Définition de l'entrée

La co-création désigne l’implication de différents types d’acteurs (publics, privés, citoyens…) dans l’élaboration d’un projet d’innovation publique ou privée.

Pour citer cet article :

Tisserand, C. (2023). Co-création. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/co-creation-2023

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Sens et usages de la co-création

Initialement utilisée en marketing pour désigner l’implication des consommateurs dans le développement de services ou de produits du secteur privé (Prahalad et Ramaswamy, 2004), la notion est de plus en plus utilisée pour qualifier l’implication des citoyens dans l’amélioration des services publics. Plus marginalement, le terme est aussi utilisé dans les arts pour désigner le processus de création collective d’une œuvre qui s’étend de son élaboration à sa réception, et mêle différents acteurs, de l’artiste à son public.

La co-création est promue par les décideurs privés et publics comme un moyen de développer de meilleurs produits ou services grâce à l’engagement des bénéficiaires, et par extension de résoudre tous types de problèmes, faisant d’elle un « concept magique » (Voorberg, Bekkers, et Tummers, 2015). Dans le secteur privé, la co-création est en effet présentée comme un moyen de gagner en compétitivité et en efficacité, et de créer de la valeur tout en acquérant une connaissance plus fine du marché. Dans le secteur public, les discours portent davantage sur le faible coût des démarches de co-création dans un contexte d’austérité et sur sa capacité à proposer une meilleure qualité de service aux citoyens. Le transfert de la co-création du secteur privé au secteur public est facilité par le nouvel « esprit startup » (Célérier et Arfaoui, 2021) et entrepreneurial sur lequel reposent les dernières politiques de transformation publique qui vont puiser dans les milieux de l’innovation et des nouvelles technologies des outils et méthodes jugés « disruptifs » et plus efficaces.

Dans la littérature, le terme co-création connaît plusieurs acceptions et est parfois utilisé indifféremment d’autres mots tels que co-design ou co-production. Au gré des disciplines, les contours de la co-création sont alors redéfinis en contraste d’autres notions. En design par exemple, la co-création renvoie à un « acte de créativité collective » (Sanders et Stappers, 2008), dont le co-design serait une forme particulière qui intervient tout au long du processus de design (Ibid.). Dans la littérature sur le marketing, si co-création et co-production sont souvent utilisés comme synonymes, un certain nombre de travaux ont tenté de les distinguer. Ainsi, la co-production renverrait à un processus davantage centré sur les bénéfices de l’entreprise (Chathoth et al., 2013), alors que la co-création suppose un échange plus équilibré de ressources entre entreprises et consommateurs dans une interaction qui se poursuit dans le temps et ne se limite pas à la phase de création (Leclercq, Hammedi et Poncin, 2016).

En sciences de l’administration, Christopher Ansell, Eva Sørensen, et Jacob Torfing (2023), conçoivent la co-création comme « l’implication, centrée sur la résolution de problèmes, de multiples acteurs dans le design et l’implémentation de nouvelles solutions publiques » [traduction de l’autrice]. Leur définition met l’accent sur deux dimensions : d’abord, le fait que la co-création soit mise au service de la résolution de problèmes ; ensuite, qu’elle permette de faire émerger des solutions nouvelles.

Ces quelques points de définition ne sont pas exhaustifs, mais mettent en lumière les éléments pris en compte pour qualifier une situation de co-création, à savoir le type d’acteurs impliqués (ensemble d’acteurs divers, des citoyens aux entreprises), le type de relation qui les lie (échange équilibré entre les acteurs) et les dimensions créative et générative de la démarche. La co-création débouche en effet sur la création d’innovations – au sens d’un produit ou service nouveau – et la création de valeur. Si cette dernière prend des sens variables en fonction des cas étudiés, la littérature met généralement en avant la valeur économique retirée par les organisations et la valeur perçue par les bénéficiaires. En outre, la co-création de valeur publique peut référer à une amélioration du système administratif, des services publics ou encore de l’engagement citoyen.

La co-création, un futur souhaitable pour la démocratie ?

