Définition de l'entrée

La notion d’empowerment, souvent traduite en français par pouvoir d’agir, désigne le processus par lequel un individu ou un groupe acquiert les moyens de renforcer sa capacité d’action, de s’émanciper. Elle articule ainsi deux dimensions, celle du pouvoir, qui constitue la racine du mot, et celle du processus d’apprentissage pour y accéder.

Pour citer cet article :

Bacqué, M. (2022). Empowerment. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/empowerment-2022

Citer

La notion d’empowerment, est dans l’air du temps. Depuis quelques années on la voir fleurir dans le langage des politiques sociales et de santé, du développement social et urbain, comme dans les manuels de management ou de développement personnel. Elle est entrée dans les discours des institutions du développement telles la Banque mondiale ou l’ONU. Elle est également appropriée par des mouvements sociaux ou initiatives citoyennes.

Des interprétations contrastées

La notion d’empowerment fait l’objet d’interprétations fort diverses. Pour en comprendre les enjeux, il convient de revenir à ses origines et de rappeler qu’elle a d’abord été portée par des mouvements sociaux comme une démarche d’émancipation. Aux Etats-Unis, le mouvement des femmes battues qui émerge au début des années 1970 semble avoir été parmi les premiers à l’utiliser pour caractériser un processus présenté comme égalitaire, participatif et local, par lequel les femmes développent une « conscience sociale » ou « une conscience critique » selon les termes utilisés par ses promotrices, leur permettant d’acquérir des capacités d’action à la fois personnelles et collectives. L’émancipation collective se construit ainsi à partir et en même temps que l’émancipation individuelle et elle débouche sur une dynamique de transformation sociale.

Cette démarche et les réflexions qui la sous-tendent se comprennent dans le contexte des années 1960 et 1970, marqué par le développement des mouvements sociaux autour d’enjeux comme la libération des femmes et la question raciale. Ces mouvements participent d’une politisation du social ; ils contribuent à retravailler la frontière entre sphère privée et sphère publique et ils mettent en avant les politiques d’identité. L’émergence de la notion d’empowerment s’inscrit dans ce tournant en interrogeant la question du pouvoir, à la fois individuel, collectif et social. Cette question est alors au cœur des débats intellectuels et des expériences sociales parmi lesquels les apports des pensées féministes sont significatifs en ce qu’ils complexifient la notion de pouvoir par une approche relationnelle qui en distingue plusieurs formes et des modes d’exercices variés. Ils en appréhendent à la fois les formes institutionnalisées et les formes internalisées. Ne pas réduire le pouvoir au « pouvoir sur », et prendre en compte la dimension du « pouvoir de », représentant un pouvoir génératif de changements, celles du « pouvoir avec » et du « pouvoir intérieur » conduit à ne plus considérer les femmes ou d’autres groupes dominés comme seulement marginalisés et victimes mais comme des agents en mesure de produire du changement.

Mais dès les années 1970, des interprétations concurrentes se développent. Aux Etats-Unis en particulier l’empowerment est mobilisé en opposition aux programmes de lutte contre la pauvreté accusés d’être bureaucratiques et surtout de placer leurs bénéficiaires dans des situations de dépendance. La notion est reprise par les conservateurs pour qui avoir accès au pouvoir signifie être intégré au monde du travail et de la consommation, trouver sa place dans l’économie de marché, être entrepreneur de sa propre vie sans poser la question de la justice sociale.

La notion est aussi mobilisée par des professionnels du travail social, de la psychologie communautaire, de l’éducation ou du développement international pour caractériser de nouvelles approches visant, dans leurs champs respectifs, à rompre avec des modalités d’intervention considérées comme paternalistes, hiérarchiques et inégalitaires. Elle est alors théorisée dans ces différentes disciplines et engage une carrière internationale. C’est ainsi qu’elle est utilisée en Asie du Sud-Est par des femmes travaillant dans le développement communautaire pour promouvoir des formes de développement incluant les femmes et rompant avec la doxa de la modernisation. Au cours des années 1990 puis 2000, dans un contexte où dominent les idées néolibérales, cette notion entre dans le vocabulaire international de l’expertise et des politiques publiques. Cette intégration se fait au prix de l’affaiblissement de sa portée radicale.

Cette tension entre des approches aussi contrastées est aujourd’hui encore très prégnante dans la façon dont la notion a été importée en France au cours de la dernière décennie. Dans le travail social, l’empowerment est souvent synonyme d’activation, de responsabilisation, de capacitation. Dans la plupart des cas sont ainsi décrites des démarches individuelles où un travailleur social rencontre un usager ou ayant droit, un médecin un patient, dans un rapport social qui reste inégalitaire. La dimension du pouvoir a ainsi été effacée.

