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La démocratie directe, dans sa définition la plus courante, désigne un régime politique dans lequel le peuple exerce directement le pouvoir.

Pour citer cet article :

Gaboriaux, C. (2013). Démocratie directe. In I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, & D. Salles (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/democratie-directe-2013

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La démocratie directe, dans sa définition la plus courante, désigne un régime politique dans lequel le peuple exerce directement le pouvoir. La participation des citoyens y est donc centrale. Jusqu’à présent, elle a pourtant tenu une place assez restreinte dans la littérature consacrée à la démocratie participative, où elle est loin d’obtenir une approbation unanime. C’est que la transparence apparente du vocable renvoie en réalité à des conceptions diverses, qui ne sont pas toutes compatibles avec les exigences – elles-mêmes variables selon les auteurs – de la démocratie participative. Opposée à la forme représentative de la démocratie, dont elle constitue le pendant dans les typologies des manuels, elle est généralement repoussée. Mais elle n’en reste pas moins, à la manière d’un idéal directeur, la source d’inspiration majeure des théories de la démocratie participative. Quoique critiquées, certaines de ses procédures, comme les référendums d’initiative populaire, de destitution des élus (recall) ou d’abrogation des lois, apparaissent ainsi indispensables à la mise en œuvre d’une véritable participation.
 

L’une des deux formes de la démocratie

Des deux formes de la démocratie que distinguent les manuels et les dictionnaires de science politique, la démocratie directe se caractérise par l’absence de médiation entre le peuple et le pouvoir politique. La souveraineté du peuple y est exercée directement par les citoyens assemblés, contrairement à la démocratie représentative où elle est exercée indirectement, par l’intermédiaire de représentants élus.
Ainsi définie, elle semble incompatible avec la démocratie participative, dont les théories s’élaborent pour la plupart dans le cadre de la démocratie représentative. Elles en reprennent les présupposés fondamentaux : la taille des États modernes impose la représentation, qui est de surcroît seule à même de répondre aux besoins de nos sociétés complexes et aux aspirations foncièrement libérales des individus qui les composent (quête du bonheur privé, protection des droits). L’argument, qui était déjà celui de Benjamin Constant dans sa comparaison entre liberté des Anciens et liberté des Modernes (Constant, 1980), a longtemps confiné la démocratie directe au rang des modèles historiques dépassés : elle convenait à l’Antiquité grecque mais serait en tous points inadaptée aux exigences de la modernité.
Les crises auxquelles la démocratie représentative est confrontée depuis sa naissance font néanmoins régulièrement ressurgir les plaidoyers en faveur de la démocratie directe. On l’a vu dernièrement à travers un certain nombre de propositions fondées sur les nouvelles possibilités offertes par le Web, qui permettrait selon leurs auteurs de surmonter l’obstacle pratique que représente la taille des États. Certaines d’entre elles ne rejettent d’ailleurs pas toute médiation : pour Ian Budge par exemple, l’exercice direct du pouvoir politique par le peuple n’exclut pas l’existence de partis forts, susceptibles d’organiser, d’éclairer et de modérer les décisions prises par les citoyens ordinaires (Budge, 1996).
Dans une certaine mesure, les objectifs poursuivis sont analogues à ceux de la démocratie participative. Dans un contexte de crise de la représentation, ne s’agit-il pas de redonner du sens à la démocratie en rendant le pouvoir au peuple ? Les récentes prises de position en faveur de la démocratie directe ont cependant été critiquées au nom même de la participation. Elles surestimeraient d’abord les potentialités d’Internet, identifiant à tort la communauté des internautes au peuple assemblé. Mais surtout, elles ne parviendraient pas à lever la difficulté fondamentale à laquelle se heurte aujourd’hui l’exercice du pouvoir par les citoyens. Compte tenu de la complexité croissante des questions politiques, la démocratie directe requiert un investissement auquel les modernes rechigneront toujours et finit donc immanquablement par entraver la participation au lieu de la soutenir (Morel, 2000). Le cadre de référence des participationnistes reste celui de la démocratie représentative.

