Définition de l'entrée

Sens 1 : En un sens très large, désobéir, c’est refuser délibérément de se conformer à une loi, un règlement, un ordre ou une norme. Le spectre sémantique du verbe permet donc de couvrir indifféremment tous les mouvements de lutte, de contestation, de résistance ou de révolte.

Sens 2 : La désobéissance civile a également un sens beaucoup moins extensif : elle nomme une forme d’action politique qui a une histoire et des caractéristiques bien particulières.

Pour citer cet article :

Ogien, A. (2022). Désobéissance civile. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/desobeissance-civile-2022

Citer

L’apparition de la désobéissance civile date du geste de Henri D. Thoreau, écrivain américain décidant, dans les années 1850, de ne plus payer ses impôts pour signifier qu’il retirait son adhésion à l’État américain qui tolérait l’esclavagisme et menait une guerre à ses yeux injuste contre le Mexique. En 1879, une avocate française et militante féministe, Hubertine Auclert, emploie la même méthode afin de dénoncer l’injustice faite aux femmes et réclamer l’instauration de leur droit de vote.

Mohandas K. Gandhi recourt à la désobéissance civile pour revendiquer l’égalité des droits pour la minorité indienne dans l’Afrique du Sud des années 1910. Puis il l’applique dans l’Inde des années 1940, en organisant le refus de payer un impôt sur le sel imposé par la puissance coloniale britannique. La force de ce mouvement débouchera sur l’indépendance du pays. La même forme d’action politique est utilisée par le mouvement des droits civiques organisé par Martin L. King dans les années 1960 aux États-Unis ; par les opposants à la guerre du Viêt Nam ou à celle d’Algérie ; par les activistes qui exigent le droit à l’avortement, la décriminalisation de l’homosexualité ou la légalisation des clandestins et des sans papiers. Pour qu’un refus de remplir une obligation légale ou réglementaire compte pour un acte de désobéissance civile, il doit remplir certaines conditions : être exprimé publiquement, en nom propre, de façon collective, en spécifiant en quoi cette obligation bafoue un droit élémentaire et en fondant cette revendication sur l’invocation d’un principe supérieur (égalité, justice, solidarité ou dignité). Et il faut encore que ce refus fasse l’objet d’une poursuite en justice (civile ou administrative) afin que la sanction prononcée ouvre un débat public sur la légitimité de l’obligation contestée. On ne se sert donc de la désobéissance civile que dans des circonstances politiquement appropriées, ce qui veut dire que ceux qui le font savent quand et pourquoi il est possible et acceptable de le faire pour défendre une revendication.

CIVILE OU CIVIQUE ?

La désobéissance doit-elle être nommée « civile » ou « civique » ? Pour Etienne Balibar (1998), le choix de ce second adjectif permettrait d’affirmer qu’« il ne s’agit pas seulement d’individus qui, en conscience, objecteraient à l’autorité. Mais de citoyens qui, dans une circonstance grave, recréent leur citoyenneté par une initiative publique de «désobéissance» à l’État ». Pour Balibar, l’adjectif « civique » renverrait donc à la dimension « politique » d’un acte public ; l’adjectif « civil », à sa dimension purement morale. En ce sens, la désobéissance civique nommerait l’acte qui conteste l’ensemble du système de reproduction de la domination. Mais, au fond, un tel changement ne modifierait pas grand chose. Car l’histoire et les pratiques attestent que tout acte de désobéissance civile remplit toujours les trois conditions qui, selon Balibar, le rendent « politiquement responsable » : il faut se trouver « dans une situation d’urgence [comme] c’est le cas lorsqu’un seuil est en passe d’être franchi dans la dégradation de l’État de droit ; […] que l’appel à la désobéissance civique, toujours fondé sur une décision individuelle, ne reste pas un geste de témoignage isolé, mais ouvre la possibilité d’une action collective et d’un changement du cours des choses ; [qu’elle] accepte ses propres conséquences : le risque qu’elle comporte pour ceux qui l’exercent, cela va de soi, mais aussi ses effets dans le champ politique » (p. 20-21). Pour Dominique Rousseau, un acte de désobéissance doit être nommé « civique » dans la mesure où c’est au nom de principes constitutionnels bafoués qu’il réclame l’abrogation d’une loi ou d’un texte réglementaire considéré comme injuste, indigne, scélérat ou contrevenant à la démocratie ou à l’humanité.