Mais dans le même temps des mouvements sociaux mobilisent eux aussi cette notion pour demander par exemple une coproduction des services publics, une prise en compte des savoirs citoyens, structurer leurs propres expertises, construire des contre-pouvoirs.

Articuler empowerment individuel, collectif et changement social

Si toutes les approches dites d’empowerment envisagent la transformation des individus, ce ne sont pas des mêmes individus dont il s’agit et ce ne sont pas les mêmes subjectivités qui sont mises au travail. Le projet néolibéral d’autonomisation ou d’auto-prise en charge vise à produire un individu entrepreneur et consommateur, sujet efficace et responsable, agissant selon une rationalité présumée universelle du calcul coût/bénéfice et capable de profiter des opportunités du marché. En bref, un homo œconomicus qui contribue à reproduire et faire fonctionner le système capitaliste plus qu’à le questionner ou à le transformer. Quand les approches féministes radicales mettent l’accent sur la dimension individuelle et subjective de l’empowerment – en partie parce que les femmes ont internalisé leur situation de dominées –, c’est en insistant sur la construction d’une conscience critique et sur les conditions structurelles de la domination. L’enjeu principal est dès lors de faciliter une prise de conscience qui permette de développer des subjectivités de résistance et de travailler ensemble identités du sujet et positions sociale et de genre. Les individus dont il s’agit ici ne sont pas des individus abstraits mais des personnes possédant une subjectivité située dans des rapports sociaux. Cela appelle à prendre la mesure, outre des inégalités sociales, des formes de domination raciale et de genre et de leur intégration dans l’idéologie comme dans les comportements. Cela amène aussi à considérer qu’il ne peut exister de projet de transformation sociale qui ne se fixe comme horizon l’émancipation et la liberté des individus et que la finalité d’un tel projet ne peut se réduire à une prise de pouvoir, à un « pouvoir sur ».

L’articulation des trois dimensions, individuelle, collective et politique constitue un apport majeur de l’empowerment. Pour que l’empowerment puisse être plus qu’une méthode de développement ou d’adaptation et de responsabilisation des individus et reste un projet d’émancipation, se pose alors la double question de l’intégration et du dépassement des individus et des groupes dans une perspective politique. L’articulation de ces trois dimensions interroge la construction d’un processus et d’un projet de transformation sociale, reposant non plus sur un modèle et sur une perspective dessinée par avance mais construit à partir d’une multiplicité d’interventions collectives et individuelles, de réseaux à différentes échelles. Cette dynamique passe par la possibilité de constitution de contre-pouvoirs, conçus non seulement en termes d’opposition, mais de création, d’invention, d’expérimentation dans les différents champs de la vie sociale. La reconnaissance des collectifs comme lieux de résistance, de solidarité et d’échange représente alors un défi essentiel, la discussion des enjeux de justice sociale étant une condition pour éviter les phénomènes de fermeture ou de repli sur le collectif. Cette reconnaissance passe par l’ouverture de véritables espaces de délibération et par des moyens accordés à l’émergence et au fonctionnement de ces groupes.

 

La notion d’empowerment est fructueuse en ce qu’elle permet de saisir ensemble l’accès au pouvoir comme état ou comme objectif et le processus pour y arriver. La lecture des différentes formes de pouvoir en jeu en représente un intérêt majeur. Il est frappant que la plupart des politiques publiques dites d’empowerment n’abordent cette question du pouvoir que de façon très vague, souvent déconflictualisée. Sa prise en compte constitue une tension inhérente aux processus d’empowerment qui appelle les professionnels à repenser leurs rôles et leurs relations au public et à se positionner comme des partenaires, des points d’appui, des ressources plutôt que comme des encadrants ou des sachants. Dans les domaines du social, de la santé, de l’urbain les citoyens possèdent un ensemble de savoirs issus de l’expérience indispensables pour construire des réponses adaptées. Cette tension appelle à une vigilance permanente. Dès lors, l’empowerment peut constituer une démarche d’émancipation contribuant à faire émerger de nouvelles pratiques et dans un même mouvement des perspectives de transformation sociale. Elle est déjà à l’œuvre dans bien des expériences locales qui méritent d’être discutées, approfondies, travaillées.

Bibliographie

Bacqué, Marie-Hélène et Biewener Carole. 2013, L’empowerment, une démarche émancipatrice ? Paris, La Découverte.

Batliwala, Srilatha. 2007, Taking the Power out of Empowerment – An Experiential Account. Development in Practice 17, nos 4-5, , pp.557-565.

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