Épidémiologie populaire
Sens 1 : Activité de collecte de données menée par des citoyens afin d’identifier les causes d’une maladie.
Sens 2 : Nouveau type d’activisme fondé sur l’articulation entre travail d’enquête et critique politique.
Barthe, Y. (2013). Épidémiologie populaire. In I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, & D. Salles (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/epidemiologie-populaire-2013
Épidémiologie populaire et épidémiologie savante
On aurait cependant tort de réduire l’épidémiologie populaire à une simple forme de participation citoyenne à l’épidémiologie savante. Bien que ces processus puissent à certains égards être analysés comme une preuve supplémentaire de la diffusion du paradigme épidémiologique au-delà de la sphère scientifique (Perretti-Watel, 2004), ils contribuent également à alimenter une critique radicale de ce même paradigme. Car l’épidémiologie populaire a pour principale caractéristique de déborder largement du cadre contraignant qui s’impose à l’épidémiologie savante. Comme le rappelle Phil Brown, elle renvoie en réalité à un processus beaucoup plus large. Plus large, d’abord, parce que les hypothèses causales proposées dans le cadre d’un processus d’épidémiologie populaire ne se limitent pas aux facteurs de risque sur lesquels se concentre habituellement l’épidémiologie savante. Il s’agit au contraire d’inclure dans la chaîne de causalité des maladies des facteurs traditionnellement considérés comme « politiques », tels que des normes de régulation, des intérêts industriels, des décisions gouvernementales, etc. En somme, l’épidémiologie populaire peut être considérée comme une activité de problématisation politique qui se déploie tous azimuts, faisant ainsi proliférer des questions qui semblent devoir échapper à un seul traitement scientifique. Plus large ensuite, parce que les moyens permettant de rendre visibles ces problèmes et de donner plus de robustesse à certaines hypothèses causales sont loin de se limiter à des enquêtes sanitaires et à l’accumulation de données statistiques. L’épidémiologie populaire renvoie plus largement à un type de mobilisation sociale qui, pour remettre en cause les normes en vigueur dans la gestion des risques, contester les postulats traditionnels de l’épidémiologie et obtenir la reconnaissance de certains liens de causalité, mobilise d’autres modes d’action tels que le recours au procès ou le lobbying politique.
Un nouveau type d’activisme
On peut discuter de la pertinence de cette notion qui recouvre au fond des processus très généraux et qui désigne parfois des activités tellement éloignées de l’épidémiologie savante qu’on en vient à se demander s’il est raisonnable de conserver une telle terminologie. Toutefois, l’intérêt de cette notion pour l’analyse des mobilisations suscitées par les risques sanitaires et environnementaux tient précisément au fait qu’elle permet de tenir dans un même cadre d’analyse le travail d’enquête mené par des citoyens ordinaires et la critique politique qui en est souvent le corollaire. Vu sous cet angle, la notion d’épidémiologie populaire désigne finalement un « nouveau type d’activisme » (Brown et Masterson-Allen, 1994) dans lequel la construction d’une cause politique passe avant tout par une politique des causes, c’est-à-dire par une activité de recherche orientée vers l’établissement d’une relation de causalité entre des phénomènes (Barthe, 2010). Or rares sont les études qui ont mis l’accent sur l’aspect concret de ce « travail de la preuve » auquel se livrent des citoyens concernés afin de rendre crédibles leurs inquiétudes et obtenir des décisions politiques. La sociologie des mouvements sociaux, par exemple, s’est peu penchée sur les investigations conduites par les non-spécialistes, alors même qu’il s’agit là d’un aspect essentiel, et de surcroît original, des mobilisations dans certains secteurs. Envisager ces mobilisations sous l’angle de processus d’épidémiologie populaire et placer ainsi au centre de l’analyse la dimension étiologique du travail protestataire est un moyen de combler ce manque.