LES MOBILES CONTEMPORAINS DE LA DÉSOBÉISSANCE

Un doute existe quant au bien fondé de la désobéissance civile. En effet, les « grandes causes » qui lui ont donné ses lettres de noblesse (la décolonisation, la guerre d’Algérie, celle du Viêt Nam, le combat contre la ségrégation raciale ou les luttes pour le droit à l’avortement ou à l’orientation sexuelle) ont disparu et le respect des droits et libertés individuels est, dans les régimes démocratiques avancés, une réalité juridique dont l’application peut être réclamée devant des tribunaux. La question se pose donc de savoir ce qui pourrait encore justifier le fait de se mettre en désobéissance civile.

On note que les actes de ce genre qui se commettent aujourd’hui dans les régimes démocratiques servent deux combats : celui du droit des étrangers (l’aide et l’accueil fait aux clandestins, le combat contre les expulsions, le refus de la délation, l’opposition aux arrestations planifiées) ; et celui de l’extension des droits politiques et sociaux des citoyens. Les actes qui se rangent dans cette seconde catégorie peuvent être de trois types, selon qu’ils sont commis : soit par des groupes de citoyens qui se mettent délibérément en illégalité en articulant leur revendication à celle que soutient une opposition parlementaire, une organisation non gouvernementale (ONG) ou une association dans une négociation politique qui vise à modifier la loi ou à en faire adopter de nouvelles (c’est le cas des anti-nucléaires, de Greenpeace, des faucheurs d’organismes génétiquement modifiés (OGM), du droit au logement (DAL), des militants pour la liberté d’Internet, etc.) ; soit par des personnes auxquelles la loi impose une atteinte à leur liberté individuelle et qui choisissent de ne pas s’y soumettre pour dénoncer la situation qui leur est faite (c’est le cas de ceux qui contestent l’interdiction de l’euthanasie, le fichage ADN de militants politiques ou l’injonction faite aux journalistes de livrer leurs sources) ; soit par des individus qui décident de faire entendre une revendication qu’aucune organisation officielle ne prend sérieusement en charge dans l’univers politique alors que ce qu’ils entendent dénoncer est, pour eux, une entorse inacceptable à un principe fondamental de la démocratie.

Tel est le cas des agents et des professionnels de service public (enseignants, chercheurs, juges, médecins, psychiatres, policiers, gendarmes, travailleurs sociaux, etc.) qui refusent – au risque de la sanction qu’ils encourent – de suivre des instructions dont ils estiment qu’elles font peser des menaces sur l’égal accès des citoyens à des besoins fondamentaux (santé, éducation, justice, etc.), qu’elles limitent leurs droits sociaux et politiques ou dégradent gravement la qualité et l’universalité du service public. La désobéissance se traduit en ce cas en boycotts des opérations d’enregistrement informatiques ; refus de produire ou de communiquer des données indispensables à l’exécution des procédures légales ou administratives (blocage des saisies obligatoires pour alimenter les multiples systèmes d’information) ; refus de remplir des questionnaires ou des tableaux de bord administratifs ; boycott des évaluations gestionnaires ; refus d’appliquer les politiques du chiffre imposées dans les administrations publiques. Bref, en ne remplissant pas l’obligation d’alimenter en données brutes les systèmes d’information, certains individus entendent attirer l’attention sur l’insensible réduction ou sur l’abandon de missions d’intérêt général que les gouvernements et la majorité des citoyens ont fini, au nom de l’efficacité et sous l’obligation de réduire la dette publique, par accepter comme inéluctable. Et ces actes viennent secouer ce conformisme.

