États généraux
L’expression « états généraux » désigne un dispositif participatif qui consiste à réunir ponctuellement, autour d’un sujet donné, les organisations de la société civile concernées, afin qu’elles puissent en débattre et soumettre à la puissance publique leurs réflexions et propositions.
Gaboriaux, C. (2022). États généraux. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/etats-generaux-2022
L’appellation « états généraux » n’est pas fixée : le terme entre ainsi en concurrence avec « forum », « assises » ou encore « grenelle » et ne fait généralement pas partie des dispositifs participatifs répertoriés dans les ouvrages consacrés à la démocratie participative. Elle revêt néanmoins une certaine stabilité, qui permet de décrire les états généraux selon les critères habituels de la participation (Bacqué, Rey, et al., 2005 ; Gourgues, Segas, 2021) : les secteurs de la population concernés, avant tout des citoyens organisés (associations, groupes d’intérêt, organisations syndicales et patronales) ; l’échelle, nationale ; la fonction, essentiellement consultative ; le caractère ponctuel, souvent lié à une crise qu’on espère justement résoudre en organisant des états généraux. Les questions abordées relèvent ainsi du sujet de société (états généraux de la bioéthique, de l’identité numérique, etc.) ou plus fréquemment d’un secteur ou d’une profession dont l’avenir paraît incertain (états généraux de l’industrie, de la presse, de la justice, etc.).
L’initiative du dispositif reste en revanche indéterminée : certains états généraux sont organisés par la puissance publique, dans une dynamique qu’on dirait aujourd’hui top-down, d’autres émanent d’une ou plusieurs organisations de la société civile, selon un mouvement bottom-up. Dans le premier cas, il se fait instrument des politiques publiques : il s’agit pour les gouvernants d’associer les acteurs sociaux à l’élaboration des mesures qui les concernent, dans une perspective généralement plus consultative que participative qui vise autant la qualité de la décision que sa légitimité (Gourgues, 2013). Dans le second cas, il relève du répertoire d’actions des mouvements sociaux : il s’agit alors pour leurs porte-parole de faire émerger des revendications qui puissent être portées comme celles du plus grand nombre et contraindre les pouvoirs publics à réagir, dans une dynamique non plus « descendante » mais « ascendante » (Blondiaux, 2008). À cet égard, les « états généraux » n’échappent pas aux contradictions de la démocratie participative ni aux débats qu’elle suscite (Politix, 2006 ; Bacqué et Sintomer, 2011) : lorsque la puissance publique est instigatrice des débats, elle est toujours susceptible de les instrumentaliser à son profit ; lorsqu’ils sont organisés « par le bas », ils peinent néanmoins à impliquer d’autres acteurs que les acteurs déjà mobilisés et risquent, s’ils échouent, de signer le délitement du mouvement.
L’ambivalence tient aussi à la mémoire historique dont le terme est chargé. La référence aux états généraux de l’Ancien Régime y est en effet encore très prégnante sans être pour autant transparente. Sous la monarchie, la réunion des états généraux, relativement rare, est d’abord un moyen de raffermir l’autorité royale dans les moments de crise : le souverain invite certes les délégués des trois ordres à lui faire part des plaintes et des vœux du pays mais il en attend aussi et surtout la réitération du consensus autour de sa personne, y compris par le consentement d’impôts extraordinaires (Ran, 1992 [1988]). Les usages contemporains de l’expression n’ont d’ailleurs pas totalement évacué le caractère extraordinaire et solennel attaché à l’événement ancien ni le rapport particulier alors instauré avec le monarque. Mais ils renvoient plus souvent et plus explicitement aux états généraux de 1789, qui ont très vite échappé à la logique monarchique. Quand, au mois de juin, le tiers état invite les délégués des deux autres ordres à le rejoindre pour constituer une Assemblée nationale, bientôt déclarée constituante, la Révolution est faite : la souveraineté passe ainsi du roi au peuple, tandis que la représentation des individus remplace celle des corps, ainsi dépouillés de leurs privilèges (Goujard, 1989).
Le souvenir de ce geste révolutionnaire, atténué, n’est pas absent des mobilisations actuelles, comme l’a bien montré Guillaume Mazeau à propos du mouvement des gilets jaunes (Mazeau, 2018). On le voit d’ailleurs réapparaître dans les intitulés d’autres dispositifs participatifs, en lien avec ce mouvement, comme les « cahiers de doléances » du Grand débat national lancé par la Présidence de la République en janvier 2019, ou en rapport avec d’autres causes, comme les « conventions citoyennes » (pour le climat ou pour la fin de vie). Il leur impose un certain cadrage : comme eux, les « états généraux » d’aujourd’hui portent toujours peu ou prou l’espoir de grands changements et dont on attend parfois même qu’ils redonnent aux acteurs concernés la maîtrise de leur destin.
On comprend dès lors tout à la fois le succès de l’expression et les réticences qu’elle peut susciter. C’est que la référence à 1789 lui confère la force de l’histoire tout en la livrant aux stratégies interprétatives des acteurs. Il n’est donc pas rare de voir les états généraux mettre en place des « cahiers de doléances ». Il arrive même qu’ils soient contestés au nom de leurs illustres ancêtres, souvent réinventés pour l’occasion : la puissance publique est alors accusée de jouer aux monarques, certains n’hésitant pas à prôner l’organisation de « vrais » états généraux… Mais l’histoire des états généraux n’est pas univoque : parce qu’ils furent à la fois les instruments de la puissance royale et le point de départ de la Révolution, ils constituent aujourd’hui un sous-texte bien encombrant pour les dispositifs participatifs qui leur empruntent leur nom.
Bacqué M-H., Rey H., et al. (dir.), 2005, Gestion de proximité et démocratie participative. Une perspective comparative, Paris, La Découverte.
Bacqué M-H., Sintomer Y., 2011, La démocratie participative. Histoire et généalogie, Paris, La Découverte.
Blondiaux L., 2008, Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative, Paris, Le Seuil.
Goujard P., 1989, « États généraux », in Soboul A. (dir.), Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, Presses universitaires de France, p. 423-425.
Gourgues G., 2013, Les politiques de démocratie participative, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.
Gourgues G., Segas S., 2021, « Chapitre 10. La démocratie participative : entre techniques de gouvernement et pratiques sauvages », in Frinault T., Le Bart C., Neveu E. (dir.), Nouvelle sociologie politique de la France, Paris, Armand Colin, p. 137-150.
Mazeau G., 2018, « Les Gilets Jaunes et la Révolution française : quand le peuple reprend l’histoire », AOC, https://aoc.media/analyse/2018/12/17/gilets-jaunes-revolution-francaise-peuple-reprend-lhistoire/ (consulté le 10 octobre 2022).
Politix, 2006, « Dispositifs participatifs » [numéro thématique], Politix, n° 75.
Ran H., 1992 [1988], « États généraux », in Furet F., Ozouf M. (dir.), Dictionnaire critique de la Révolution française : 1. Événements, Paris, Flammarion, p. 145-158.