 

Un idéal de la participation

Si la substitution de la démocratie directe à la démocratie représentative est rarement considérée comme un moyen de renforcer la participation dans les sociétés contemporaines, l’analyse de la démocratie directe telle qu’elle a été pratiquée dans l’Antiquité grecque n’en demeure pas moins une source d’inspiration majeure des théories de la démocratie participative. C’est qu’elle représente bien plus qu’une forme de la démocratie : elle est à la fois la démocratie originelle et la démocratie à l’état pur, une sorte de paradis perdu dont il faudrait rapprocher un gouvernement représentatif initialement conçu comme étranger voire opposé à la démocratie (Rosanvallon, 1993 ; Manin, 1995). Elle constitue en somme un idéal de la participation dont la lettre est inadaptée à la modernité mais dont l’esprit hante aujourd’hui encore les aspirations à la démocratisation.
Penser la participation passe ainsi par un retour à la démocratie directe antique, qui permet d’en affiner la définition. On sait désormais qu’elle ne se résumait pas à l’autogouvernement du peuple assemblé. Elle conférait également des pouvoirs importants à des collectifs plus restreints, dont les membres étaient désignés par le sort. La répartition des fonctions entre ces institutions et l’assemblée du peuple n’obéissait d’ailleurs pas au partage établi plus tard par Montesquieu et Rousseau, qui décrivent la démocratie comme l’association de l’exercice direct du pouvoir législatif et de la délégation par tirage au sort du pouvoir exécutif (Montesquieu, 1985 [1748] ; Rousseau, 1964). Elle semble plutôt avoir été déterminée par le principe de l’isegoria selon lequel n’importe quel citoyen peut prendre la parole et soumettre une proposition devant le peuple (Manin, 1995), ainsi que par le souci d’assurer le contrôle des citoyens sur l’action des magistrats (Rosanvallon, 2006).
Dans cette perspective, la dimension démocratique du régime tient moins au caractère direct ou indirect de l’exercice du pouvoir qu’à la capacité donnée à tous les citoyens d’être à l’initiative des lois et d’en contrôler l’application. L’étude de la démocratie grecque peut dès lors nourrir les réflexions contemporaines sur l’approfondissement de la démocratie, en particulier quand elles s’interrogent sur les conditions de la participation des citoyens « ordinaires » à la chose publique. Elle a suscité de nombreux travaux sur le type d’égalité que suppose le tirage au sort, indifférent aux différences de ressources et de compétences (Delannoi et Dowlen, 2010). Elle sous-tend aussi une attention renouvelée aux effets parfois concomitants d’intégration et d’exclusion des dispositifs participatifs mis en œuvre depuis quelques années : qu’il s’agisse du mode de sélection des participants, des processus de distinction ou même de professionnalisation qui peuvent s’y développer ou encore des tentatives d’instrumentalisation de la part des pouvoirs publics, nombreux en effet sont les facteurs susceptibles de remettre en question l’égalité de parole dans ces assemblées, décourageant ainsi le citoyen moyen d’y participer.

 

Un ensemble de procédures au service de la participation ?

