Pour citer cet article :Luneau, A. (2013). Engagement. In I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, & D. Salles (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/engagement-2013
Citer Dans Le Grand Robert de la langue française, l’engagement (n.m.) est défini comme « l’action de mettre quelque chose en gage » et, plus largement, comme « l’action de lier quelqu’un, de se lier par une promesse ou une convention ». Dans la langue anglaise, plusieurs termes sont utilisés pour traduire la notion d’engagement. On trouve d’abord le terme engagement. Ce dernier exprime l’idée d’une obligation imposée de l’extérieure (une norme, un contrat, une loi, etc.). À l’opposé, le terme involvement est synonyme de participation, il renvoie davantage à un acte délibéré. Enfin, le terme commitment est relatif à la notion de promesse. S’il exprime une contrainte plus forte que l’expression involvement, cette contrainte ne semble pas attachée à une « force extérieure » à la différence du terme engagement. Howard Becker a d’ailleurs consacré une note sur le terme commitment (1960). Dans cette note, l’auteur définit l’engagement comme une « ligne d’action cohérente ». Il fonde ensuite cette cohérence sur la contraction de « paris subsidiaires », c’est-à-dire un ensemble d’intérêts, de valeurs ou de normes « extérieurs » à l’action et qui, pourtant, la contraignent. Pour clarifier la notion d’engagement dans les travaux sur la participation, il semble intéressant de partir de cette ambivalence entre le fait de « s’engager » – pour quelque chose, envers quelqu’un – et le fait d’« être engagé » – dans quelque chose, avec quelqu’un.
S’engager dans la délibération
La notion d’engagement apparaît d’abord dans les travaux sur les dispositifs participatifs via la question du désengagement. En effet, la démocratie participative et les dispositifs qui l’accompagent sont souvent présentés comme un instrument pour contrecarrer le désengagement des citoyens, illustré par l’abstention aux élections des représentants, une baisse de la participation associative ou l’affaiblissement des organisations syndicales (Macedo, 2005). Ce désengagement serait alors le symptôme d’une fracture entre les élites politiques et la population. En replaçant les individus au centre du débat et en permettant leur participation aux délibérations, les dispositifs participatifs seraient alors en mesure de réduire cette fracture et donc de redonner de l’élan à l’engagement des citoyens dans la vie politique locale ou nationale. Archon Fung fait ainsi l’hypothèse que les mini-publics constituent des outils intéressants pour ceux qui souhaitent renforcer le Civic Engagement (Fung, 2003). Cependant, comment mobiliser des individus dont l’engagement pour des actions collectives semble s’éroder ? D’autant plus que l’on sait, depuis Mancur Olson (1978), et malgré les défauts de la « théorie du choix rationnel », que la participation des individus à une action collective n’est jamais assurée. L’expression anglo-saxone Public involvement renvoie ainsi aux outils mobilisés par les institutions étatiques ou les organisations non gouvernementales pour engager le public dans les processus de décisions. L’Environmental Protection Agency (EPA) indique par exemple que « Public involvement refers to the full range of activities that EPA uses to engage the American people in the Agency’s decision-making process » (voir la notice sur Public Engagement d’Alain Kauffman). Pour Archon Fung, la détermination des enjeux attachés à un mini-public est un élément essentiel pour que les citoyens s’y engagent (Fung, 2003, p. 345). Il suggère alors de mettre en discussion des enjeux proches des préoccupations des individus composant ces mini-publics car leur engagement sera plus intense et les débats gagneront en profondeur et en créativité. Alice Mazeaud et Julien Talpin (2010) ont voulu, quant à eux, comprendre les raisons conduisant les individus à s’engager ou non dans des dispositifs participatifs. Ils proposent pour ce faire quatre idéaux-types de motif d’engagement : le devoir civique, l’intérêt personnel, l’enrichissement cognitif, la recherche de la sociabilité. Il s’agit moins d’une explication causale de l’action qu’une description des formes de justification de l’action. Enfin, si les individus n’entrent pas sans raison dans des dispositifs participatifs, l’engagement des citoyens pose le problème de la séparation des intérêts particuliers et de l’intérêt général. Ce problème est posé en particulier par les mobilisations de riverains, de malades, de victimes ou de collectifs contestant l’implantation d’infrastructures, revendicant un droit de participer aux recherches scientifiques sur une maladie (tant dans leur orientation que dans leur réalisation) ou dénonçant certains choix technologiques. La notion d’engagement et son corolaire, l’individu engagé, débouchent ainsi sur le débat du type de public qualifié pour participer aux délibérations et de son mode de sélection (Fung, 2003). Par exemple, Michel Callon, Pierre Lascoumes et Yannick Barthe construisent leur forum hybride autour du citoyen-profane car ils supposent que ce dernier n’est engagé dans aucun milieu, et donc détaché de toute expertise ou intérêt local, à l’inverse du citoyen-riverain (Callon, Lascoumes, et al., 2001). Être engagé dans un dispositif participatif
