Définition de l'entrée

Sens 1 : Sentiment ou intuition que les gouvernants et les institutions agiront d’une certaine manière, en recherchant le bien commun de la société.

Sens 2 : Objectif déclaré par les promoteurs de mécanismes participatifs qui cherchent à rapprocher les citoyens et les gouvernants dans un univers relationnel caractérisé par la méfiance mutuelle.

 

Pour citer cet article :

Landau, M. (2022). Confiance. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/confiance-2022

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La confiance est une catégorie classique dans la pensée sociale et la philosophie politique, associé à l’attente que quelque chose se produise d’une certaine manière. L’absence ou la perte de confiance crée des relations sociales dominées par un certain degré de méfiance, au niveau interpersonnel, institutionnel ou sociétal. En termes politiques, la confiance renvoie au sentiment qu’ont les citoyens que les dirigeants et les institutions agiront dans le sens du bien commun plutôt que dans celui d’intérêts particuliers ou fallacieux. Au cours des dernières décennies, sur la base d’un diagnostic de méfiance croissante, les processus participatifs ont visé à générer des relations plus directes entre les gouvernants et les citoyens, dans le but de régénérer le lien de confiance mutuelle. Cependant, il n’y a pas d’accord sur le fait qu’ils produisent réellement l’effet désiré.

MÉFIANCE, ÉTAT ET PARTICIPATION

En termes sociales, la question de la confiance est liée à un paradoxe : lorsque nous nous demandons si nous faisons confiance, nous sommes déjà dans un univers où la confiance n’est pas absolue. En effet, si l’on fait confiance, on ne se pose pas la question, tout se passe comme si c’était totalement naturel. La « confiance » apparaît seulement si nous reconnaissons des attentes qui peuvent être déçues (Luhmann, 2001). D’après Luhmann, nos rapports aux attentes de la confiance sont de deux types. Dans le premier, nous pouvons être « sûrs » qu’elles ne seront pas déçues. Par exemple, même si nous reconnaissons le caractère non naturel du code de la route, nous sommes « sûrs » que chaque conducteur le respectera. Dans le second type, nous pouvons reconnaître des « risques » possibles, les évaluer et agir en conséquence. Par exemple, décider d’acheter ou de ne pas acheter une voiture d’occasion. Dans ce cas, il y a un engagement préalable. Si nous nous situons dans le premier type d’attente, nous sommes dans ce que Luhmann appelle la « confiance assurée ». Si nous nous trouvons dans le second, nous sommes dans la « confiance décidée ».

L’un des principes constitutifs du libéralisme est l’idée du choix individuel et rationnel. Cette caractéristique a d’importantes conséquences sur le plan de la confiance. Selon Luhmann, « le libéralisme politique et économique essaie de faire passer les attentes du rang de la confiance assurée à celui de la confiance décidée. En insistant sur la liberté de choix, le libéralisme met l’accent sur la responsabilité individuelle en matière de décision entre confiance et méfiance vis-à-vis des politiciens, des partis, des biens, des firmes, du personnel, du crédit, etc. » (2001, p. 23).

En raison de l’importance que le libéralisme accorde à la « confiance décidée », cette « confiance assurée » apparaît toujours en « crise » et les fonctionnaires font l’objet d’une « méfiance » permanente : les autorités sont dans l’obligation non seulement d’être compétentes techniquement et moralement, mais aussi d’être surveillées par les citoyens. Autrement dit, elles doivent accepter que l’une des caractéristiques des démocraties libérales soit la défiance des citoyens.

Cette défiance apparaît parce que, comme l’a souligné Rosanvallon, il y a dans la démocratie une dissociation entre légitimité et confiance. Alors que la première fait référence à la qualité juridique, la deuxième constitue un phénomène plus complexe qui ajoute une dimension morale (l’intégrité) et une dimension substantielle (la préoccupation pour le bien commun). Cette dissociation donne lieu à la « défiance démocratique », dont l’objectif est « de veiller à ce que le pouvoir élu reste fidèle à ses engagements, de trouver les moyens permettant de maintenir l’exigence initiale d’un service du bien commun » (Rosanvallon, 2008, p. 15).

