Définition de l'entrée

L’évaluation participative des politiques publiques recouvre tout type de dispositifs qui vise à intégrer le plus largement et le plus activement les diverses parties prenantes et/ou le citoyen à l’évaluation des politiques publiques, afin de porter un jugement sur la valeur des dites politiques et de contribuer à leur planification ou réalisation.

Pour citer cet article :

Plottu, B. (2022). Évaluation participative des politiques publiques. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/evaluation-participative-des-politiques-publiques-2022

Citer

Elle concerne tout type de dispositifs qui vise à intégrer le plus largement et le plus activement les diverses parties prenantes et/ou le citoyen à l’évaluation des politiques publiques, afin de porter un jugement sur la valeur des dites politiques et de contribuer à leur planification ou réalisation.

Définition, principes, champs et échelles d’application

L’objectif est d’aller au-delà de la traditionnelle participation au dispositif des décideurs publics et des opérateurs en intégrant dans les parties prenantes les bénéficiaires directs et indirects de l’action publique évaluée et en mobilisant des représentants de la société civile. Le défi est d’inclure les bénéficiaires dans le dispositif en dépassant la simple diffusion d’informations ou la consultation pour aller vers davantage de concertation entre les parties, voire de co-élaboration des décisions à prendre. Idéalement, l’objectif est que la participation ait un impact sur la prise de décision.

Dans cet esprit démocratique, les principes d’inclusion, de dialogue, et de délibération (House, 2005) contribuent à l’atteinte de cet objectif et constituent le socle commun aux différentes démarches d’évaluation participative.

L’inclusion signifie que l’on cherchera à faire participer activement toutes les parties prenantes au dispositif d’évaluation. On pense en priorité aux groupes d’acteurs les plus influents mais on cherchera à intégrer également les groupes les plus défavorisés qui sont généralement exclus du débat public (« minorités » incluant les pauvres, les personnes handicapées, les jeunes, les étrangers, … »). En pratique, l’implication de ces acteurs est souvent limitée à une simple consultation mais peut aller jusqu’à l’intégration au processus lui-même : de l’élaboration du questionnement de l’évaluation, du choix des méthodes de collecte et d’analyse de données, jusqu’à la formulation des conclusions et des recommandations.

Le dialogue vise à établir un échange le plus large possible à l’intérieur et entre les groupes d’intérêts en présence leur permettant de déterminer leurs intérêts.

La délibération, lorsqu’elle est étendue au plus grand nombre, est une discussion raisonnée, par les acteurs concernés, des résultats, des valeurs et des conclusions liés à la politique soumise à évaluation.

Plus on accordera d’importance aux principes d’inclusion, de dialogue, et de délibération, plus les parties prenantes et/ou le citoyen seront invités à participer largement et activement au dispositif d’évaluation.

C’est surtout dans le champ de l’aménagement, de l’urbanisme, du logement, de l’environnement et du développement durable que la pratique d’évaluation participative est la plus répandue. Les acteurs concernés sont invités à débattre des orientations de telle ou telle politique publique et à donner leur avis et/ou faire des propositions. Parmi les dispositifs d’évaluation participative les plus connus mis en œuvre en France depuis les années 1990 à différentes échelles territoriales, on peut citer le conseil de quartier à l’échelle communale, le budget participatif à l’échelle locale, le conseil de développement à l’échelle de l’agglomération ou du pays, la conférence de citoyens à l’échelle locale, régionale ou nationale, et le débat public pour des projets à portée nationale.

Finalités, diversité et enjeux

Les approches d’évaluation participative poursuivent généralement deux grandes finalités, une finalité pratique et une finalité émancipatrice. On attend d’une part une meilleure utilisation des résultats de l’évaluation – finalité pratique (Patton, 1997) se traduisant par de moindres blocages dans la mise en œuvre, une meilleure prise en compte des préoccupations sociétales dans les objectifs des futures politiques publiques. On attend d’autre part des citoyens mieux informés et impliqués, plus à même de juger et d’exercer leur contrôle sur l’action publique - finalité émancipatrice (Fetterman et al., 1996) contribuant à la démocratie participative visant à enrichir le débat public et à provoquer des changements dans la société.