Depuis le milieu des années 2000, dans un mouvement de retour réflexif sur la démocratie participative, mais aussi dans le but de redescendre à un niveau descriptif, un autre ensemble de travaux s’est intéressé aux effets réels de la participation. Certains chercheurs ont ainsi essayé de comprendre comment les citoyens ordinaires engagés dans des dispositifs participatifs devenaient des citoyens idéaux. Reprenant les cadres d’analyse d’une sociologie des grammaires publiques telle qu’elle a pu être appliquée pour l’analyse des mobilisations collectives (Trom, 2001) ou des formes de justification, Julien Talpin (2006) ou Mathieu Berger (2009) ont décrit l’engagement des citoyens dans les dispositifs participatifs comme un processus d’apprentissage des règles grammaticales à respecter pour participer aux délibérations publiques. En participant aux débats sur la répartition de l’enveloppe budgétaire communale, sur la construction d’une ligne à grande vitesse ou sur la politique française vis-à-vis des organismes génétiquement modifiés ou les nanotechnologies, les individus s’engagent à parler en vue de l’intérêt général, à ne pas évoquer leurs problèmes particuliers, à chercher le consensus, à « jouer au bon citoyen » (Talpin, 2006). Parallèlement, d’autres auteurs ont inversé le questionnement en essayant de saisir les effets sur les dispositifs provoqués par l’engagement des individus. Jean-Michel Fourniau et Ingrid Tafere (2007) montrent ainsi que les individus participant à l’atelier citoyen, dans le cadre de la conférence de citoyen sur la politique des transports dans la vallée du Rhône et l’arc languedocien, s’engagent dans un travail collectif pour reformuler les questions qui leurs sont posées et élargir le spectre des solutions possibles. L’engagement se distinguerait ainsi d’une simple participation en ce sens qu’il vise ou a pour conséquence la création d’une emprise sur les termes du débat. Engagement, emprise et dynamique des conflits
La question de l’engagement dans un processus délibératif, participatif débouche alors sur celle de la poursuite de cet engagement. En effet, si on retient l’hypothèse de Becker évoquée plus haut, selon laquelle l’engagement n’est pas seulement une action délibérée mais procède également de choix parallèles, de paris subsidiaires, un citoyen engagé peut-il arrêter brusquement de porter une attention aux problèmes qu’il a contribué à définir, possédant ainsi une emprise même minimale sur le processus des décisions politiques ? Dans le cas de mouvements collectifs, il n’est pas rare que certains acteurs poursuivent leur mobilisation au-delà de l’action initiale. Les acteurs semblent alors être pris dans un processus où chaque nouvelle action renforce leur emprise sur un problème mais crée en retour un nouveau pari subsidiaire. On peut donner l’exemple d’une riveraine, rencontrée au cour d’un entretien, qui s’est vu proposer un siège au sein du collège de riverains d’un comité local d’information et de concertation par un élu de sa commune, car elle avait participé à un Agenda 21 et qu’elle participait aux actions sociales de la commune. De la même façon, il pourrait être intéressant de porter une attention au devenir des individus engagés dans des dispositifs participatifs. Poursuivent-ils leur engagement une fois que le processus est terminé ? Deviennent-ils des « experts » de la participation ? Se mobilisent-ils pour ou contre les dispositifs de participation ? Enfin, les dispositifs participatifs sont souvent décrits de manière irénique, comme une parenthèse dans le jeu cynique des acteurs et la conflictualité apparaît comme un dévoiement de la délibération. Pourtant, la création d’un dispositif participatif se justifie par l’existence réelle ou supposée de points de vue pluriels et institue de ce fait un espace de conflit. Le débat peut aussi bien déboucher sur un consensus qu’une cristalisation des antagonismes dans et hors du dispositif. La question de l’engagement et de sa poursuite nous invite alors à être attentifs aux effets provoqués par les dispositifs participatifs sur la dynamique des conflits (Chateauraynaud, 2010, 2011 ; Blondiaux et Fourniau, 2011). BibliographieBECKER H., 1960, « Note on the concept of Commitment », American Journal of Sociology, vol. 66, no 1. BERGER M., 2009, Répondre en citoyen ordinaire. Enquête sur les engagements profanes dans un dispositif d’urbanisme participatif à Bruxelles, thèse en sciences sociales, université libre de Bruxelles. BLONDIAUX L., FOURNIAU J-M., 2011, « Un bilan des recherches sur la participation du public en démocratie : beaucoup de bruit pour rien ? », Participations, no 1. CALLON M., LASCOUMES P., et al., 2001, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Seuil, « La couleur des idées ». CHATEAURAYNAUD F., 2010, « Des disputes ordinaires à la violence politique. L’analyse des controverses et la sociologie du conflit », in BOURQUIN L., HAMON P. (dir.), La Politisation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, p. 91-110. CHATEAURAYNAUD F., 2011, Argumenter dans un champ de force. Essai de balistique sociologique, Paris, Éd. Petra. CEFAÏ D., 2007, Pourquoi se mobilise-t-on ?, Paris, La Découverte. CEFAÏ D., TROM D. (dir.), 2001, Les Formes de l’action collective. Mobilisation dans des arènes publiques, Paris, Éd. de l’École des hautes études en sciences sociales, « Raisons pratiques ». FOURNIAU J-M., TAFERE I., 2007, « Délibération de simples citoyens et débat public : l’expérience de l’atelier citoyen dans le débat VRAL », in BLATRIX C. (dir.), Le Débat public : une expérience française de démocratie participative, Paris, La Découverte, « Recherches », p. 252-264. FUNG A., 2003, « Survey Article: Recipes for Public Spheres: Eight Institutional Design Choices and Their Consequences », The Journal of Political Philosophy, vol. 11, no 3, p. 338-367. MACEDO S., 2005, « Toward a Political Science of Citizenship », in MACEDO S. (dir.), Democracy at Risk: How Political Choices Undermine Citizen Participation, and What We Can Do About It, Washington, The Brookings Institution, p. 1-19. MAZEAUD A., TALPIN J., 2010, « Participer pour quoi faire ? Esquisse d’une sociologie de l’engagement dans les budgets participatifs », Sociologie, no 1, p. 357-374. OLSON M., 1978, Logique de l’action collective, Paris, Presses universitaires de France. TALPIN J., 2006, « Jouer les bons citoyens. Les effets contrastés de l’engagement au sein de dispositifs participatifs », Politix, no 75, p. 11-31.