Définition de l'entréeUn comité de ligne est une instance consultative, mise en place par un conseil régional, réunissant sur un axe ferroviaire ou une zone de déplacements divers acteurs, tels que les élus locaux, les usagers (individuels ou représentants associatifs) ou les syndicats cheminots, dans le but (très vaste) de débattre de l’aménagement de l’offre de transport régional. Plusieurs réunions dans l’année, préparées et animées par les services techniques des régions et de la SNCF, souvent présidées par un élu régional référent, permettent ainsi d’aborder les questions d’horaires, de correspondance, d’information, de sécurité en gare ou de perturbations diverses du trafic.
Pour citer cet article :Gourgues, G. (2013). Comité de ligne. In I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, & D. Salles (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/comite-de-ligne-2013
Citer La trajectoire politique et les principales caractéristiques de ce « dispositif participatif » en font un exemple particulièrement marquant de l’ambiguïté politique de ce type de mécanisme tourné vers les « usagers ». Cette ambiguïté concerne autant le marquage partisan que les ambitions attachées à sa mise en œuvre.
De la droite à la gauche… histoire d’un consensus
L’origine des comités de ligne remontent au balbutiement de la régionalisation des transports ferroviaires. Le conseil régional d’Alsace, qui compte parmi les autorités organisatrices en charge d’expérimenter la gestion des transports ferroviaires régionaux en lieu et place de l’État et en partenariat avec la Société nationale des chemines de fer français (SNCF), décide au cours de l’année 1997 d’adopter un dispositif de concertation ouvert notamment aux « usagers ». La majorité de centre-droit qui dirige alors le conseil régional ambitionne de « moderniser » le service public dont elle a la charge à titre expérimental. Le dispositif, nommé comités locaux d’animation de ligne (CLAL), établit les grands principes de ce que deviendront les comités de ligne quelques années plus tard. Il repose sur trois principes. Premièrement, les CLAL associent les élus de collectivités présentes sur la ligne, les usagers « et/ou » organisations représentatives d’usagers, les transporteurs routiers de voyageurs et les représentants syndicaux de la SNCF. Deuxièmement, les CLAL sont conçus comme des lieux « d’expression et d’écoute », permettant de saisir les « besoins de déplacement à satisfaire ». Troisièmement, le lien entre comités de ligne et décision suit une même « procédure » : l’animation est confiée à un élu désigné, qui fixe le calendrier et l’ordre du jour, la préparation est à la charge des techniciens de la SNCF et de la région, les réunions portent sur la modification de l’offre de transport (ponctualité, arrêts, horaires), les propositions du CLAL doivent être « dans des délais raisonnables, en respectant les contraintes financières du conseil régional », et des comptes-rendus garantissent le suivi d’informations. Entre 1997 et 2000, l’expérience des CLAL est peu à peu reconnue et suivie par d’autres régions (cinq conseils régionaux adoptent des dispositifs de concertation inspirés des CLAL). En 2002, la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), pilotée par le ministre communiste Jean-Claude Gayssot, généralise la prise de compétence ferroviaire de l’ensemble des régions françaises et entérine à cette occasion la possibilité pour les nouvelles autorités organisatrices d’adopter ce dispositif, appelé à présent « comité de ligne » (art. 135). Malgré le peu de précisions législatives quant aux modalités concrètes du dispositif, toutes les régions se dotent de comités de ligne entre 2002 et 2008 (l’Île-de-France est la dernière en date). Le dispositif, apparu à l’initiative de la droite alsacienne, entre peu à peu dans le répertoire d’action de l’ensemble des majorités régionales de gauche-plurielle. Les élections régionales de mars 2004, qui marquent l’arrivée au pouvoir de ce type de majorité dans la quasi-totalité des régions, est en cela un tournant. Les engagements ponctuels et épars des conseils régionaux font place à la généralisation du dispositif, même si chaque système de comités de ligne est marqué par ses spécificités (Courivault, 2006). Ainsi, de région en région, les principes de fonctionnement varient, sans pour autant remettre en cause le modèle alsacien : certaines régions tentent d’imposer une représentation d’usagers hors association, d’autres privilégient l’intégration du secteur scolaire ou des chambres de commerce. Le découpage territorial se fait tantôt par bassin de déplacement (ou de vie) ou par axe ferroviaire, la cadence des réunions peut être bisannuelle ou trisannuelle. Quelques comités de ligne font alors figure d’exemple, du fait de leur ampleur et de l’institutionnalisation de leur fonctionnement, comme ceux de Rhône-Alpes ou Nord-Pas-de-Calais. Management et/ou démocratisation de l’action publique : des légitimations entremêlées
