Définition de l'entrée

Le droit de la participation recouvre l’ensemble des normes juridiques relatives à l’implication des personnes non élues à la prise de décision publique. Ces normes portent sur les conditions de déclenchement des processus participatifs, les modalités de leur déroulement, ainsi que leur issue, quel que soit le caractère décisionnel de cette participation.

Pour citer cet article :

Morio, C. (2022). Droit de la participation. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/droit-de-la-participation-2022

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Parmi les textes officiels, il n’existe pas un corpus général dédié à la participation. Les règles relatives à l’implication des personnes non élues dans la prise de décision publique sont dispersées entre plusieurs supports (principalement Code général des collectivités territoriales, Code des relations entre le public et l’administration, Constitution, Charte de l’environnement, Code de l’urbanisme, Code de l’environnement) et chaque support emploie des appellations différentes (principalement « association », « consultation », « participation », du public, de toute personne, ou des électeur·rices selon les cas). La segmentation de la recherche juridique explique quant à elle que les normes précitées soient encore rarement pensées comme un tout. Les travaux relatifs à la participation se divisent entre plusieurs champs : droit constitutionnel, droit des collectivités territoriales, droit administratif général et droits de l’environnement de l’urbanisme.

Analysés dans leur ensemble, ces textes et travaux recouvrent des dispositifs tant consultatifs, comme le débat public, que décisionnels, comme le référendum national et le référendum local. Aussi l’expression « droit de la participation » peut-elle s’entendre comme synonyme de « droit de la démocratie participative », « démocratie participative » étant entendue au sens large de « tout ce qui, dans la vie politique des démocraties contemporaines, ne relève pas strictement de la logique du gouvernement représentatif » (Blondiaux, 2008).

Le développement des expériences de démocratie participative met à l’épreuve le corpus juridique français. L’adaptation s’y dispute aux forces de résistance qui animent ce corpus. Il en résulte un droit peu cohérent, oscillant entre surencadrement et sous-encadrement. Cette situation paradoxale n’a toutefois rien d’inéluctable, et plusieurs points d’entrée sont susceptibles de conduire à un droit cohérent de la participation.

 

Un droit hésitant entre surencadrement et sous-encadrement

Le droit positif de la participation se caractérise par sa situation paradoxale puisqu’il oscille entre surencadrement et sous-encadrement.

Le surencadrement est visible dans les règles entourant l’élaboration de la loi : à côté de la démocratie élective, la place de la participation est restreinte, comme le montre l’article 11 de la Constitution sur le référendum présidentiel et sur le référendum d’initiative partagée (Morel, 2019). Le surencadrement est particulièrement flagrant concernant la démocratie participative dans les collectivités territoriales. Par exemple, le pouvoir constituant et le législateur y ont posé des règles sur l’identité des personnes pouvant déposer une pétition et demander l’organisation d’une simple consultation (uniquement des personnes inscrites sur les listes électorales) et ont fixé des seuils de signatures qui restent élevés malgré leur récent abaissement (CGCT, art. L1112-16 dans sa version modifiée par la loi dite « 3DS » no 2022-217 du 21 février 2022 ; pour une comparaison internationale des seuils, voir Collectif, 2019). Pourtant, les exécutifs locaux ont toute latitude pour inscrire n’importe quelle question à l’ordre du jour de leur assemblée délibérante, et peuvent donc s’affranchir de ces conditions au coup par coup. Ici, le droit, tout en affichant consacrer de nouveaux dispositifs participatifs, pose en réalité des règles superflues voire bloquantes, comme en témoigne la majorité de la jurisprudence (voir par exemple CAA Paris, 9 octobre 2007, Commune d’Ivry-sur-Seine, no 06PA04004 ; CAA Lyon, 24 avril 2012, Préfet de la région Rhône-Alpes, no 12LY00203 ; CAA Versailles, 6 novembre 2014, Département de l’Essonne, no 13VE03124 ; CAA Lyon, 9 juillet 2020, Ville de Grenoble, no 18LY02733 ; contra voir TA Paris, 11 février 2011, Préfet de la région Ile-de-France, Préfet de Paris, nos 0913755, 1014364 et 1014363).