Selon Rosanvallon, si l’on analyse l’histoire des démocraties, on s’aperçoit que celles-ci tendent non seulement à organiser un système électoral-représentatif mais aussi une série de contre-pouvoirs tendant à surveiller, contrôler et juger les autorités. C’est-à-dire que toute démocratie organise à son tour une contre-démocratie. Du point de vue de la confiance, l’existence de cette institutionnalisation de la défiance démocratique est tout à fait logique. En effet, si l’on fait confiance, on ne contrôle pas. C’est la raison pour laquelle pour quelques auteurs la méfiance est davantage institutionnalisée que la confiance (Quéré, 2005, p. 189).

Même s’il est vrai que dans toute l’histoire des démocraties libérales une « contre-démocratie » s’est constituée, à l’heure actuelle la défiance a atteint un niveau si élevé que Rosanvallon n’hésite pas à dire que nous vivons dans une « société de la méfiance ». Certaines recherches ont montré que la méfiance des citoyens à l’égard des politiciens et des dirigeants s’est accrue au cours du dernier demi-siècle (Pharr et Putnam, 2000; Dogan, 2003, 2005 ; Bréchon, 2004). À partir des années 1970, la littérature analyse la crise de la représentation et la montée des critiques sur la perte de capacité et de fidélité des pouvoirs publics à l’égard des citoyens (Zmerli and van der Meer, 2017). Ce processus s’est renforcé ces dernières années, suite à la crise de 2008, qui a eu un impact sur la capacité des gouvernements à répondre aux demandes des citoyens. Plus récemment, certains pays, comme la France, ont adopté des lois spécifiques pour promouvoir une relation de confiance entre les citoyens et les autorités publiques. (Loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un Etat au service d’une société de confiance).

CONFIANCE ET PROCESSUS PARTICIPATIFS

Deux « grands discours » sont mobilisés pour expliquer la défiance entre citoyens et gouvernants : l’argument, très répandu, de la crise de représentation et l’idée de l’inefficacité des modes de gestion étatiques centralisés et bureaucratisés. Face à ce « diagnostic », la participation est vue comme le remède idéal contre tous les maux de la démocratie : elle contribuerait à rendre l’État plus efficace et à reconstruire le lien de représentation entre gouvernants et gouvernés. De plus, la participation aurait une composante morale, parce que, à travers elle on pourrait construire de « meilleurs » fonctionnaires (« qui écoutent les citoyens ») et de « meilleurs » citoyens (« qui se préoccupent du bien commun et pas simplement de leurs affaires privées »).

C’est cette conception de l’origine de la défiance qui a conduit de nombreux auteurs à proposer des concepts tels que ceux de « capital social », de « good governance » ou « modern governance », d’« accountability » (Reddition de comptes) ou d’« empowerment » conçus comme des outils pour résoudre les problèmes liés aux rapports entre gouvernants et gouvernés. Tous tendent à créer l’idée que la participation citoyenne contribuerait à résoudre les problèmes liés à la perte de confiance des citoyens à l’égard des autorités publiques et à améliorer les actions de gouvernement.

Ces idées concernant la méfiance citoyenne sont souvent développées à partir du recours à une métaphore spatiale (Landau, 2009) : la perte de confiance dans les fonctionnaires proviendrait d’un « éloignement » par rapport à la société. Par conséquent, si la méfiance est liée à la « distance » on comprend que les recettes les plus populaires préconisent la nécessité d’un « rapprochement » entre autorités et citoyens, à partir d’une « démocratie de proximité » (Le Bart et Lefebvre, 2005).

Bref, la reconnaissance de la méfiance et le discours de la construction de la confiance sont à la base de l’univers créé à partir de la mise en place des processus participatifs (Rui et Villechaise-Dupont, 2006). Certains auteurs considèrent les processus participatifs comme des scénarios permettant de renforcer la confiance entre les citoyens et les gouvernements, sur la base de divers mécanismes de consultation, de diagnostics, de dialogues et de délibérations (Brugué, Feu Gelis et Güemes, 2018). Selon cette perspective, les processus participatifs contribuent à réduire la méfiance, fondée sur des liens directs entre les autorités publiques et les participants.

D’un autre point de vue, certains travaux ont montré à quel point dans les dispositifs participatifs la méfiance est partout (Rui et Villechaise-Dupont, 2005). Certaines associations participantes croient que les vraies décisions ne sont pas prises à partir des délibérations, mais que celles-ci sont une manière de « manipuler » les participants en vue de légitimer un choix déjà effectué sans participation. Les fonctionnaires pensent, dans certains cas, que les organisations participantes utilisent ces espaces pour se confronter avec le Gouvernement, boycotter la participation institutionnalisée et conduire les programmes à l’échec. De plus, ils doutent des capacités techniques des participants à travailler en collaboration avec eux.