La question des « ambitions » des comités de ligne fournit un exemple caractéristique des dispositifs participatifs observés dans l’organisation des services publics : ils sont, dans le même temps, interprétés comme des outils managériaux, permettant d’améliorer l’efficacité de l’action publique et des espaces de démocratie, potentiellement vecteur d’une participation d’acteurs (usagers, voire « citoyens ») jusqu’alors exclus de la définition des politiques de transport. Ces deux lectures constituent à la fois deux discours devant nécessairement être relativisés, mais n’en demeurent pas moins des lectures défendues par des acteurs politiques qui cherchent à légitimer leur attachement au dispositif. Dans un premier temps, le fonctionnement des comités de ligne ne peut être assimilé stricto sensu ni à un outil managérial, ni à un espace de démocratie. L’action publique ferroviaire est-elle mieux managée grâce au comité de ligne ? L’étude des effets du dispositif ne permet pas de répondre de manière convaincante à cette question. Certes, les comités de ligne ont permis d’instaurer un dialogue inédit entre les opérateurs (SNCF et RFF [Réseau ferré de France], qui s’intègre timidement mais progressivement à l’exercice), la région, les usagers et les syndicats de cheminots (peu à peu convaincus de l’intérêt de ces instances), mais les effets de ce dialogue ne peuvent être pensés comme une simple « amélioration » de l’action publique. Ces effets doivent être saisis à partir du fonctionnement plus large de la politique régionale des transports : ils permettent ainsi d’exercer une pression en faveur de la production d’informations sur l’état et la gestion du réseau ferroviaire (contre le monopole d’expertise de la SNCF), participent de l’affirmation des politiques proprement régionales face à ses partenaires, provoquent un repositionnement du secteur associatif de défense des usagers et peuvent même être perçus comme une instance de « dépolitisation » du débat sur les transports régionaux, en privilégiant une discussion technique autour de l’exploitation du système plutôt qu’une arène de mise en débat des choix de gestion, opposant monopole et mise en concurrence des opérateurs (Gourgues, 2007, 2011, 2012). La participation publique sort-elle renforcée des comités de ligne ? Là encore, rien n’est moins sûr. En ne retenant qu’un critère (basique) « d’élargissement » du public, on ne peut que constater que les comités de ligne se limitent bien souvent à un « noyau dur » de participants, composé essentiellement d’élus locaux, de représentants associatifs et de syndicalistes. Si la constitution de ce type de « noyau » est un classique des dispositifs participatifs (Talpin, 2008), son existence révèle que les ambitions « démocratiques » des comités demeurent limitées. En effet, si les conseils régionaux tentent à intervalle régulier d’attirer les usagers individuels, atomes citoyens dont la participation est en permanence « souhaitée », c’est bien la stabilité de la participation du noyau dur qui prime, puisqu’elle permet d’obtenir les effets précédemment évoqués, et ce malgré l’absence de nombreux « publics » (étudiants, salariés, etc.). Au final, les comités de ligne correspondent à un élargissement relatif du cercle des acteurs de la négociation entourant la gestion du système de transport régional, tout en restant potentiellement accessibles aux usagers sans pour autant garantir leur présence. Dans un second temps, la compréhension des limites des objectifs managériaux et démocratiques n’empêchent pas, loin sans faut, les acteurs politiques de puiser dans les deux registres argumentatifs pour justifier leur intérêt pour les comités de ligne. En Alsace, région de naissance des comités, c’est bien la velléité managériale qui est mise en avant, les comités de ligne devant permettre d’aligner l’action publique sur une gestion d’entreprise (enquête satisfaction, étude de marché). Si la loi SRU reste discrète sur les justifications de la mise en place des comités, ces derniers sont, au fur et à mesure de leur diffusion, progressivement (re)définis comme des expériences « participatives » françaises, non seulement par les majorités de gauche plurielle mais également par les observateurs militants de la participation publique (Boual et Brachet 2004). Encore aujourd’hui, les comités de ligne sont présentés comme « autant de lieux de démocratie participative » et comme des leviers de « gestion dynamique du réseau ferroviaire ». L’utilisation de ces registres de légitimation ne dépend pas d’une identification partisane ; ils s’avèrent caractéristiques d’une idéologie territoriale, valorisant l’idéal de « gestion » auquel peuvent éventuellement venir se greffer des ambitions démocratiques (Arnaud, Le Bart, et al. 2006). Toutefois, la pluralité de ces discours s’accompagnent du maintien du dispositif, et ce quelque soit les régions et les configurations politiques locales. L’usage de la technologie de participation que représentent les comités de ligne s’impose malgré l’ambivalence politique dans laquelle elle demeure. BibliographieARNAUD L., LE BART C., et al. (dir.), 2006, Idéologies et action publique territoriale : la politique change-t-elle encore les politiques ?, Rennes, Presses universitaires de Rennes, « Res Publica ». BARONE S., 2008, Le Train des régions. Régionalisation des transports collectifs et recompositions de l’action publique, thèse de science politique, université de Montpellier 1. BOUAL J-C., BRACHET P. (dir.), 2004, Évaluation et démocratie participative. Acteurs ? Méthodes ? Buts ?, Paris, L’Harmattan. COURIVAULT D., 2006, Les Instances de concertation sur les transports régionaux, Paris, Fédération nationale des associations d’usagers des transports. GOURGUES G., 2007, « Comprendre la différenciation par la concertation », in OLLIVER-TRIGALO M. (dir.), Six régions à l’épreuve des politiques de transport, synthèse INRETS, no 55, p. 111-132. GOURGUES G., 2011, « À quoi servent les comités de lignes TER ? », Territoires, no 518, p. 10-13. GOURGUES G., 2012, « Des dispositifs participatifs aux politiques de la participation. L’exemple des conseils régionaux français », Participations, no 2, p. 30-52. OLLIVER-TRIGALO M. (dir.), 2007, Six régions à l’épreuve des politiques de transport, synthèse INRETS, no 55. TALPIN J., 2008, « Pour une approche processuelle de l’engagement participatif : les mécanismes de construction de la compétence civique au sein d’institutions de démocratie participative », Politique et Sociétés, vol. 27, no 3, p. 133-164.