Ce surencadrement cohabite avec une insuffisance de règles. Tout d’abord, dans de nombreux cas, les pouvoirs publics disposent d’une grande latitude pour décider de déclencher ou non un dispositif participatif. Ainsi, le Grand débat national et la Convention citoyenne pour le climat ont été lancés de façon discrétionnaire par le chef de l’État. Dans le même sens, le pouvoir réglementaire est venu réduire les cas de saisine obligatoire de la Commission nationale du débat public (CNDP) et les cas de publication obligatoire des projets d’aménagement ou d’équipement (décret no 2021-1000 du 30 juillet 2021). Ensuite, le droit offre une marge de manœuvre parfois excessive quant aux modalités de déroulement des dispositifs participatifs. Un important progrès a certes été réalisé avec l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, du CRPA et notamment son article L131-1. Précisé par la jurisprudence (CE, Ass., 19 juillet 2017, Association citoyenne pour Occitanie et Pays Catalan et autres, nos 403928 et 403948), cet article pose les principes de sincérité, d’égalité, d’impartialité, de régularité (défini comme le respect des règles annoncées), de définition du public pertinente par rapport à l’objet de la participation, de transparence sur l’objet, les modalités et l’effet de la participation, de délai raisonnable pour participer, et d’obligation de mettre les moyens en œuvre pour assurer une diversité minimale des participant·es. Ce cadre reste néanmoins peu connu, ne s’applique que par défaut, et n’est doté que d’une valeur réglementaire, c’est-à-dire inférieure à la loi. En outre, son effectivité reste limitée dans la mesure où il ne concerne que des procédures consultatives, alors que le juge n’admet pas les recours directs contre les procédures consultatives, et qu’un manquement à ces règles formelles n’est pas systématiquement sanctionné (CE, Ass., 23 décembre 2011, Danthony, no 335033). Enfin, le droit relatif à la participation laisse une grande latitude aux pouvoirs publics sur l’issue des dispositifs participatifs, autrement dit sur leur intégration dans le processus décisionnel. Par exemple, les débouchés que le gouvernement entendait donner aux résultats du Grand débat national se caractérisaient par leur flou (Observatoire des débats, 2019), tout comme la promesse du « sans filtre » du Président de la République sur les résultats de la Convention citoyenne pour le climat n’engageait que lui. De même, les instances participatives (conseils, commissions, etc.) au niveau local produisent toutes des avis purement consultatifs dont les assemblées et les exécutifs disposent comme ils l’entendent. Plus, à défaut de loi les y autorisant, les autorités publiques ont l’interdiction de se défaire de leur pouvoir de décision (prohibition de l’incompétence négative), ce qui implique l’interdiction de créer des procédures participatives décisionnelles (voir CAA Lyon, 9 juillet 2020, précité).

Les budgets participatifs constituent le paroxysme de ce paradoxe entre surencadrement et sous-encadrement : ils ne font l’objet d’aucune règle particulière, alors qu’ils sont en pratique souvent décisionnels et ouverts aux personnes n’étant pas inscrites sur les listes électorales. Identifier ce déséquilibre entre trop-plein et insuffisance de normes permet de suggérer des pistes d’amélioration pour ce droit de la participation en cours de construction.

 

Pour un droit cohérent de la participation

À l’égard de la participation, le droit peut assurer trois fonctions : encadrer les excès, garantir les procédures et permettre les expérimentations. L’accent donné à telle ou telle priorité relève surtout d’un choix politique.

Premièrement, le droit peut associer un caractère obligatoire au déclenchement de la participation. Les conditions à ce déclenchement obligatoire peuvent tenir à une situation objective (par exemple lors de la réalisation d’un projet présentant des caractéristiques spécifiques) ou à des faits subjectifs, comme la réalisation d’une initiative citoyenne réunissant un nombre suffisant de personnes. De manière alternative ou complémentaire, il est également possible d’imaginer un droit général à la participation, qui ne soit pas limité à la matière environnementale (Charte de l’environnement, art. 7).