On comprend dès lors les réserves fréquemment exprimées aujourd’hui à l’égard des mécanismes de démocratie directe que quelques pays ont adoptés, il y a parfois fort longtemps, en complément de la représentation. C’est le cas notamment de la Suisse, de l’Italie et de certains États américains, qui ont développé un système hybride intégrant des procédures dites de démocratie directe au sein du système représentatif. Désignées sous le nom générique d’« initiative populaire », elles permettent aux citoyens de susciter par voie de pétition un référendum, qui soumet à la ratification du corps électoral l’adoption ou l’abrogation d’un texte de loi, la modification de la Constitution ou encore la destitution d’un élu (recall). Là encore, il s’agit de briser le monopole des élus sur la vie politique, en donnant aux simples citoyens un pouvoir d’initiative et de contrôle. Mais les exigences de la participation semblent néanmoins loin d’être remplies.
L’emploi de l’expression « démocratie directe » pour qualifier ces procédures est d’ailleurs contestable. Il opère d’abord une confusion entre un régime politique distinct de la démocratie représentative et un ensemble d’institutions qui, tout en reposant sur l’initiative populaire, sont compatibles avec la représentation (Zogg, 1996). Il laisse ensuite entendre que ces mécanismes relèvent de l’autogouvernement du peuple, alors qu’ils ne prévoient pas d’assemblée où l’ensemble des citoyens pourraient discuter des questions ou des textes soumis au vote (Denquin, 2008). Il est donc préférable de parler de « démocratie semi‑directe », ce qui permet de souligner à la fois la dimension hybride du régime dans lequel ces mécanismes ont cours et le caractère tronqué du gouvernement direct auquel ils donnent lieu.
Si on laisse de côté la critique élitiste, dont l’hostilité aux procédures d’initiative populaire repose sur l’incompétence supposée des masses et son corollaire, l’instabilité politique, c’est ce dernier élément qui explique la plupart des réticences formulées à l’encontre de la démocratie semi-directe. Parce qu’elle néglige la délibération, pourtant centrale dans le modèle antique, elle réduit la participation des citoyens à l’expression d’un choix restreint, trop ponctuel pour répondre à une vision politique cohérente et bien souvent manipulé par les initiateurs du référendum. Elle manquerait dès lors son but, comme en témoignent les taux d’abstention souvent élevés de ces consultations et leurs gains incertains en matière de politisation (Papadopoulos, 1998).

 

Là sans doute réside la clé de son relatif effacement dans le débat académique : très discutée dans les années 1990, elle a depuis été largement balayée par la démocratie participative, plus attentive à l’intégration des citoyens ordinaires et plus ouverte à « l’impératif délibératif » (Blondiaux et Sintomer, 2002). Ses outils conservent néanmoins un grand pouvoir de légitimation dans les pays où ils sont mis en œuvre, et ils ont généralement toute leur place dans les projets de « démocratie forte » (Barber, 1984) : sans procédure de décision directe, la participation des citoyens à la production des politiques publiques, alors purement consultative, tend à devenir un instrument aux mains des gouvernants et perd dès lors tout intérêt aux yeux des gouvernés (Sintomer, 2007).

Bibliographie
BARBER B., 1984, Strong Democracy: Participatory Politics for a New Age, Berkeley, University of California Press. BLONDIAUX L., SINTOMER Y., 2002, « L’impératif délibératif », Politix, vol. 15, no 57, p. 17-35. BUDGE I., 1996, The New Challenge of Direct Democracy, Cambridge, Polity Press. DELANNOI G., DOWLEN O. (dir.), 2010, Sortition: Theory and Practice, Exeter, Imprint Academic. DENQUIN J-M., 2008, « Démocratie participative et démocratie semi-directe », Cahiers du Conseil Constitutionnel, no 23, http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/nouveaux-cahiers-du-conseil/cahier-n-23/democratie-participative-et-democratie-semi-directe.51858.html (accès le 22/04/2014). CONSTANT B., 1980, « De la liberté des Anciens comparée à celle des Modernes », in CONSTANT B., De la liberté chez les modernes : écrits politiques [textes choisis, présentés et annotés par GAUCHET M.], Paris, Livre de poche, p. 493-515. MANIN B., 1995, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Calmann-Lévy. MONTESQUIEU C., 1985 [1748], De l’esprit des lois, in MONTESQUIEU C., Œuvres complètes II, Paris, Gallimard. MOREL L., 2000, « Vers une démocratie directe partisane ? En relisant Ian Budge », Revue française de science politique, vol. 50, nos 4-5, p. 765-778. PAPADOPOULOS Y., 1998, Démocratie directe, Paris, Economica. ROUSSEAU J-J., 1964, Le Contrat social, in ROUSSEAU J-J., Œuvres complètes III, Paris, Gallimard. ROSANVALLON P., 1993, « L’histoire du mot démocratie à l’époque moderne », in ROSANVALLON P., GAUCHET M. (dir.), La Pensée politique, p. 11-29. ROSANVALLON P., 2006, La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Seuil. SINTOMER Y., 2007, Le Pouvoir au peuple. Jury citoyens, tirage au sort et démocratie participative, Paris, La Découverte. ZOGG S., 1996, La Démocratie directe en Europe de l’Ouest, Arles, Actes Sud.