Définition de l'entrée

Les conseils citoyens sont des dispositifs de démocratie participative créés en 2014 et rendus obligatoires dans tous les quartiers prioritaires de la politique de la Ville afin de mettre en œuvre une démarche de « co-construction » des contrats de ville avec les collèges « habitants » (tirés au sort) et les collèges « associations et acteurs locaux ».

Pour citer cet article :

Gauthier, Y. (2022). Conseils citoyens. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/conseils-citoyens-2022

Citer

Le dernier dispositif participatif de la politique de la Ville (?)

Promulgué le 21 février 2014, l’article 7 de la Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine rend obligatoire l’installation des conseils citoyens dans tous les quartiers prioritaires de la politique de la Ville. Ces dispositifs de démocratie participative sont, selon la loi dite « Lamy », composés d’un collège « habitants » constitué par tirage au sort paritaire et d’un collège « associations et acteurs locaux ». En principe, les conseils citoyens sont associés à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des contrats de ville dans une démarche de « co-construction » de la politique de la Ville avec les habitants, les associations et les acteurs économiques mobilisés au sein des quartiers populaires. Pour ce faire, il est prévu que des représentants des conseils citoyens participent à toutes les instances de pilotage du contrat de ville en toute indépendance et en toute autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics dans le respect des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité et de neutralité. Pour l’essentiel, l’organisation et la forme des conseils citoyens sont laissés libres aux acteurs chargés de les mettre en place sur les territoires locaux.

Dans ses intentions, cette instance se démarque des dispositifs de l’offre publique de participation jusqu’alors expérimentés dans la politique de la Ville par l’ambition et l’innovation portées par son cadre juridique et par son cadre de référence (mise en place obligatoire, co-construction, tirage au sort, indépendance et autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics). Paradoxalement, les conseils citoyens reproduisent l’inertie de l’action publique (Fontaine et Hassenteufel, 2015) et s’inscrivent dans une longue histoire de démocratie participative institutionnelle qui échoue à réenchanter la politique (Barrault-Stella, Gaïti et Lehingue, 2019).

 

Les conseils citoyens reproduisent les causes qui ont mené à la crise de l’offre publique de participation  

Dans une lettre de mission envoyée le 15 janvier 2013, le ministre délégué chargé de la Ville reconnaît l’échec de l’offre publique de participation déployée dans les quartiers relevant de la politique de la Ville depuis les années 1990.

« La participation des habitants a dès l’origine été une ambition affichée de la politique de la Ville […]. Cependant, malgré un foisonnement d’expériences locales et d’innovations, on constate que cette injonction à la participation s’est quelque peu essoufflée ou n’a pas toujours été réellement mise en œuvre. »

Pour tenter de résoudre la crise de la démocratie participative, François Lamy charge Marie-Hélène Bacqué (une chercheuse universitaire) et Mohamed Mechmache (un militant associatif) d’une mission de six mois afin d’élaborer des propositions sur la participation des habitants des quartiers populaires dans la politique de la Ville.

Remis le 10 juillet 2013, leur rapport intitulé Pour une réforme radicale de la politique de la Ville. Ça ne se fera plus sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires met en œuvre une méthodologie originale (Bacqué, 2015) et des propositions radicales (Bacqué et Mechmache, 2013) pour rompre avec l’inertie de l’action publique. Ce rapport préconise d’inscrire la politique de la Ville dans une démarche d’« empowerment à la française » (Bacqué et Biewener, 2013) qui s’appuierait sur le pouvoir d’agir et sur la capacité d’interpellation politique des citoyens. Parmi les « une plus trente » propositions qui débordent largement le cadre de la politique publique, Mohamed Mechmache et Marie-Hélène Bacqué recommandent d’expérimenter la création de « tables locales de concertation ». Cependant, le ministre délégué chargé de la Ville choisit de créer le dispositif des conseils citoyens sur le modèle des conseils de quartier. Cette option lui permet de faire avancer la question de la démocratie participative sans révolutionner la politique de la Ville avec un dispositif qui serait jugé trop radical par les élus. De leur côté, les rapporteurs participent à la fondation de la Coordination nationale « Pas sans Nous » qui se positionne dans un rôle de syndicat des quartiers populaires et qui met en œuvre avec la Fédération des centres sociaux de France (FCSF) l’expérimentation des tables de quartier (Louis, 2019).

