Démocratie électronique
Ensemble des dispositifs et procédures mobilisant les technologies de l’information et de la communication en vue de favoriser la participation des citoyens au contrôle, à la discussion ou à l’élaboration des décisions publiques.
Wojcik, S. (2013). Démocratie électronique. In I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, & D. Salles (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/democratie-electronique-2013
La démocratie électronique
Débats académiques et usages politiques
La notion de démocratie électronique renvoie au rapport entre les technologies de l’information et de la communication (TIC) et la démocratie. La nature de cette relation fait l’objet de débats considérables dans la mesure où la démocratie elle-même est un concept discuté qui condense des perspectives normatives différentes dans plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales. De plus, les conceptions du rôle des technologies dans une société couvrent un spectre théorique large oscillant entre fonctionnalisme et constructivisme ; dans un cas, la technique apparaît seulement comme un outil au service d’un projet, dans l’autre, elle gît au fondement même d’une redéfinition possible des rapports sociaux.
Un tel débat connaît d’abord une phase optimiste, essentiellement sous la plume d’essayistes, au terme de laquelle les technologies interactives sont conçues comme un moyen de réaliser l’utopie de la démocratie directe et immédiate dans les États dont la taille ne le permettait pas jusqu’à présent, à travers par exemple l’organisation de référendums permanents. Il s’agirait alors de pallier les difficultés des gouvernements représentatifs, notamment en dépassant les rythmes jugés trop lents et inadaptés des cycles électoraux et en contournant partis politiques et groupes d’intérêts, au bénéfice d’une démocratie fondée sur la transparence et la participation quasi-permanente de millions de citoyens. Les caractéristiques d’Internet – rapidité, interactivité – sont alors supposées favoriser un accroissement de la participation politique (Dutton, 1992). De tels espoirs sur le potentiel démocratique d’une nouvelle technologie ne sont pas nouveaux et ont accompagné antérieurement le développement d’autres moyens de communication, comme la radio, la télévision, les réseaux câblés ou même le téléphone (Couldry, 2012).
À cette première phase dont les traces ne subsistent plus guère aujourd’hui que dans la fréquente valorisation du principe de transparence dans le gouvernement des affaires publiques, succèdera une phase davantage réaliste, lors de laquelle le potentiel démocratisant des technologies se trouvera fortement relativisé (Margolis et Resnick, 2000), celles-ci pouvant avoir des effets minimaux voire délétères sur la vie démocratique et l’engagement des citoyens.
Surtout, les formes de participation permises par les technologies de l’information et de la communication ne seront plus alors considérées comme devant remplacer les pratiques politiques traditionnelles mais comme des adjonctions (Rodotà, 1999). En cela, la démocratie électronique apparaît comme une variante, technologiquement équipée, de la démocratie participative.
À partir du milieu des années 1990, les acteurs politiques se sont également saisis, à travers une multiplicité de discours et de rapports publics, des potentialités des technologies de l’information et de la communication dans le secteur public ; ceux-ci révèlent diverses significations de la démocratie électronique au sein desquelles la participation fait l’objet d’une définition singulièrement limitée, tout du moins en France. Initialement restreinte au seul vote électronique, la démocratie électronique fait parfois par la suite l’objet d’une confusion avec l’administration électronique, soit l’utilisation des réseaux numériques pour faciliter les procédures administratives (Shane, 2012), conduisant dès lors à mettre en avant la figure non pas du citoyen mais celle de l’usager des services publics.
Plus récemment, des initiatives telles que, aux États-Unis, le programme Transparency and Open Government (TOG) porté par le premier gouverment américain de Barack Obama associe la transparence à la nécessité pour les représentants de devoir rendre des comptes sur leurs actions (accountability) tout en promouvant la participation des citoyens en vue d’améliorer l’efficacité et la qualité des décisions, de telle manière à ce que les décisions soient fondées sur des savoirs largement disséminés au sein de la société, et non plus uniquement sur la seule capacité d’expertise des hauts fonctionnaires. En France, cette idée de « open governement » ne fait pas réellement l’objet d’une reprise, la dimension participative radicale contenue dans le TOG, se trouvant réduite à la nécessité reconnue par les gouvernements de développer et de promouvoir l’ouverture des données publiques soit la mise à disposition des données produites par les administrations publiques, jusqu’alors conservées dans leurs ordinateurs, et sous des formats facilitant leur partage et leur réutilisation.
