Définition de l'entrée

Formes d’auto-organisation de la société civile à l’échelle d’une communauté (souvent « espace géographique » et plus précisément « quartier populaire ») visant l’amélioration des conditions de vie et l’émancipation des personnes mobilisées.

Pour citer cet article :

Balazard, H. (2022). Community organizing. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/community-organizing-2022

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L’expression « community organizing » désigne, essentiellement en Amérique du nord et au Royaume-Uni, une grande variété de formes d’organisations collectives à l’échelle locale visant la participation des habitants à la vie de leur communauté. Les objectifs principaux des démarches du « community organizing » sont le développement du pouvoir d’agir des premiers concernés, l’amélioration de la qualité de vie des habitants mobilisés, la lutte pour la justice sociale et la valorisation de la rhétorique de la « communauté ». Leurs importances relatives sont variables selon les initiatives et les contextes. En France par exemple, la dernière dimension est souvent peu présente. Les différentes déclinaisons de ce processus dépendent également de ce qu’on entend par « community » - une zone géographique, un groupe ethnique ou une communauté d’intérêt - mais aussi des financements et du degré d’institutionnalisation. L’expression « community organizing » peut être traduite en français par l’expression « organisation communautaire », comme le font les québécois. D’autres préfèrent le terme d’« organisation de la collectivité » (Médard, 1966, 1). Une des premières tentatives de définition en français stipule qu’« il y a organisation communautaire, lorsqu’un expert cherche à introduire un changement social dans une communauté locale, en faisant participer la communauté à son propre changement ». Cette « expert·e » est souvent appelé·e « organisateur·rice » (« organizer » en anglais) et est généralement employé·e directement par la « community organization » pour y soutenir l’auto-organisation. Son rôle y est aussi central qu’ambigu (former, faciliter, agiter, conseiller, est-ce toujours en simple « soutien » à l’auto-organisation ?). Jean-François Médard (1966, 2)précise ensuite que cette « définition [est] provisoire car la réalité qu’elle cherche à cerner est mouvante et finalement personne ne semble savoir exactement ce qu’est l’organisation communautaire ». Cette dernière observation garde toute son actualité tant ses déclinaisons peuvent varier. Il y a ainsi un grand écart entre les missions de l’organisateur·rice suivant le modèle initié par Alinsky et celles des « community organizers » que David Cameron a voulu mettre en avant dans son programme intitulé « Big Society » - qui visait notamment le transfert de la gestion de services publiques locaux vers des associations d’habitants (Balazard et Fisher, 2016).

Origine et déclinaisons du community organizing dans le monde anglo-saxon

Alinsky a mis en œuvre et théorisé à travers ses ouvrages sur le « community organizing »  (Alinsky, 1946, 1972), la création de contre-pouvoirs capable de défier et de faire rendre des comptes aux élites politiques et économiques d’un territoire. Il est d’ailleurs souvent désigné comme le père du « community organizing ». Mais en réalité l’utilisation du terme peut renvoyer à des pratiques très différentes voire antérieures à celles de cet « organisateur » de Chicago. Dans le domaine du travail social, le « community organizing » s’est développé en tant que discipline à part entière depuis les premières « settlement houses » de Jane Addams (Trolander, 1982). On parle alors de « travail social communautaire », voire de « développement social local ». Dans le domaine du syndicalisme, les « community unions » et le travail de César Chavez au sein de l’United Farm Workers Organizing Committee se réfèrent au « community organizing ». L’ONG française ReAct  utilise ainsi les méthodes du « community organizing » pour construire des contre-pouvoirs citoyens aux entreprises multinationales (en alliant riverains et travailleurs des différents pays concernés). Finalement, l’usage hétérogène du terme « community organizing » illustre le besoin de renouveler les formes de démocratie mais finit, en tout cas dans les pays anglo-saxons, par englober un ensemble de pratiques relativement disparates, à l’image du destin de la notion sœur d’empowerment. En considérant la variable de la nature de la participation à la gouvernance visée par l’action d’une « community organization », deux grandes tendances sont identifiables (Fisher et Shragge, 2007).