En fonction de la priorité donnée à telle ou telle finalité, la diversité des acteurs concernés et le degré d’implication de ces derniers vont varier selon les dispositifs d’évaluation. Il en résulte une grande hétérogénéité de ces dispositifs qui alimente souvent la confusion chez le citoyen comme au sein de la communauté des évaluateurs. Le degré d’implication, par exemple, peut varier d’une simple diffusion d’informations (ou communication), à une demande d’avis (ou consultation), à un échange d’arguments entre les parties prenantes (ou concertation), voire relever d’une co-décision entre eux (ou co-élaboration). Il est, dans la mise en œuvre, rarement synonyme d’une complète co-élaboration des décisions à prendre dans laquelle est inclus le citoyen. Si la réglementation française incite à davantage de participation dans les dispositifs d’évaluation, en particulier à la concertation avec le citoyen depuis les années 2000, la co-élaboration des décisions nécessite une part importante de réflexivité pour faire évoluer les pratiques professionnelles et ouvrir de nouveaux espaces à l’action démocratique.

La participation, dès lors qu’elle s’élargit et implique activement le citoyen, fait l’objet, de manière récurrente, de conflits pour le partage du pouvoir accompagnés de controverses sur le degré d’expertise du citoyen. L’expertise citoyenne est régulièrement contestée par les élites en raison de son manque de compétences techniques et de son manque d’expérience du jeu d’acteurs. Cette forme d’expertise, généralement assimilée à l’expertise d’usage, est à l’origine sollicitée pour la pertinence de ses retours d’expérience du quotidien. Avec la multiplication des dispositifs d’évaluation participative, cette expertise s’est progressivement professionnalisée, mobilisant un savoir plus technique ou développant un savoir politique. Pour bénéficier pleinement des vertus de la participation, les nombreux référentiels d’aménagement et de projets territoriaux recommandent d’intégrer le point de vue citoyen le plus en amont possible du processus d’évaluation, c’est-à-dire dès sa conception. D’usager-expert dans la co-production de biens ou services, la position du citoyen s’est élargie progressivement à celle d’usager-concepteur endossant un rôle de co-création dès l’amont du processus, à l’instar des dispositifs d’innovation publique (Sørensen et Torfing, 2018) qui développent des processus d’échanges institués plus inclusifs et ouverts. La portée décisionnelle de ces processus co-construits peut néanmoins rester limitée du fait des rapports de force pré-existants, ce qui engendre de nombreuses déconvenues chez le citoyen, comme à la suite de la convention citoyenne pour le climat en France. Idéalement, l’objectif devrait être d’intégrer le plus étroitement possible les diverses parties prenantes et/ou le citoyen au dispositif d’évaluation participative et de pouvoir lier participation et prise de décision. En contexte, cela ne signifie pas que le processus participatif ait vocation à se substituer au décideur public, à qui incombera in fine la prise de décision. L’objectif est que le dispositif puisse éclairer le décideur sur la diversité des points de vue en présence et l’accompagner le plus loin possible dans le processus de décision.

Légitimité, intérêts et limites

S’il paraît hâtif de juger l’utilité et la légitimité des dispositifs d’évaluation participative sur leurs seules capacités à engendrer ou non la décision, ces derniers font l’objet de vives critiques (Pollitt, 1999) et de doutes sur leur aptitude à lier participation et prise de décision. On les accuse généralement d’être très consommateurs en temps et d’aboutir à des statu quo ou à des consensus mous. Ils sont jugés peu opérationnels par rapport à des dispositifs plus traditionnels d’évaluation qui s’appuient sur des données chiffrées ou à dire d’experts. Ces critiques ont le mérite de mettre en lumière la nécessité d’accompagner et d’outiller le processus d’évaluation participative pour qu’il puisse éclairer la décision publique (Floc’hlay et Plottu, 1998 ; Plottu et Plottu, 2009).

Une des incontournables questions posées à tout dispositif d’évaluation participative est de savoir qui faire participer. S’agit-il de se limiter aux parties prenantes, groupes porteurs d’intérêts et/ou de privilégier l’expression du citoyen lambda, comme cela peut être le cas dans les formes d’évaluation participative les plus populaires ou médiatisées en France ces dernières années (exemple, des conférences de citoyens) ? Dans le cas des conférences de citoyens, on enquête un panel de citoyens (tirés au sort) chargés d’évaluer un thème qui prête à débat, comme les organismes génétiquement modifiés ou le changement climatique. L’objectif est de favoriser l’expression de citoyens « non pollués par des intérêts catégoriels ». Si les dispositifs d’évaluation tels les conférences de citoyens présentent l’avantage de pouvoir recueillir, dans leur diversité et possible contradiction, les points de vue de citoyens lambda, dans l’optique de lier participation et prise de décision, et d’éclairer le décideur sur la diversité des points de vue en présence, ces dispositifs devraient s’accompagner d’autres approches intégrant des groupes d’acteurs porteurs d’intérêts comme dans la gestion concertée et participative des ressources.