Quelle que soit la perspective adoptée, la confiance, et son contraire la méfiance, sont ainsi constituées en catégories d’évaluation permanente des autorités publics utilisées par les individus impliqués dans des processus participatifs. Le rapport entre confiance et autorité est étroit. Comme l’a souligné Quéré (2005), étant donné que l’on ne peut pas connaître tous les domaines techniques, culturels, ou légaux constitutifs de nos sociétés, nous dépendons des autres et nous devons en remettre à eux. Cette relation d’autorité, qui organise une grande partie de la vie sociale dans des sociétés complexes, est mise en doute à partir du partage de savoirs avec les participants et l’évaluation permanente de leurs actions. La possibilité de participer étant ouverte à tous, les participants s’auto-proclament souvent représentants de l’intérêt général du quartier ou de la communauté et présentent leurs visions techniques particulières comme s’ils étaient liés à une idée universelle qui ne peut être discutée. Cette situation crée parfois une tension avec les autorités, parce que tout refus est perçu comme une méconnaissance des fonctionnaires concernant les propositions des participants.

Du fait de l’interaction quotidienne avec les fonctionnaires qui coordonnent les programmes, ils ne sont pas conçus, aux yeux des participants, comme une autorité anonyme qui incarne une fonction sociale, mais comme une personne connue et proche. En effet, dans l’univers de la participation institutionnalisée la confiance se présente dans un monde désobjectivé et personnalisé. De ce fait, dans certains cas, ce que les participants évaluent en termes de confiance, ce ne sont pas les résultats mais l’engagement des fonctionnaires par rapport à leurs demandes. Autrement dit, ils n’évaluent pas en termes de représentation d’un habitus de fonctionnaire, mais en termes de confiance personnelle. De plus, la confiance liée à la participation institutionnalisée est de court terme : elle se construit jour après jour. Chaque promesse que les autorités publiques font aux participants est très rapidement évaluée. Par exemple, l’engagement pris par un fonctionnaire dans une réunion publique d’un programme participatif est évalué à la réunion suivante.

En conclusion, les catégories de confiance et de méfiance constituent un instrument d’analyse très utile pour analyser l’univers relationnel constitué à partir de la mise en œuvre de divers processus participatifs.

Bibliographie

Bréchon, Pierre. (2004). « Crise de confiance dans les élites politiques ». Dans Le nouveau désordre électoral : Les leçons du 21 avril 2002. Sous la direction de Bruno Cautrès, 47-69, Paris : Presses de Sciences Po.

Brugué, Quim, Güemes, Cecilia et Gelis, Jordi Feu. (2018). « Confianza democrática y proceso de formulación de políticas públicas: el caso de la política hídrica de Cataluña ». Revista de Sociologia e Política 26 (67) : 129-152.

Dogan, Mattei. (2003). « Méfiance et corruption : discrédit des élites politiques ». Revue internationale de politique comparée 10 (3) : 415-432.

Dogan, Mattei. (2005). Political Mistrust and the Discrediting of Politicians. Leyde : Brill.

Le Bart, Christian et Lefebvre Rémi, dir. (2005). La Proximité en politique. Usages, rhétoriques, pratiques. Rennes : Presses universitaires de Rennes.

Landau, Matías. (2009). « La participación en las políticas públicas y los límites de la metáfora espacial». Política y cultura 30: 67-89.

Luhmann Niklas. (2001). « Confiance et familiarité. Problèmes et alternatives ». Réseaux 108 : 15-35.

Pharr, Susan et Putnam, Robert, dir. (2000). Dissaffected Democracies. What’s Troubling the Trilateral Countries?. New Jersey : Princeton University Press.

Quéré, Louis. (2005). « Les "dispositifs de confiance" dans l’espace public ». Réseaux 132 : 185-217.

Rosanvallon, Pierre. (2008). La Contre- démocratie. La politique à l’âge de la défiance. Paris : Seuil.

Rui, Sandrine et Villechaise Dupont, Agnès. (2006). « Les associations face à la participation institutionnalisée : les ressorts d’une adhésion distanciée ». Espaces et sociétés 123 : 21-36.

Zmerli, Sonja et van der Mer, Tom, édit. (2017). Handbook of political trust. Edward Elgar Publishing : London.

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