Droit de l'environnement et participation
Monédiaire, G. (2013). Droit de l'environnement et participation. In I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, & D. Salles (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/droit-de-l-environnement-et-participation-2013
Le droit public interne de la participation du public s’est constitué dans un premier temps par sédimentations successives de procédures rendues inéluctables par la pression sociale, d’abord en droit de l’urbanisme puis en droit de l’environnement. Dans un second temps, une consolidation normative est intervenue par généralisation dans le cadre de droit international régional, à travers la convention d’Aarhus (Commission économique pour l’Europe des Nations unies, 2000) sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement. La France a ratifié la convention d’Aarhus, ainsi que l’Union européenne (UE), l’instrument international s’appliquant désormais aux 27 États membres.
Les trois « piliers » de la convention d’Aarhus doivent être regardés comme intimement liés. L’information la moins asymétrique possible est la condition d’un processus participatif rationnel, et l’accès à la justice permet l’extension de la démocratie environnementale dans la durée. En effet, alors que la participation est le plus souvent implicitement limitée au plan de la préparation de la décision publique, c’est une appréhension diachronique qui doit prévaloir : une fois la décision adoptée par les pouvoirs publics, les destinataires de celle-ci doivent pouvoir intervenir au plan de l’effectivité de sa mise en œuvre, de son respect.
Il convient enfin de distinguer le principe de participation qui tend à inspirer les pouvoirs publics dans des domaines divers mais vis-à-vis duquel ils demeurent toujours libres de s’affranchir, du droit à la participation qui fait naître des prérogatives dans le chef des citoyens. C’est dans le champ du droit de l’environnement (et de disciplines connexes, notamment celle de l’urbanisme) que s’est solidifié un droit à la participation, juridiquement sanctionné.
Questions de vocabulaire juridique
Plusieurs substantifs se rencontrent qui ne doivent pas être compris en tant que synonymes ou quasi-synonymes : leur contenu et portée sont distincts. La négociation se rapproche de la co-décision, ou de la forme contractuelle, alors que les procédures de participation du public respectent toujours le principe de l’unilatéralité de la décision publique, cette dernière normalement éclairée par les apports de la participation.
L’association à une procédure (en particulier les procédures d’élaboration des documents de planification urbaine) ne concerne pas le public mais des institutions publiques (« personnes publiques associées ») qui dès lors qu’elles sont associées, si elles le désirent, participent en continu à l’élaboration de l’acte. La consultation se traduit par la production d’avis, émanant le plus souvent d’organes institués de l’administration consultative qui sont extrêmement nombreux (conseils, commissions, comités, etc., dont la composition réserve une part variable aux représentants des intérêts environnementaux). Sauf exceptions rares, l’avis n’est jamais liant pour l’autorité publique qui le sollicite, tantôt obligatoirement, tantôt discrétionnairement.
Parmi les organes de l’administration consultative, ceux qui disposent de la faculté d’auto-saisine pour formuler un avis qui leur semble opportun ont potentiellement une capacité d’action supérieure aux organes qui ne peuvent s’exprimer que lorsque l’autorité publique le leur demande. Même si l’avis n’est pas juridiquement liant pour l’autorité décisionnelle, la pratique montre que dans certains cas l’avis est presque systématiquement suivi (cas des avis du conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques fréquemment entérinés dans les arrêtés préfectoraux). L’audition est pour sa part dans la main de l’autorité publique, qui peut librement décider d’entendre qui elle souhaite. Exceptionnellement, comme dans le cas de l’élaboration des documents d’urbanisme, une association locale d’usagers agréée qui demande à être entendue devra l’être. La concertation est quant à elle la notion certainement la plus équivoque et la moins déterminée, au contenu encore loin d’être stabilisé en droit. Une illustration du climat de quiproquo peut être donnée en mettant en miroir la réception contemporaine irénique de la concertation en tant que moyen d’éviter par anticipation l’apparition de conflits, et la conception polémique conforme au sens originel de « concertatio », lequel exprime les idées de « bataille », « dispute », « conflit » avant celle de « discussion » (Gaffiot, 1934).