La question de la représentativité des participants est également systématiquement posée. Peut-on échapper à la sur-représentation de la figure du retraité, cadre intermédiaire ou supérieur dans les dispositifs d’évaluation ? Comment toucher les minorités ? Si la participation par voie électronique, notamment aux enquêtes publiques, s’est démocratisée depuis 2016 et permet de toucher d’autres catégories de population, elle contribue dans le même temps à accroître la fracture numérique. Comment toucher certaines catégories de population traditionnellement exclues ? Cette démarche nécessite du temps pour connaître l’autre et obtenir sa confiance. Elle s’appuie généralement sur un ancrage territorial. Elle réclame une capacité à animer un dispositif sur la durée et à faire aboutir les actions pour qu’elles aient un impact décisionnel. Certaines catégories de population ne sont d’ailleurs pas forcément absentes, mais elles n’arrivent pas à se faire entendre. Comment les faire participer activement ? A ce stade, il est nécessaire de privilégier des outils simples et visuels, facilement appropriables par les acteurs ; des outils qui encouragent la parole pour rééquilibrer le poids des acteurs sur la scène de la participation. On favorisera des activités ludiques et interactives (dessins, photographies, bricolage etc.) tout en accompagnant le dispositif.

Une autre question récurrente est celle de la neutralité de l’évaluateur. La conception traditionnelle de l’évaluation (dite de type gestionnaire) repose en effet sur des principes de neutralité et d’objectivité qui s’accommodent mal avec l’idée d’associer les parties prenantes au processus évaluatif. À la différence de la conception traditionnelle de l’évaluation, les approches d’évaluation participative reposent sur le présupposé que toute intervention humaine dans un processus n’est pas neutre et véhicule un référentiel de valeurs qui va contribuer à orienter le processus (le processus d’évaluation est « value engaged »). Un processus évaluatif ne peut pas prétendre être neutre, non politisé, protégé des prédispositions idiosyncrasiques de l’évaluateur ou du contexte (Greene, 2002, p. 2-3). L’évaluateur, lui-même partie prenante du processus, va contribuer à faire évoluer le problème de décision, à construire le choix final. Il n’est pas possible pour des évaluateurs d’occuper une position de réserve dans l’espoir que leur pratique ne perturbera pas la situation évaluée ou ne l’influencera pas par le truchement de biais non désirés. Puisqu’évaluer, c’est projeter un système de valeurs (un référentiel) et émettre un point de vue particulier sur l’action, il convient de favoriser l’expression de la diversité des points de vue sur l’action publique afin que la légitimité sociale de l’évaluation soit la plus large possible. Les approches d’évaluation participative cherchent donc à associer le plus largement et le plus activement les diverses parties prenantes à l’exercice d’évaluation.

L’impact de la participation dépend cependant des méthodes employées. Si l’on fait appel à l’expertise d’usage, cette dernière, empreinte des pratiques quotidiennes, peine généralement à se détacher de la gestion courante et se révèle au final peu visionnaire. C’est pourquoi il est nécessaire d’accompagner et d’outiller le processus d’évaluation participative pour qu’il puisse éclairer la décision publique, particulièrement si son objet est de dépasser les pratiques courantes pour contribuer à la transition.

Bibliographie

Fetterman, David M, Shakeh J Kaftarian, et Abraham Wandersman. 1996. Empowerment evaluation: Knowledge and tools for self-assessment and accountability. Thousand Oaks, CA: Sage.

Floc’hlay, Béatrice, et Eric Plottu. 1998. « Democratic Evaluation: From Empowerment Evaluation to Public Decision-making ». Evaluation, The Journal of Theory, Research and Practice 4 (3) : 261‑77.

Greene, Jennifer C. 2002. « Towards Evaluation as a Public Craft and Evaluator as Stewards of the Public Good or on Listening Well ». Présenté à Australian Evaluation Society International Conference. October/November.

House, Ernest R. 2005. « Promising Practices. The Many Forms of Democratic Evaluation », The Evaluation Exchange The Harvard Family Research Project’s evaluation periodical, Cambridge. MA, XI (3), https://archive.globalfrp.org/evaluation/the-evaluation-exchange/issue-archive/democratic-evaluation/the-many-forms-of-democratic-evaluation.

Patton, Mickael Quinn. 1997. Utilisation-focused evaluation: the new century text. 3rd edition. London : Sage.

Plottu, Béatrice, et Eric Plottu. 2009. « Contraintes et vertus de l’évaluation participative ». Revue Française de Gestion 35 (192) : 1‑44.

Pollitt, Christopher. 1999. « Evaluation scientifique et évaluation participative ». Présenté à Contribution au IV au rapport annuel du Conseil National de l’Evaluation.

Sørensen, Eva, et Jacob Torfing. 2018. « Co-initiation of collaborative innovation in urban spaces ». Urban Affairs Review 54 (2) : 388‑418.

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