LES LIMITES DE LA DÉSOBÉISSANCE

La désobéissance civile est un acte de dernier recours : la seule manière de maintenir vivantes dans le débat public des questions apparemment résolues par une législation en vigueur mais dont les réponses sont jugées comme inadéquates. Elle est souvent tenue pour une forme d’action politique vaine. Et il est vrai qu’elle connaît de sérieuses limites. La première tient à la faiblesse des collectifs qui la prônent : ils n’ont généralement pas de relais de pouvoir et décident d’agir hors (voire contre) les organisations politiques établies. La seconde tient à ce qu’il n’est jamais certain que les autorités ou la hiérarchie défiées acceptent d’engager des poursuites contre les réfractaires. Or, le fait de renoncer à sanctionner des récalcitrants rend leur acte insignifiant (ou le cantonne dans une zone de non application tolérée des directives). Une troisième limite tient à ce que les instructions données ne sont pas vraiment impératives, comme c’est le cas avec les nouvelles formes de droit (« soft law ») qui n’édictent pas des obligations et des prescriptions, mais fixent des objectifs et émettent des recommandations que l’incitation financière ou le souci de la réputation conduisent à respecter de façon volontaire. Dans ces conditions, le refus d’obtempérer est immédiatement vidé de toute signification politique : ne pas entrer dans la compétition et négliger les objectifs revient à s’exclure soi-même de la course, sans que le procédure instituée ne soit publiquement contestée. Désobéir n’a tout bonnement pas de sens dans un univers où la régulation est contenue dans des dispositifs techniques qui organisent la mise en concurrence.

LA DÉSOBÉISSANCE PEUT-ELLE ÊTRE UN DROIT ?

La désobéissance civile est une forme d’action politique qui a la particularité d’être également une infraction. Ceux qui enfreignent délibérément des obligations légales ou réglementaires pour signifier leur opposition à des mesures qu’ils jugent injustes ou dangereuses (faucheurs d’OGM, enchaînés des causes écologiques ou anti-nucléaires, professeurs ou directeurs d’école qui ne respectent pas les directives, barbouilleurs de publicité, personnes qui viennent en aide aux clandestins ou refusent de donner leurs empreintes génétiques, personnes qui pratiquent l’euthanasie) commettent donc des actes qui tombent sous une qualification juridique qui ignore leur mobile politique : « dégradation de bien public », « violation de propriété privée », « destruction volontaire », « faute professionnelle », « entrave à l’ordre public » ou « rébellion ».

Bien que le droit de résister à l’oppression figure à l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et est réaffirmé dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, la législation française ne lui confère aucune « valeur juridique contraignante ». Il existe cependant quelques articles de loi qui font subsister un droit de résistance, comme le droit pour le fonctionnaire de refuser d’obéir à un ordre « manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public » (article 28 de la loi no 83-634 du 13 juillet 1983 sur le statut des fonctionnaires) ou comme l’absence d’exonération pénale pour obéissance à l’acte manifestement illégal ou conduisant à un crime contre l’humanité (articles 122-4 et 213-4 du Code pénal). De la même manière, la résistance passive n’est pas constitutive de rébellion, ce qui place théoriquement les actes de désobéissance non-violents (sit-in, occupation pacifique) à l’abri de cette qualification.

En commettant une infraction dans le but de forcer l’intervention du juge dans un procès au cours duquel la nature de l’acte délictueux sera débattue en public, la désobéissance civile remet en cause le refus tenace des juges de se prononcer sur des questions morales et politiques, en s’arcboutant au principe de séparation des pouvoirs. Mais ce principe est parfois difficile à respecter et des juges consentent à donner légitimité à la dénonciation du caractère indigne ou injuste d’une obligation légale ou réglementaire (Turenne, 2007).

Pour dénouer la tension entre droit et politique que la désobéissance civile introduit parfois en démocratie, certains en sont venus à évoquer la légalisation de cette forme d’action politique. La question s’est surtout posée dans les États-Unis des années 1960, à l’époque où la lutte pour les droits civiques et contre la guerre au Viêt Nam mettaient massivement en cause la légitimité du pouvoir. Face à ce mouvement, John Rawls (1987, p. 422) admet que la désobéissance est « un des moyens de stabiliser un système constitutionnel, même si c’est par définition un moyen illégal. Quand elle est utilisée de manière limitée et à bon escient, elle aide à maintenir et à renforcer des institutions justes tout comme des élections libres et régulières ainsi qu’un pouvoir judiciaire indépendant ayant le pouvoir d’interpréter la constitution ». Hannah Arendt (1972) envisage cette contestation de façon plus dramatique. Pour elle, il est impératif de mettre un terme à un affrontement à ses yeux funeste et injustifié. C’est pourquoi elle propose de « régulariser » la désobéissance civile en l’assimilant à une expression du droit d’association garanti par la Constitution américaine et en conférant aux groupes prônant la désobéissance civile un statut identique à celui d’un lobby. Pour Arendt, cette mesure permettrait, en reconnaissant la justesse des combats pour la liberté et l’égalité, de rétablir la paix civile et la légalité démocratique.