Ainsi, la participation du public est constituée de procédures diverses qui à chaque fois imposent des obligations aux autorités publiques à l’égard de la possibilité pour le public de faire entendre sa voix dans des conditions telles que sa participation puisse influer sur le contenu de la décision à venir qui demeure toujours de la compétence de l’autorité publique.
Reste à souligner que la participation du public se cristallise juridiquement exclusivement par le moyen de procédures. Il convient de ne nourrir aucune réticence à l’égard du droit procédural dont la figure du procédurier ne fait qu’illustrer la dégradation, pas l’essence. C’est en effet l’évaluation des procédures qui se donne en qualité de meilleur criterium de l’effectivité du droit substantiel. Faute de procédures robustes de participation (et de participation du public), la consécration du « droit à l’environnement », l’énumération des intérêts protégés environnementaux dans les domaines les plus divers sont dépourvues de toute portée réelle.
L’absence d’une définition juridique consensuelle
La doctrine juridique tente d’appréhender les formes contenues et portées de la participation du public. Avant d’examiner les apports pertinents, il convient de relever des absences. Ni le Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie de droit (Arnaud, 1993), ni le Dictionnaire de la culture juridique (Alland et Rials, 2003) ne proposent d’entrée « participation », tandis que le Vocabulaire juridique (Cornu, 1987) explicite la participation uniquement en droit criminel et en droit des affaires. En revanche le plus modeste Lexique des termes juridiques (Guillien, Vincent, et al., 2001) réserve la première acception du terme participation à celle visée ici, en indiquant : « Principe d’aménagement du fonctionnement des institutions politiques et administratives ainsi que de la gestion des entreprises privées, et qui consiste à associer au processus de prise de décision les intéressés (citoyens, administrés, salariés) ou leurs représentants ».
Michel Prieur (2011) est le seul auteur de manuels de droit de l’environnement à approfondir la question de la participation du public. Il relève qu’il « est difficile de distinguer dans tous les cas participation et concertation qui se recoupent en partie » (p. 137). Patricia Quillacq Albajes (2007), note également le flou qui entoure la définition de la participation, certains auteurs proposant des périmètres très larges (« Toute forme d’intervention du participant dans un processus de participation » selon Thierry Tanquerel, « La participation de la population à l’aménagement du territoire », 1988) les juristes ayant tendance à caractériser davantage la matière autour du processus décisionnel (« Formalités préalables à l’édiction de décisions administratives unilatérales, relevant de ce qu’on appelle la procédure administrative non contentieuse, et dont l’objet est de permettre aux informations touchant à la protection de l’environnement d’émerger (étude d’impact) et de donner la possibilité au public de participer au processus d’élaboration des décisions susceptibles d’affecter l’environnement (enquêtes publiques, concertation, débat public) » selon René Hostiou, 2004). P. Quillacq Albajes retient quant à elle le sens de « participer au processus décisionnel » (mais « dans la plupart des cas ») : il s’agit de « prendre part à des procédures administratives, gouvernementales ou législatives réglementées par le droit pour tenter d’influer une décision administrative ou de nature politique qui a trait à l’environnement ».
Florence Jamay (2010) illustre longuement et de manière convaincante son hypothèse qui consiste à poser que « si le champ de la participation a connu une réelle extension, elle ne renvoie toutefois pas à un concept juridique autonome mais recouvre au contraire des modalités extrêmement différenciées d’association à la décision. Cette hétérogénéité des procédures, aux modalités et aux effets distincts, rend difficile la définition et l’identification d’un principe de participation ».