Parce qu’il est le catalyseur des enjeux de la politique de la Ville et de la démocratie participative, le dispositif des conseils citoyens a fait l’objet de nombreuses évaluations malgré son caractère récent. Toutes mettent au jour la reproduction de l’insoluble paradoxe de l’offre publique de participation : l’affichage d’une volonté politique de « faire participer » (Carrel, 2013), sans pour autant donner les moyens de fonctionner aux dispositifs et aux participants (Bacqué et Demoulin, 2019 ; Casillo et Rousseaux, 2019 ; Madelin, 2019).

 

Les conseils citoyens reproduisent la faible utilité politique et sociale des dispositifs de démocratie participative  

Dans la littérature scientifique, l’offre publique de participation déployée dans la politique de la Ville est systématiquement critiquée pour sa propension à restreindre l’horizon de la démocratie participative à des démarches de consultation à l’échelle micro-locale. Inscrit pour la première fois dans la législation française, le principe de « co-construction » doit faire évoluer les modalités de gouvernance de l’action publique. En effet, cette démarche fait des conseils citoyens un partenaire à part entière de la politique de la Ville aux côtés des acteurs institutionnels à chaque étape du contrat de ville (élaboration, mise en œuvre, évaluation) et porte le périmètre d’intervention de la participation citoyenne à l’échelle de l’intercommunalité.

Toutefois, ce concept juridique n’est pas défini par le législateur qui permet aux acteurs locaux de fixer les modalités de la « co-construction » dans les contrats de ville. Au final, la Loi « Lamy » ne met pas en concurrence les conseils citoyens et les élus, qui demeurent les seuls acteurs légitimes à décider de l’intérêt général à l’échelle des collectivités territoriales. Cette prudence s’explique notamment par la peur du personnel politique de favoriser l’émergence de contre-pouvoirs dans les quartiers prioritaires de la politique de la Ville. Or, l’intégration de la conflictualité dans le processus de délibération constitue l’une des conditions de la « co-construction » (Bellavoine et Blondel, 2019 ; Billen, 2019). Dans tous les cas, les conseils citoyens ont pour la plupart été mis en place après la signature des contrats de ville 2014-2023, rendant impossible leur pleine association à la « co-construction » de la politique de la Ville.

 

Les conseils citoyens reproduisent les situations de dépendance de la démocratie participative vis-à-vis de la démocratie représentative

L’état de l’art met au jour la dépendance des dispositifs de l’offre publique de participation vis-à-vis du pouvoir représentatif qui fixe les modalités pratiques et les règles de fonctionnement de la démocratie participative. Pour la première fois dans l’histoire de la politique de la Ville, la loi garantit l’indépendance et l’autonomie d’une instance de participation citoyenne vis-à-vis des pouvoirs publics. Pourtant, les conditions de la mise en œuvre de la politique publique à l’échelle locale remettent en cause l’opérationnalité de ces dispositions sur les territoires du contrat de ville.

D’une part, les textes de référence indiquent que la création des conseils citoyens est confiée aux élus locaux et que la liste de leurs membres est soumise à une validation par arrêté préfectoral après consultation du maire et du président de l’établissement public de coopération intercommunal (EPCI). D’autre part, les évaluations démontrent que le budget des conseils citoyens qui reste à la discrétion de l’État et des collectivités territoriales varie fortement selon les budgets et les volontés politiques (Casillo et Rousseaux, 2019). En l’absence de moyens suffisants pour jouer le rôle de « co-construction » qui leur a été assigné, de nombreux conseils citoyens ont été enfermés dans des rôles d’animation, comme peuvent l’être les conseils de quartier.

 

Les conseils citoyens reproduisent un public d’« habitués » de la participation citoyenne

Le constat est bien connu, l’offre publique de participation reproduit les inégalités politiques et sociales en favorisant l’enrôlement et l’engagement d’un public d’« élites » et d’« habitués » de la participation citoyenne. Ceux-là sont plutôt des hommes ou des femmes, blancs, âgés, éduqués, aisés, retraités, déjà engagés par ailleurs et électeurs réguliers (Delli Carpini, Jacobs et Loomax Cook, 2009 ; Della Porta, Font et Sintomer, 2014).