Un concept aux frontières mouvantes
Considérée le plus souvent comme synonyme de cyberdemocracy, virtual democracy, digital democracy, ou encore teledemocracy, l’expression electronic democracy ou e-democracy – traduite en français par l’expression générique « démocratie électronique » – voisine, et parfois se superpose, avec des termes tels que e-governement, e-participation (Margolis, 2009) ou plus récemment open government. Dans tous les cas, il est question de participation politique mais la signification et la teneur de celle-ci, une fois considérée dans ses manifestations numériques, apparaissent variables.
La traduction littérale de « démocratie électronique » laisse en effet imparfaitement voir la multiplicité des pratiques auxquelles les termes anglo-saxons renvoient. Par exemple, Andrew Chadwick considère que l’analyse du rôle d’Internet dans le renforcement de la cohésion sociale, de la délibération politique et de la participation politique relève de l’analyse de la e-democracy (Chadwick, 2006). Ce qui ouvre un champ de réflexion assurément très vaste, susceptible de mobiliser d’autres concepts tels que ceux de sphère publique ou de capital social.
En revanche, en France, la majorité des travaux se centre plutôt sur les relations entre citoyens et responsables politiques, et sur les processus démocratiques eux-mêmes. Ainsi que le souligne Thierry Vedel, ce sont alors trois questions principales qui attirent l’attention : l’information des citoyens ; le débat et la discussion ; la délibération et la prise de décision publique (Vedel, 2003).
Néanmoins, les développements techniques récents – en particulier, les réseaux socio-numériques, et, plus généralement le Web 2.0 – ont conduit à repenser la teneur et les frontières de cette notion de démocratie électronique, tant les possibilités d’expression des individus se sont considérablement accrues.
Dès lors, et de manière extensive, la notion de démocratie électronique renvoie à l’idée de développer la participation politique à travers les réseaux numériques, qu’il s’agisse pour les citoyens d’échanger entre eux ou avec leurs représentants. Sont dès lors regroupées sous cette dénomination une variété de pratiques au travers desquelles responsables politiques et institutions publiques affirment vouloir favoriser les différentes dimensions du processus démocratique, ainsi que l’ensemble des actions et des paroles politiques de citoyens non contraintes par les pouvoirs publics, mobilisant les TIC (Wojcik, 2011).
Il semble donc que l’on s’oriente vers une réflexion qui prend désormais en compte la multiplicité des formes de prises de parole en ligne qui concourent à reconfigurer l’espace public traditionnel (Cardon, 2010).
« Démocratie électronique » et participation
Vers un élargissement du politique ?
Aussi, la participation politique constitue bien un aspect central de la « démocratie électronique » mais les controverses demeurent vives quant à son contenu, et ce d’autant que le concept de participation politique fait l’objet depuis son origine d’une extension quasi continue pour intégrer des activités de plus en plus variées (Van Deth, 2001). Certains auteurs disqualifient simplement la participation politique lorsqu’elle reposerait sur les réseaux socio-numériques. Par exemple, Lehman-Schlozman, Verba, et al. (2010) considèrent que Facebook est un simple espace où on peut discuter de politique entre amis, plutôt qu’un lieu où existent des efforts politiques organisés en vue d’influencer directement les autorités publiques. D’autres plaident pour une définition très élargie de la participation politique lorsqu’elle s’appuie sur des modalités numériques d’expression ou d’action. Par exemple, Monnoyer-Smith mobilise les travaux issus des Cultural studies pour proposer une relecture de la participation à l’aune de la notion de culture numérique. Prônant une acception élargie de la participation affranchie du champ du militantisme, elle envisage la participation comme une composante essentielle de toute forme de médiation dans la société numérique (Monnoyer-Smith, 2011).
Entre ces deux pôles, Jensen, Jorba, et al. (2012) considèrent que les modes de participation existants hors ligne (par exemple, contact, pétition, donation, achat « responsable », …) peuvent être réalisés en ligne mais surtout que les médias numériques ont permis la création de nouveaux modes de participation politique qui n’existaient pas auparavant. Ce faisant, c’est la notion même de « politique » qui se trouve interrogée, les arènes institutionnelles apparaissant délaissées au profit d’espaces de sociabilité numérique investis d’une parole, et parfois d’une action, politique.
CARDON D., 2010, La Démocratie Internet, Paris, La République des idées / Seuil.
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