La convention d’Aarhus est assortie d’un substantiel Guide d’application (Commission économique pour l’Europe des Nations unies, 2000). Celui-ci explicite le contenu d’expressions utilisées dans le texte. Si « informations sur l’environnement » est largement développé, les rédacteurs constatent (p. 110) que « la convention ne donne pas de définition explicite de l’expression «participation du public» ». Ils ont alors recours au préambule du texte, en établissant une relation privilégiée entre, du point de vue du public, « le droit de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être et de s’acquitter de son devoir de le protéger » et les mécanismes de participation. C’est faire de la participation du public, saisie à travers les procédures de droit de l’environnement, le moyen privilégié de garantir le droit à l’environnement en qualité de droit de l’Homme.
Le rapport public 2011 du Conseil d’État (français) est intitulé Consulter autrement. Participer effectivement (2011). Le rédacteur (Jacky Richard) consacre des analyses détaillées au plus grand nombre de formes de consultation et de participation, en France et à l’étranger et dans différents ordres juridiques, notamment européens. Des développements spécifiques sont dédiés aux influences nées des exigences du développement durable et en particulier du droit de l’environnement (p. 53-56). Le rapport propose de retenir pour l’avenir six « principes directeurs propices à une consultation ouverte et progressive, organisée sans la contrainte de règles excessivement formelles », avant de plaider pour une « administration délibérative » dans laquelle « ce qui est délibératif, c’est la procédure et non la décision ». Bien entendu, le rapport ne se hasarde pas à proposer une définition ex ante de type conceptuel de la consultation et de la participation du public, le vice-président du Conseil d’État fixant ainsi dans l’avant-propos l’ambition de la réflexion : « le Conseil d’État estime que le temps est venu, au vu du foisonnement des expériences et des incertitudes qui affectent leur contenu, d’une analyse ordonnée et d’une réflexion prospective ».
Au total, le droit positif se passe aisément d’une définition juridique précise de la participation du public, qu’il s’agisse du droit international ou du droit interne. Pratiquant un pragmatisme attentif aux causes et aux effets des procédures de participation, il se repose sur le caractère performatif de la norme juridique, quitte à abandonner à l’avenir le soin de systématiser la notion (le concept ?) de participation du public.
Les fondements, les procédures et les acteurs de la participation du public
Fondements
Il importe ici de prendre en considération différents ordres juridiques. Au niveau du droit international universel, déjà présent lors de la déclaration des Nations unies de Stockholm (1972), le droit à la participation va être proclamé par la déclaration de Rio 92 sur l’environnement et le développement à travers le principe 10, dont la première phrase est ainsi rédigée : « La meilleure façon de traiter les questions d’environnement est d’assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient ». La suite du principe 10 préfigure les trois piliers de la future convention d’Aarhus, demeurant bien entendu que la déclaration de Rio 92 n’a aucune force normative en tant qu’instrument de « droit souple ». Toutefois plusieurs conventions internationales relatives à l’environnement, adoptées à Rio ou post-Rio contiennent des procédures participatives (désertification, biodiversité…).
Au plan du droit international régional, on a déjà évoqué la convention d’Aarhus (1998) qui fait de la participation au processus décisionnel son deuxième pilier, étroitement lié au premier (pas de participation valide possible sans droit effectif à l’information) et au troisième (l’accès à la justice permet de garantir la mise en œuvre sincère des décisions adoptées à l’issue de la participation et bien sûr de contester la mise en œuvre de la participation elle-même). Nous avons ici affaire à un Traité international, juridiquement contraignant pour les États qui l’ont signé et ratifié et pour les organisations internationales qui y ont adhéré, ce qui est le cas de l’Union européenne. Il est en outre à noter que la convention est « ouverte » à l’adhésion, même d’États qui n’appartiennent pas à la Commission économique pour l’Europe des Nations unies. Trois articles de la convention concernent la participation du public. L’article 6 l’organise en ce qui concerne les procédures d’adoption des « décisions relatives à des activités particulières » énumérées dans une annexe, l’article 7 vise les « plans, programmes et politiques relatifs à l’environnement », enfin l’article 8 stipule à l’égard de la participation « durant la phase d’élaboration de dispositions réglementaires et/ou d’instruments normatifs juridiquement contraignants d’application générale » (décrets en droit interne français, par exemple). Les États parties à la convention d’Aarhus l’ont dotée d’un Comité de conformité qui peut être saisi par tout citoyen d’un État partie allégeant une non-conformité du droit national par rapport aux stipulations de la Convention, le Comité sédimente dans la durée une « jurisprudence » qui n’est que d’influence, ses décisions n’étant pas contraignantes pour les parties. Des organisations non gouvernementales (ONG) siègent au Comité de conformité, pour n’être pas des sujets de droit international, elles n’en sont donc pas moins des acteurs de celui-ci.