Afin de renouveler les publics de la démocratie participative, l’article 7 de la Loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine du 21 février 2014 rend obligatoire le recours au tirage au sort paritaire pour constituer les collèges « habitants » des conseils citoyens. En effet, ce mode de recrutement qui fait son retour en politique (Delannoi, 2010) est censé réconcilier un idéal d’inclusion et de décision raisonnée en partant du principe que chacun est également responsable de l’intérêt général et que chacun est capable d’un jugement politique égal (Sintomer, 2007).

Cependant, l’interprétation du cadre juridique (dont la souplesse confine au flou) et du cadre de référence (dépourvu de toute portée normative) des conseils citoyens permet des arrangements institutionnels avec l’injonction légale au tirage au sort (recours, mal-recours et non-recours) qui aboutissent à la reproduction des publics de la démocratie participative (Arhip-Paterson, Bilella et Petit, 2019 ; Bachir et Lefebvre, 2019 ; Daquin et al., 2019 ; Gauthier, 2023). Malgré ces conséquences inattendues, la tension entre l’obligatoire et l’aléatoire peut aussi favoriser l’enrôlement d’« inouïs » et l’engagement participatif peut alors constituer un vecteur de reconnaissance (Honneth, 2000) pour s’inscrire dans une dynamique de politisation et d’émancipation des catégories populaires (Bachir, 2018 ; Gauthier, 2019). Reste que la démobilisation des conseillers citoyens (particulièrement importante chez les tirés au sort) est l’un des facteurs principaux de l’essoufflement du dispositif.

 

En finir avec le mythe de la démocratie participative ?

En conclusion, en dépit de l’ambition et de l’innovation dont il est porteur, le dispositif des conseils citoyens reproduit les causes de l’inertie de l’action publique en matière de démocratie participative. Élaborée pour résoudre la crise de l’offre publique de participation, la nouvelle instance constitue néanmoins une rupture dans l’histoire de la politique de la Ville par l’ambition et l’innovation portées par son cadre juridique et par son cadre de référence. Cette expérience témoigne peut-être des prémices d’une volonté politique de reconnaître des espaces citoyens indépendants constitués d’individus volontaires et de soutenir les initiatives qu’ils portent. Finalement, la lutte qui se fait jour entre changement et inertie dans les conseils citoyens rappelle la nature incrémentale des politiques de la participation (Gourgues, 2012) dans le contexte de la crise de la représentation. Alors, faut-il en finir avec le mythe de la démocratie participative qui ne parvient pas à réenchanter la politique (Desage et Godard, 2005 ; Gauthier, 2023) ?

Bibliographie

Arhip-Paterson, William ; Bilella, Mario et Petit, Guillaume. 2019. « Devenir conseiller citoyen. Prise de rôle dans un conseil citoyen parisien ». Participations 24 (2) : 139-66. https://doi.org/10.3917/parti.024.0139.

Bachir, Myriam. 2018. Et si les habitants participaient ? Entre participation et institutionnelle et initiatives citoyennes dans les quartiers populaires. Amiens : Éditions Licorne.

Bachir, Myriam et Lefebvre, Rémi. 2019. « La fabrique des publics de la participation : l’aléatoire et l’obligatoire dans la constitution des conseils citoyens à Amiens et Lille ». Participations 24 (2) : 167-94. https://doi.org/10.3917/parti.024.0167.

Bacqué, Marie-Hélène. 2015. « De la recherche à l’expertise et à l’engagement Retour sur une mission sur la participation dans la politique de la ville ». Sociologie 6 (4) : 401-16. https://doi.org/10.3917/socio.064.0401.

Bacqué, Marie-Hélène et Biewener, Carole. 2013. L’empowerment, une pratique émancipatrice. Paris : La Découverte.

Bacqué, Marie-Hélène et Demoulin, Jeanne. 2019. « Les conseils citoyens, beaucoup de bruit pour rien ? ». Participations 24 (2) : 5-25. https://doi.org/10.3917/parti.024.0005.