Deuxièmement, le droit peut garantir de manière effective la crédibilité des dispositifs participatifs. Pour cela, les principes prémentionnés de l’article L131-1 du CRPA et de la jurisprudence Occitanie pourraient se voir conférer une valeur au moins législative. Des progrès ont été réalisés en ce sens : l’article L1111-2 al. 2 du CGCT, dans sa rédaction issue de la loi dite Engagement et proximité (no 2019-1461 du 27 décembre 2019), renvoie à l’article L131-1, et la loi organique no 2021-27 du 15 janvier 2021 relative au Conseil économique, social et environnemental reprend plusieurs de ces principes. Cela reste néanmoins partiel. Le système de sanction de la méconnaissance de ces principes pourrait devenir plus effectif, par exemple en admettant les recours juridictionnels y compris contre des procédures consultatives, et en considérant que les principes dont il est question constituent des « garanties » au sens de la jurisprudence Danthony. Dans la même logique, mais au-delà de la question des sanctions, les garanties procédurales de la participation pourraient être conçues comme faisant partie des « droits civiques et [des] garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques » dont les règles devraient être fixées par le législateur (Constitution, art. 34 al. 2) et non pas par le pouvoir réglementaire au titre de son pouvoir autonome en matière de procédure administrative non contentieuse. Cette dignité juridique et symbolique supérieure conférée aux principes de la démocratie participative pourrait être entretenue par une gouvernance appropriée. Une autorité administrative indépendante pourrait être chargée d’assurer et de promouvoir le respect de ces principes et le développement de bonnes pratiques, au-delà du seul champ de la démocratie environnementale (pour une proposition en ce sens, voir Bernasconi, 2022, p. 58 et s.).

Troisièmement, le droit pourrait rendre la participation plus effective. Tel pourrait être le cas d’une part en augmentant le niveau de contrainte sur la reddition des comptes, par exemple dans les procédures environnementales existantes (CNDP, 2019, p. 14 et s.), et d’autre part en créant davantage de dispositifs décisoires, ou à tout le moins en permettant aux autorités qui le désirent de créer de tels dispositifs en réduisant la portée du principe de prohibition de l’incompétence négative (Collectif, 2018). Une plus grande effectivité passerait d’autre part par la constitution d’un statut de la personne participante, dans l’idée que contribuer à la prise de décision publique réclame parfois des moyens, notamment du temps, dont seules certaines catégories de population sont les plus dotées. Ce statut comprendrait à la fois des droits (formation, autorisations d’absence au travail, garde d’enfants, etc.) et des obligations (respect de la contradiction, assiduité, non-cumul, etc.), sans pour autant faire des participant·es des professionnel·les de la participation.

Quatrièmement, le droit pourrait prévoir une variété de dispositifs participatifs, par exemple des référendums dont la réponse ne serait pas limitée à une réponse entre le « oui » et le « non », ou encore des référendums délibératifs, etc., sans pour autant fermer la porte à des expériences alternatives. De ce point de vue, le droit à l’expérimentation dont bénéficient les collectivités territoriales (Constitution, art. 72 al. 4) pourrait être davantage investi. L’un des enjeux du droit de la participation est, en d’autres termes, de produire un cadre cohérent qui ne bride pas pour autant les initiatives innovantes (Kerléo, 2015).

 

Pour conclure, en matière de participation, le droit peut constituer tout autant un obstacle qu’une arme, et la matière est largement disponible pour développer le second aspect. Il en va de la crédibilité des procédures participatives, et donc de la légitimité des décisions publiques qui en sont issues. Même si le droit ne saisit pas tout et ne peut pas tout, un véritable droit de la participation est en pleine émergence, et il importe de le penser pour en mesurer les limites et les potentialités.

Bibliographie

Bernasconi, Patrick. 2022. Rétablir la confiance des français dans la vie démocratique. 50 propositions pour un tournant délibératif de la démocratie française. Rapport au Premier ministre.

Blondiaux, Loïc. 2008. Le nouvel esprit de la démocratie. Actualité de la démocratie participative. Paris : Seuil.

CNDP. 2019. Une nouvelle ambition pour la démocratie environnementale.

Collectif. 2019. RIC local, Guide pour mettre en place le Référendum d’Initiative Citoyenne dans une commune dès aujourd’hui. IRTD.

Collectif. 2018. « Donnons aux citoyens le droit d’interpellation ! ». Libération.fr. https://www.liberation.fr/debats/2018/06/01/donnons-aux-citoyens-le-droit-d-interpellation_1655882/ (accès le 18.07.2022)

Kerléo, Jean-François. 2015. « Réforme territoriale et démocratie locale ». Les petites affiches 47 : 4.

Morel, Laurence. 2019. La question du référendum, Paris : Les Presses de Sciences Po.

Morio, Camille. 2020. Guide pratique de la démocratie participative locale. Paris : Berger-Levrault.

Observatoire des débats. 2019. « Le “grand débat national” : un exercice inédit, une audience modérée au profil socioéconomique opposé à celui des gilets jaunes » ». https://observdebats.hypotheses.org (accès le 28.07.2022)

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