S’agissant de l’Union européenne, il a déjà été signalé qu’elle avait adhéré à la convention d’Aarhus. En conséquence, elle a adopté des directives en direction des États membres et des décisions la concernant elle-même afin de conformer son système normatif aux stipulations d’Aarhus. Pour autant le principe de participation en tant que tel ne figure pas dans les traités, il est contenu dans le « principe de transparence » qui a été renforcé à partir des années 2000 par les réflexions de l’Union européenne sur la gouvernance.
Au plan du droit interne, on doit signaler le caractère anticipateur de la Constitution de la Finlande qui a disposé très tôt en matière de participation, soit de manière générale (art. 11, 3e alinéa : « Les pouvoirs publics veillent à promouvoir la possibilité pour chacun de participer à la vie de la société et de contribuer ainsi à la prise de décision ») soit dans le domaine de l’environnement (art. 14, a, 2e alinéa : « Les pouvoirs publics s’attachent à garantir à chacun un environnement sain ainsi que la possibilité de participer à la prise de décision concernant son environnement »). La France a été longtemps réticente à consacrer constitutionnellement le droit à l’environnement, elle l’a fait en 2005 à travers l’incorporation dans le préambule constitutionnel de la Charte de l’environnement de 2004, dont les dispositions ont ainsi acquis valeur et portée constitutionnelle. De manière originale par rapport aux autres Constitutions qui se bornent à consacrer de manière lapidaire le droit à l’environnement, le système français constitutionnalise également des principes du droit de l’environnement qui n’avaient auparavant qu’une valeur législative (voir art. L.110-1 du Code de l’environnement). L’article 7 de la Charte est ainsi rédigé : « Toute personne a le droit, dans les conditions et limites fixées par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement ». Depuis 2011 le Conseil constitutionnel a statué, à plusieurs reprises, sur la conformité de textes législatifs par rapport à l’article 7, en prononçant l’inconstitutionnalité de différents textes pour défaut de participation du public.
Procédures
Au plan des procédures de participation du public, l’analyse nécessite encore la prise en considération des différents ordres juridiques. Pour le droit international il faut se reporter au contenu de différentes conventions internationales pour connaître les modalités précises de participation du public. Une attention particulière doit s’attacher au paragraphe 7 de l’article 3 de la convention d’Aarhus qui impose aux parties de mettre en œuvre les stipulations de la Convention « dans les processus décisionnels internationaux touchant l’environnement ainsi que dans le cadre des organisations internationales lorsqu’il y est question d’environnement ». Cet aspect a été rappelé lors de la deuxième réunion des parties d’Almaty en 2005.
Dans le système de l’Union européenne la participation du public est organisée au stade de l’élaboration de la législation dérivée (directives, règlements), mais en tant que pratique volontaire de la Commission, non juridicisée. Toutefois, le Traité de Lisbonne a introduit un article 11 dans le Traité sur l’Union européenne qui dispose qu’ « en vue d’assurer la cohérence et la transparence des actions de l’Union, la Commission européenne procède à de larges consultations des parties concernées ». Ce principe de participation se conjugue avec deux autres principes, celui de dialogue et celui d’ouverture. En outre, différentes procédures permettent l’intervention participative non contentieuse du public au stade du respect du droit de l’UE, transformant potentiellement les citoyens européens en sorte d’inspecteurs de terrain. Il s’agit du droit de pétition auprès du Parlement européen, de la plainte adressée au médiateur et de la plainte devant la Commission. Enfin l’article 11 du Traité sur l’Union européenne (Lisbonne, entre en vigueur en 2009) fond un droit d’initiative citoyenne, qui permet à un million de citoyens européens (sous diverses conditions) de contraindre la Commission à envisager la nécessité d’une initiative législative.