Mais faire de la désobéissance une activité organisée et reconnue entre en contradiction avec la nature même de la désobéissance, qui est le fait d’une réaction émotionnelle imprévisible et inorganisée face à une prescription obligeant à se conduire de façon inique, abjecte ou inacceptable. Instituer un droit à la désobéissance est de plus une démarche risquée quand on ne sait pas à l’avance de quel refus elle sera l’émanation. Car une fois ce droit institué, comment pourrait-on en interdire la jouissance à des individus ou des organisations qui rejettent les principes mêmes de la démocratie ? Pour parer ce danger, Ronald Dworkin (1995) propose de conditionner l’institution d’un droit à la désobéissance à la fixation précise de critères qu’il sera possible de faire valoir devant un tribunal pour qu’un refus d’appliquer les prescriptions d’un texte légal ou réglementaire puisse être jugé conforme à ce droit. Cette interrogation s’est éteinte avec la reconnaissance des droits civiques et la fin de la guerre du Viêt Nam et de la conscription. Mais la question de savoir s’il faut ménager une place à la désobéissance dans l’édifice juridique d’un régime démocratique demeure ouverte.

DÉSOBÉISSANCE ET PARTICIPATION

La participation du citoyen aux institutions de représentation et de délégation mises en place par un régime démocratique en est un élément constitutif. Certains ont imaginé le cauchemar que serait une élection à laquelle nul ne viendrait voter (Saramago, 2006). Mais la « participation » est devenue un terme qui sert à qualifier des pratiques de concertation visant à réduire la distance qui finit par s’instaurer, en démocratie, entre les citoyens et leurs représentants. Si la désobéissance civile s’inscrit pleinement dans le premier sens de la participation au processus politique, elle est une forme d’action politique qui ne se plie pas aux règles des nouvelles procédures de la « démocratie participative ». La persistance des actes de désobéissance civile atteste du fait que le citoyen possède une conception ordinaire du politique et de la démocratie et  qu’il l’exprime en signifiant son refus de se plier à une décision prise par des gouvernants qui ne respectent pas un de leurs principes fondateurs.

EXTENSION DE LA DÉSOBÉISSANCE

De nombreux mouvements de protestation se présentent aujourd’hui sous le signe de la désobéissance civile. Or, dans l’essentiel des cas, ils n’obéissent pas à ses règles. Ils se situent dans un autre registre : l’action directe non violente, qui vise, de façon théâtrale et ludique, à dénoncer l’inaction des pouvoirs publics  en matière de climat, de sexisme ou d’évasion fiscale. Il s’agit de se mettre en illégalité en causant un trouble à l’ordre public ou en perturbant la vie des institutions ou des entreprises afin de mettre au jour les agissements répréhensibles des puissants.

Le succès de cette extension de l’usage du terme désobéissance tient en grande partie à la séduction exercée par une croyance : désobéir permettrait de dépasser les formes routinières de l’activité militante et l’impuissance des modalités classiques de contestation (pétition, manifestation, grève). En ce sens, la désobéissance promet trois choses : l’immédiateté (elle aurait la vertu de faire instantanément céder les pouvoirs) ; la médiatisation (l’esthétisation de l’action assure d’être « vu à la télé » et sur les réseaux) ; le rejet de la politique (le refus de l’idéologie et de l’embrigadement). Appeler à la désobéissance permet alors de faire de la politique sans dire qu’on est en train d’en faire.

Bibliographie

ARENDT H., 1972, Du mensonge à la violence, Paris, Calmann-Lévy.

BALIBAR E., 1998, Droit de cité, Paris, Éd. de l’Aube.

DWORKIN R., 1995, Prendre les droits au sérieux, Paris, Presses universitaires de France.

GHANDI M., 1986, Résistance non violente, Paris, Buchet Chastel.

LA BOÉTIE É. (de), 2002, Discours de la servitude volontaire, Paris, Payot.

OGIEN A., LAUGIER S., 2010, Pourquoi désobéir en démocratie ?, Paris, La Découverte.

RAWLS J., 1987, Théorie de la justice, Paris, Seuil.

SARAMAGO J., 2006, La Lucidité, Paris, Seuil.

THOREAU H-D., 1996 [1849], La Désobéissance civile, Paris, Mille et une nuits.

TURENNE S., 2007, Le Juge face à la désobéissance civile en droits américain et français comparés, Paris, Librairie générale de droit et de jurdisprudence.

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