Bacqué, Marie-Hélène et Mechmache, Mohamed. 2013. Pour une réforme radicale de la politique de la Ville. Ça ne se fera plus sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, rapport au ministre délégué chargé de la Ville. https://vie-publique.fr/rapport/33298-pour-une-reforme-radicale-de-la-politique-de-la-ville (accès le 10.05.2022)

Barault-Stella, Lorenzo ; Gaïti, Brigitte et Lehingue, Patrick. 2019. La politique désenchantée ? Perspectives sociologiques autour des travaux de Daniel Gaxie. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Billen, Léa. 2019. « Conseil citoyen et projet urbain à Romainville : la co-construction, à quelles conditions ? ». Participations 24 (2) : 27-55. https://doi.org/10.3917/parti.024.0027.

Bellavoine, Christine et Blondel, Elsa. 2019. « De l’expression des points de vue à la co-construction des projets. Le travail des conseils citoyens à Saint-Denis ». Participations 24 (2) : 57-81. https://doi.org/10.3917/parti.024.0057.

Carrel, Marion. 2013. Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires. Lyon : ENS Éditions.

Casillo, Ilaria et Rousseaux, Daniel. 2019. Démocratie participative et quartiers prioritaires : réinvestir l’ambition politique des conseils citoyens, Commission nationale du débat publique (CNDP). https://vie-publique.fr/rapport/38047-democratie-participative-et-quartiers-prioritaires (accès le 03.10.2022).

Daquin, Alice ; Huet, Marine ; Lebian, Julien ; Martinais, Emmanuel et Martinez, Camille. 2019. « Des conseils citoyens inadaptés à la participation des jeunes ? Retour sur trois expérimentations dans des quartiers populaires de la périphérie lyonnaise », Participations 24 (2) : 83-109. https://doi.org/10.3917/parti.024.0083.

Delannoi, Gil. 2010. Le retour du tirage au sort en politique. Paris : Fondapol.

Della Porta, Donatella ; Font, Joan et Sintomer, Yves, dir. 2014, Participatory Democracy in Southern Europe. Causes, Characteristics and Consequences, Lanham : Rowman & Littlefield.

Delli Carpini, Michael ; Jacobs, Lawrence et Lomax Cook, Fay. 2009. Talking together. Public deliberation and political participation in America, Chicago : University of Chicago Press.

Desage, Fabien et Godard, Jérôme. 2005. « Désenchantement idéologique et réenchantement mythique des politiques locales », Revue française de science politique : 55 (4) : 633-61.
https://doi.org/10.3917/parti.024.0195.

Fontaine, Joseph et Hassenteufel, Patrick. 2015. To Change or not to Change ? Les changements de l’action publique à l’épreuve du terrain. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Gauthier, Yannick. 2019. « "Devenir quelqu’un". (Re)valorisation de l’identité sociale par les bénéfices symboliques de l’engagement participatif ». Participations 24 (2) : 111-137. https://doi.org/10.3917/parti.024.0111.

Gauthier, Yannick. 2023. « En finir avec le mythe de la démocratie participative ? Jeux d’échelles autour de la fabrique des conseils citoyens ». Thèse de science politique, Université de Lille (à paraître).

Gourgues, Guillaume. 2012. « Des dispositifs participatifs aux politiques de la participation. L’exemple des conseils régionaux français ». Participations 2 (1) : 30-52. https://doi.org/10.3917/parti.002.0030.

Honneth, Axel. 2000. La lutte pour la reconnaissance. Paris : Éditions du Cerf.

Louis, Jérémy. 2019. « Un contre-pouvoir financé par l’État ? Les tables de quartier, une expérimentation à mi-chemin entre dispositif institutionnel et mouvement social ». Participations 24 (2) : 195-216.
https://doi.org/10.3917/parti.024.0195.

Madelin, Bénédicte. 2019. « Évaluer les conseils citoyens : Pourquoi ? Comment ? Pour quels résultats ? Entretien avec Bénédicte Madelin, membre de la coordination Pas sans Nous ». Participations 24 (2) : 217-39. https://doi.org/10.3917/parti.024.0217.

Sintomer, Yves. 2007. Le pouvoir au peuple. Jury citoyens, tirage au sort et démocratie participative. Paris : La Découverte.

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