robert Castel, qui désigne un processus et non un état, peut être jugée plus pertinente. Dans le langage courant, les exclus de la participation sont également appelés les « sans voix » ou les « plus éloignés de la parole publique ».

Bibliographie

BACQUÉ M-H., SINTOMER Y. (dir.), 2011, La Démocratie participative. Histoire et généalogie, Paris, La Découverte.

BOULLIER D., 2009, « Choses du public et choses du politique : pour une anthropologie des inouïs », in CARREL M., NEVEU C., et al., Les Intermittences de la démocratie : formes d’action et visibilités citoyennes dans la ville, Paris, L’Harmattan, p. 21-38.

BOURDIEU P., 1982, Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris, Fayard.

CARREL M., 2013, Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, Lyon, École normale supérieure éditions.

DEWEY J., 2003 [1927], Le Public et ses problèmes [trad. par ZASK J.], Pau, Farrago / Léo Scherrer.

ELIASOPH N., 2010 [1998], L’Évitement du politique. Comment les Américains produisent l’apathie dans la vie quotidienne [trad. par HAMIDI C.], Paris, Economica.

GAVENTA J., 1980, Power and Powerlessness, Chicago, University of Illinois Press.

GAXIE D., 1978, Le Cens caché. Inégalités culturelles et ségrégation politique, Paris, Seuil.

GRET M., SINTOMER Y., 2002, Porto Alegre. L’espoir d’une autre démocratie, Paris, La Découverte / Syros.

KOKOREFF M., LAPEYRONNIE D., 2013, Refaire la cité. L’avenir des banlieues, Paris, Seuil, « La République des idées ».

ROSENFELD J.M., TARDIEU B., 1998, Artisans de démocratie. De l’impasse à la réciprocité : comment forger l’alliance entre les plus démunis et la société ?, Paris, Éd. de l’Atelier / Éd. Quart Monde.

SIMMEL G., 1998 [1908], Les Pauvres, Paris, Presses universitaires de France.

TALPIN J., 2011, Schools of Democracy. How Ordinary Citizens (Sometimes) Become More Competent in Participatory Budgeting Institutions, Colchester, European consortium for political research Press.

YOUNG I.M., 2000, Inclusion and Democracy, Chicago, Chicago university Press.