Par ailleurs, plusieurs directives ou règlements pris en matière environnementale comprennent des dispositions spécifiques relatives à l’information et à la participation du public.
En droit interne français de l’environnement il convient de distinguer les procédures générales de participation du public qui peuvent le cas échéant concerner les problèmes d’environnement, et celles qui sont spécifiquement dédiées à l’environnement.
Le Code général des collectivités territoriales (art. L.1112-15 à 22) organise une procédure de consultation, dont la mise en œuvre suppose une demande émanant d’ 1/5 des électeurs inscrits d’une commune ou d’ 1/10 pour les autres collectivités. L’organisation de la consultation (dont le résultat ne peut prendre la forme que d’un avis non liant) est de la compétence discrétionnaire de l’assemblée délibérante de la collectivité. Un droit de pétition existe également au bénéfice des électeurs d’une collectivité territoriale leur permettant de demander l’inscription à l’ordre du jour de l’assemblée délibérante d’une question relevant de la compétence de la collectivité, ainsi que l’organisation d’un référendum décisionnel local. Résultant de révisions constitutionnelles, on peut citer l’extension du champ du référendum de l’art. 11 de la Constitution à la « politique environnementale » de la Nation, mais il s’agit ici de démocratie directe et pas de démocratie participative. Une « vrai-fausse » initiative populaire a été introduite en 2008 dans la Constitution qui indique qu’ 1/5 des membres du Parlement soutenu par 1/10 des électeurs inscrits (plus de 4 millions) peut prendre l’initiative d’organiser un référendum. À noter également que 50 000 personnes peuvent adresser une pétition sur un problème environnemental au Conseil économique, social et environnemental qui se prononce par avis dans un délai d’un an.
La pluralité et l’apparence démocratique de ces procédures ne doit pas faire illusion, dans la quasi-totalité des cas ce sont bien les acteurs issus de la démocratie représentative qui ont consenti à des ouvertures tout en conservant soigneusement les clés de la mise en œuvre effective des procédures de participation.
Dans le périmètre de l’environnement, la participation peut s’exprimer tantôt dans le cadre de la démocratie consultative, tantôt dans celui de la démocratie participative. Ce sont les associations de défense de l’environnement qui siègent dans les organes consultatifs, leur représentation étant variable. Michel Prieur (2011) récapitule plus de 70 conseils, comités et commissions concernant les questions environnementales les plus diverses qui voient des associations environnementales siéger.
Sous réserve de formes de participations spécifiques, trois procédures expriment la démocratie participative environnementale en France. Il s’agit de l’enquête publique, du débat public et de la « concertation ». L’enquête publique et le débat public figurent au Code de l’environnement, la concertation au Code de l’urbanisme et depuis peu à celui de l’environnement. Ces procédures sont mises en œuvre sur la base de critères législatifs et réglementaires, ne faisant pas de place à l’initiative populaire. Une difficulté majeure tient en l’absence de systématisation du dispositif permettant d’autonomiser clairement le temps de la discussion sur l’opportunité du projet d’une part, et celui de la faisabilité du projet d’autre part. Toutefois, la « concertation » a lieu souvent en amont de l’enquête publique, obligatoirement en droit de l’urbanisme (art. L.300-2) mais facultativement en droit de l’environnement (art. L.121-16). Reste que la concertation du droit de l’urbanisme peut prendre des formes minimalistes, permises par le droit. Quant au débat public, il concerne des projets estimés importants à l’échelle nationale alors que les conditions de saisine de la Commission nationale du débat public demeurent étroites : or, un aménagement estimé modeste du point de vue national peut revêtir une importance cruciale dans un champ local. La portée juridique de ces procédures est en outre source d’incompréhension et d’insatisfaction. Le débat public n’a quasiment aucune conséquence juridique (il peut en avoir au plan des politiques) mais permet en principe une discussion sur l’opportunité du projet ; l’enquête publique, très tardive dans le processus décisionnel n’autorise plus le débat sur l’opportunité (censé avoir eu lieu lorsqu’une « concertation » préalable est obligatoire) mais a une véritable portée juridique en ce qu’un avis défavorable du commissaire-enquêteur permet aux opposants d’obtenir quasi mécaniquement un référé suspension auprès de la juridiction administrative.