D’un côté, on distingue le « community organizing » d’interpellation. Il peut s’agir d’organisations réunissant des individus (cf. ACORN ou des mouvements autour de la défense des droits d’un groupe particulier comme ce fut le cas pendant le mouvement des droits civiques) ou divers groupes de la société civile préexistants sur un territoire (congrégations religieuses, associations, écoles, syndicats…), on parlera alors de « Broad Based Community Organizing » ou de « faith-based organizing » quand elles ne regroupent que des organisations religieuses (cf. les réseaux d’organisations nord-américaines tels l’Industrial Areas Foundation fondée par Alinsky, le Pacific Institute of Community Organization, la Gamaliel Foundation et le Direct Action and Research Training Center ou encore Citizens UK au Royaume-Uni ). Le « community organizing individuel » nécessite un travail de mobilisation (souvent en porte-à-porte) plus important que dans le cas du « broad-based organizing » puisqu’il ne peut s’appuyer sur les relations préexistantes dans les collectifs adhérents. Ses différentes déclinaisons se distinguent selon leurs relations avec les mouvements sociaux et l’affichage ou non d’une perspective idéologique (Talpin, 2016). Toutes ces organisations d’interpellation sont, par principe, indépendantes des pouvoirs locaux privés comme publics afin de pouvoir exercer un véritable contre-pouvoir en utilisant et développant la capacité d’action des habitants mobilisés par des « organisateurs » professionnels. Elles ont comme objectif principal la lutte pour la justice sociale et comme moyens, l’interpellation des pouvoirs en place, la réclamation de comptes (« accountability ») et la proposition de solutions. Elles s’inspirent toutes plus ou moins directement du modèle mis en avant par Alinsky, en suscitant délibérément le conflit avec le système politique et économique, à des degrés divers, pour réaliser le changement visé. Elles visent à démocratiser la gouvernance des villes où elles sont présentes et considèrent généralement leur processus de décision interne – basé sur des assemblées, réunions et entretiens en tête à tête et qualifié de « démocratie consensuelle » (Warren, 2001, 226) - comme une étape nécessaire à l’avènement de cet objectif. A l’intérieur de cet ensemble, notons que les thématiques abordées et les publics mobilisés peuvent varier tout comme les stratégies adoptées vis-à-vis de la politique partisane ou les objectifs en matière d’émancipation individuelle des participants. L’une des campagnes emblématiques de ce mouvement (en partenariat avec des syndicats) prône la mise en place d’un salaire et de conditions de travail décentes (« Living Wage »). De nombreuses campagnes se battent pour des enjeux locaux d’accès aux services publics (d’éducation, de santé etc..) et à des logements décents, de lutte contre la pollution autour des écoles ou encore d’accueil de réfugiés). Les analyses distinguent ainsi des organisations purement « alinskienne » de celle plus « freirienne », où le développement des compétences et de la reconnaissance individuelle sont prioritaire à la réussite des actions politiques (Gray, 2010, 954).

De l’autre côté, on identifie le « développement communautaire » (ex : les Community Development Corporations dans le secteur du logement, les settlement houses dans le domaine du travail social). A titre d’exemple de fonctionnement du « community development », une CDC développe dans un quartier populaire des logements et des propriétés commerciales qui permettent de remplir sa mission de développement communautaire, comme offrir des services de développement économique tels que des prêts aux petites entreprises et de créer d’autres programmes et services, voire mener des campagnes, qui aident à améliorer la qualité de vie des habitants. Le conseil d’administration d’une CDC est en grande partie composée d’habitants de ce quartier et de ces logements.

 Ces organisations proposent souvent à la fois la construction d’un sens de la communauté (« community building » (Fisher et Shragge, 2007, 196)) et la gestion de service de proximité. Elles visent généralement à ce que les habitants impliqués ne participent pas seulement à la prise de décision mais aussi qu’ils contribuent à la réalisation des projets adoptés. Elles peuvent être liées aux expériences plus contestataires de « community organizing » quand celles-ci évoluent vers la cogestion d’un programme qu’elles auraient contribué à mettre en place. Elles peuvent également résulter d’une initiative citoyenne locale soutenue par des politiques publiques (ex : le Social Security Act en 1935, le Community Action Program de 1964 ou les Empowerment Zone aux Etats Unis, le New Deal For Communities ou le Big Society program au Royaume-Uni). Dans les politiques publiques des pays anglo-saxons comme dans les organisations internationales comme la Banque Mondiale, le « community organizing », est souvent accolé à la notion d’ « empowerment », et est mis en avant en tant que technique d’auto-organisation de la société civile pour palier au faible ngagement des autorités publiques en matière de réduction de la pauvreté, de sécurité, de logement et de développement économique.

Ces deux tendances, aussi concomitantes puissent-elles être, sont en tension. La rhétorique de la responsabilisation de la « community » est ambivalente. Elle peut être utilisée à la fois par ceux qui prônent un plus grand pouvoir de la société civile pour revendiquer plus de justice sociale et environnementale, et par ceux qui sont porteurs d’une conception critique des institutions publiques et de l’état providence. Cette « tension » renvoie au débat portant sur les devenirs des actions collectives contestataires, entre « institutionnalisation et contre-pouvoir » (Bacqué, 2005).

Une importation en France pour répondre aux grands défis démocratiques

De nombreux projets de participation des habitants rencontrent souvent une grande difficulté à mobiliser les habitants et à aboutir à des changements concrets. Face à ces limites, le « community organizing » d’interpellation représente un moyen innovant pour mobiliser un large nombre et une diversité d’individus et pour obtenir des changements sur des problématiques telles que le logement, les salaires, l’emploi, la sécurité ou l’exclusion politique. En France comme dans d’autres pays, on observe un intérêt grandissant pour ce modèle d’émancipation de la société civile. Il est dû à l’« effet Obama », qui fut lui-même « community organizer » à Chicago, mais aussi aux limites de la politique de la ville et aux frustrations exprimées par les professionnels de la participation comme du travail social.

C’est premièrement la démarche d’interpellation des décideurs par les premiers concernés qui a motivé l’importation du « community organizing » au Royaume-Uni à partir des années 1990 puis en France à partir de 2010 (Balazard, 2015). London Citizens, une « Broad-Based Community Organization », a été créé en 1996 et s’est maintenant développée sous le nom de Citizens UK dans de nombreuses villes du pays. En France, Plusieurs structures s’inspirent directement du « community organizing » en France comme les « Alliances Citoyennes » construites sur le modèle de l’organizing individuel qui se sont développées à Grenoble à partir de 2010 puis Aubervilliers et Lyon, mais aussi « Si on s’alliait » à Rennes ou encore l’association « Organisez-vous » qui accompagne des collectifs, associations ou syndicats pour « mener des mobilisations qui s’inscrivent dans la durée et mènent à la victoire ». L’Institut Alinsky cherche dans le même sens à « partager les méthodes d’organisation des communautés d’habitants et usagers-citoyens qui permettent de transformer la démocratie »

 Elles visent l’émergence de collectifs intermédiaires entre l’individu d’un côté, et l’État et le marché de l’autre. Les habitants, soutenus par des organisateurs (« community organizers »), façonnent leur propre agenda politique et demandent des comptes aux élites économiques et politiques du territoire sur lequel ils s’organisent afin d’obtenir des améliorations concrètes de leurs conditions de vie. Ils contribuent ainsi à faire vivre la « démocratie d’interpellation ».

C’est également la démarche d’ « aller vers » les personnes les plus éloignées de la politique qui intéresse également. Le « community organizing » est notamment présenté comme une manière de remobiliser les habitants des quartiers populaires (Talpin, 2016). Ici, contrairement aux « artisans de la participation » qui interviennent auprès de commanditaires institutionnels pour « faire participer les habitants » (Carrel, 2013), les organisateurs sont directement employés par les membres, les « habitants » mobilisés par une « community organization ».

La capacité mobilisatrice de ces méthodes suscite même l’intérêt de représentants de collectivités locales ou de partis politiques qui y voient un moyen pour dynamiser la démocratie locale ou refonder la base d’un parti. Dans ces cas, l’essentiel est parfois mis de côté, à savoir le fait que le principe de base du « community organizing » est l’auto-organisation des habitants. Ce n’est pas un dispositif de mobilisation descendant, institutionnel ou partisan. Les habitants s’organisent entre eux pour décider de la façon de résoudre les problèmes qu’ils rencontrent. Mais une fois ce principe énoncé, il n’en reste pas moins ambigu. En effet, que signifie résoudre les problèmes rencontrés ? Jusqu’à quel degré d’autonomie ? A quel point est-il possible pour un·e organisateur·rice d’accompagner l’émancipation des membres d’une organisation sans recréer des relations de dominations ?  A quel point ces démarches permettent de remonter à la racine de ces problèmes et à des causes plus structurelles ? Les différentes pratiques du « community organizing » sont au cœur de ces enjeux.

Bibliographie

Alinsky, Saul. 1946. Reveille for radicals, New York: Vintage Books.

Alinsky, Saul. 1971. Rules for radicals : a practical primer for realistic radicals, New York: Vintage Books.

Bacqué, Marie-Hélène. 2005. « Action collective, institutionnalisation et contre-pouvoir : action associative et communautaire à Paris et à Montréal ». Espaces et sociétés, 123 (4), p. 69-84.

Balazard, Hélène. 2015. Agir en démocratie. Ivry-sur-Seine : Les éditions de l’atelier.

Balazard, Hélène et Robert Fisher. 2016. « Community organizing, pansement aux politiques néolibérales ou révolution lente ? ». Mouvements : des idées et des luttes, La découverte, 85 (1), pp.105.

Carrel, Marion. 2013. Faire participer les habitants ? Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, Lyon, ENS éditions, coll. « Gouvernement en question(s) ».

Fisher, Robert et Eric Shragge. 2007. « Contextualizing community organizing ». Dans Transforming the City: Community Organizing the Challenge of Political Change. Sous la direction de Marion Orr, Lawrence : University Press of Kansas.

Gray, Margaret. 2010. « Why David Sometimes Wins: Leadership, Organization, and Strategy in the California Farm Worker Movement. By Marshall Ganz. New York: Oxford University Press, 2009. 368p. Streetwise for Book Smarts: Grassroots Organizing and Education Reform in the Bronx. By Celina Su. Ithaca, NY: Cornell University Press, 2009. 264p. » Perspectives on Politics, 8 (3). p. 952-954.

Médard, Jean-François.1966. L’organisation communautaire aux États-Unis, Thèse de science politique, Bordeaux, Université de Bordeaux.

Talpin, Julien. 2016. Community organizing. De l'émeute à l'alliance des classes populaires aux Etats-Unis. Paris : Raisons d'agir, series: « Cours et travaux ». 320 p.

Trolander, Judith Ann, « Social Change: Settlement Houses and Saul Alinsky, 1939-1965 »,. Social Service Review, 56 (3), 1982, p. 346-365.

Warren, Mark. R., Dry bones rattling: community building to revitalize American democracy, Princeton, Princeton University Press, 2001.

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