La loi dite « Grenelle II » (2010) a introduit par son article 244 deux articles nouveaux au Code de l’environnement (L.120-1 et L.120-2) censés permettre la participation du public à l’élaboration des actes règlementaires de l’État et de ses établissements publics en matière environnementale. Ces deux articles visent à implémenter en droit interne « du quotidien » tant l’article 8 de la convention d’Aarhus que l’article 7 de la Charte constitutionnelle de l’environnement. Leur rédaction hâtive et hasardeuse juridiquement a handicapé fortement leur mise en œuvre, le décret d’application prévu n’étant pas intervenu. Une loi rectificative du 27 décembre 2012 a été adoptée, elle améliore certains points du dispositif sans pour autant instaurer en droit une « administration délibérative » envisagée par le Conseil d’État dans son rapport public pour 2011.
Les acteurs de la participation du public
À l’analyse, le « public », ou la « société civile » se présentent comme des réalités composites.
Les associations de défense de l’environnement, à l’objet social très divers (depuis l’association locale réactive à un projet d’aménagement jusqu’à l’association experte d’un domaine spécifique (Lascoumes, 1994) constituent un acteur majeur.
Michel Prieur insiste sur le rôle des associations de défense de l’environnement (notamment celles qui bénéficient de l’agrément administratif) en notant les formes diverses revêtues par leur participation (relais d’information en direction du public, présence dans les organes de l’administration consultative, organes de gestion de certains espaces naturels protégés, lanceurs d’alerte et pour certaines rôle d’expertise et surtout de contre-expertise), sans oublier leur intense activité contentieuse. La jurisprudence environnementale serait étique en l’absence du dynamisme contentieux des associations qui s’instituent en gardiennes du droit alors que tel est le rôle normalement dévolu aux administrations.
Le rôle des ONG (on a affaire à une ONG lorsqu’on est en présence d’une entité pluri-nationale) au niveau du droit international est original, en ce sens qu’elles peuvent souvent être accréditées auprès des secrétariats de certaines conventions internationales, ou présentes dans des comités d’experts. Au plan juridique, il est très important que la convention d’Aarhus stipule qu’associations et ONG sont réputées avoir un intérêt pour agir dans le cadre des trois piliers, elles n’ont donc pas à démontrer à chaque fois un intérêt propre. Plusieurs associations et ONG alternent actions de coopération avec les pouvoirs publics, actions contentieuses et parfois action à force ouverte contre les mêmes pouvoirs publics. Sans accéder jamais au statut de sujet du droit international, les ONG n’en constituent pas moins, comme il a été signalé, des acteurs détenant une influence réelle.
Il convient de se faire une représentation pesée de la notion de société civile (ou « public »). Dans le cadre des procédures de l’Union européenne, le public susceptible de mettre en œuvre les instruments de la démocratie participative est entendu de manière très libérale : sont bien sûr concernés les citoyens européens, les personnes physiques ou morales, mais aussi les mêmes acteurs « étrangers » dès qu’ils sont durablement résidents sur le territoire de l’Union. La pétition devant le Parlement européen peut être la pétition d’un seul individu. Toutefois l’accès à la justice européenne ne semble pas répondre aux critères d’Aarhus, la Commission renvoyant au statut du juge de droit interne en tant que juge de premier degré du droit de l’Union disposant de l’instrument de la question préjudiciable.
Il faut encore noter que la convention d’Aarhus établit une distinction entre « public » et « public concerné ». Le public est défini de la manière la plus large possible en droit (les groupes ne jouissant pas de la personnalité morale font partie du public au sens d’Aarhus et peuvent exercer les prérogatives introduites par la Convention). Le public concerné est un sous-groupe du public, qui est touché ou risque d’être touché par les décisions publiques intervenant en matière d’environnement. Les associations et ONG de défense de l’environnement constituent toujours un public concerné puisqu’elles n’ont pas d’intérêt juridique ou de fait à démontrer préalablement à leur intervention, pour autant que leur objet social soit bien de nature environnementale.
Questions pendantes
De manière générale, le droit de la participation du public en matière environnementale en tant qu’instrument procédural souffre, comme le droit matériel de l’environnement, d’un fort déficit d’effectivité, expressément attesté par l’Union européenne. Or, faute d’effectivité juridique plénière, il est très malaisé d’en apprécier l’efficacité. La configuration juridique du droit à la participation exprime et entérine, à sa manière, diverses réticences à l’égard de la démocratie participative.
Deux aspects, parmi bien d’autres, peuvent être relevés. La question se pose de la portée juridique des instruments juridiques de la participation. Indubitablement elle est faible, au point de susciter parfois le découragement ou l’ironie de beaucoup. Pour autant, il semble peu prometteur de s’engager dans des voies telles que celle de co-décision, davantage source de confusion et de blocage que d’approfondissement de la démocratie. Le point ici essentiel, stipulé dans Aarhus, est celui de l’obligation redditionnelle pesant sur les pouvoirs publics, id est la contrainte dans leur chef d’exprimer de manière explicite en quoi la participation du public a été prise en compte et a pu (ou non) influer sur le contenu de la décision. C’est l’Union européenne qui dispose ici du système le plus avancé, en particulier à travers l’obligation qui pèse sur elle de motiver de manière à chaque fois circonstanciée les actes de la législation dérivée (directives, règlements).
Une timide évolution se fait jour dans cette direction en droit français à travers une procédure facultative pour l’administration et qui ne concerne pas le domaine environnemental (voir le rapport public 2011 du Conseil d’État). Il est permis de penser que la motivation obligatoire des actes réglementaires est la condition première d’un dialogue participatif société civile / société politique propre à engendrer un minimum de confiance qui fait aujourd’hui largement défaut, sans rien retirer pour autant à la compétence exclusive des pouvoirs publics de décider.
Une seconde difficulté tient aux « publics » peu disposés à la participation pour des raisons de positions dans la hiérarchie sociale pouvant aller jusqu’à l’exclusion. Cette catégorie de public n’est pas autonomisée par le droit positif alors que c’est souvent elle qui est la victime des plus fortes inégalités environnementales, généralement injustes. C’est à nouveau à « l’esprit d’Aarhus » qu’il faut se reporter, la deuxième réunion des parties (2005) ayant adopté les « lignes directrices d’Almaty sur les moyens de promouvoir l’application des principes de la convention d’Aarhus dans les instances internationales », qui au titre des « considérations générales » indique (paragraphe 15) « lorsque les membres du public ont des capacités, des ressources, des situations socio-culturelles ou un poids économique ou politique différents, des mesures particulières devraient être prises pour garantir un processus équilibré et équitable. Les processus et mécanismes d’accès international devraient être conçus de façon à promouvoir la transparence, réduire l’inégalité, prévenir toute influence économique ou politique indue et faciliter la participation des groupes qui sont le plus directement concernés et qui pourraient ne pas avoir les moyens de participer sans un encouragement et un soutien ». Nul doute que cette résolution dédiée à la participation démocratique au niveau international vaille également pour les niveaux nationaux et infra nationaux…
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