La co-création s’impose comme une forme d’implication de plus en plus plébiscitée dans le secteur public. Il suffit de faire un détour sur les sites des Ministères du gouvernement français pour voir partout fleurir le terme co-création, adossé aux mots « design », « innovation », ou encore « numérique », promouvant l’engagement des citoyens dans les projets d’innovation et de transformation publiques tels que le déploiement de nouveaux services numériques ou la mise en place de living labs. La co-création – ou la co-construction, terme utilisé par ses promoteurs publics comme synonyme, en l’occurrence pour désigner l’implication d’une variété d’acteurs – apparaît comme un moyen de moderniser les services publics à moindre coût en s’appuyant sur les ressources apportées par les citoyens, acteurs publics et privés.

Dans leur récent article intitulé « The democratic quality of co-creation : A theoretical exploration », Christopher Ansell, Eva Sørensen et Jacob Torfing (2023) décrivent la co-création comme une forme souhaitable de démocratie « centrée sur l’action » [traduction de l’autrice] qui favoriserait une meilleure implication tant des citoyens que des acteurs privés dans la composition des agendas politiques, les prises de décision et leur mise en œuvre. Elle serait ainsi vectrice d’une gouvernance plus démocratique caractérisée par une meilleure distribution des ressources, des compétences et du pouvoir entre les acteurs de la société.

De citoyen à créateur de valeur

Les récents travaux en STS (science and technology studies) apportent un éclairage plus mitigé sur la question, interrogeant les effets de ce mode de participation sur les citoyens. Ainsi, une analyse des politiques de recherche et d’innovation de la Commission Européenne a par exemple montré que celles-ci avaient pris un nouveau tournant au cours des années 2010 : les citoyens, jusqu’alors présentés comme des acteurs à impliquer dans la gouvernance des sciences et des technologies, sont désormais conçus comme des contributeurs potentiels à l’innovation (Macq, Tancoigne et Strasser, 2020). Les discours présentent la co-création comme une « opportunité » pour les publics, qualifiés à la fois de citoyens, d’utilisateurs et de consommateurs, de se mettre dans une posture active rapprochée de celle de la figure de l’entrepreneur (Ruess, Müller et Pfotenhauer, 2023). Les recherches pointent le fait que ces transformations conduisent à la fois à transférer la responsabilité aux acteurs co-créateurs (Ibid.), et à sortir progressivement les citoyens des espaces de débat et de prise de décision. En effet, même si l’on peut considérer qu’ils participent à concevoir une vision du monde et du futur lorsqu’ils co-créent une innovation, les projets sur lesquels ils sont mobilisés sont généralement pré-définis par les organisateurs, laissant peu de place au débat. Considéré comme un acteur au potentiel créatif si ce n’est innovant, en plus d’être prêt à s’engager gratuitement dans le développement de nouveaux services pour des acteurs publics ou privés, le citoyen devient un créateur de valeur dont le pouvoir politique se voit de facto diminué.

Le rôle politique des entreprises 

Si l’implication des acteurs privés est souvent mise en avant comme un moyen d’avoir accès à davantage de ressources pour innover dans un contexte d’austérité pour le secteur public, elle contribue aussi à donner aux entreprises un rôle politique qu’il convient d’examiner (Tisserand, 2021). Tantôt les entreprises sont incitées à développer de nouveaux services pour les citoyens, leur déléguant ainsi le devoir de répondre à leurs besoins et de contribuer à la résolution de problèmes publics ; tantôt elles sont incitées à organiser elles-mêmes les espaces de co-création. Cette dernière dynamique participe à la transformation des compétences et expertises détenues par les professionnels de la participation. L’un dans l’autre, les rôles qui incombaient jusqu’alors aux autorités publiques se retrouvent entre leurs mains, ce qui pose la question de leur accountability – leur responsabilité de rendre des comptes – face à la société.

Les vertus démocratiques de la co-création : une question en suspens

Sur le papier, la co-création promet un bel avenir à la démocratie en assurant l’implication conjointe d’une variété d’acteurs dans la création de solutions nouvelles pour répondre aux problèmes publics.

Le fait qu’elle soit encouragée tant dans le secteur public que privé rend toutefois la frontière ténue, brouillant le sens donné au rôle du citoyen et à la valeur de son engagement. De plus, comme le soulignent Christopher Ansell, Eva Sørensen et Jacob Torfing (2023), la réalisation du potentiel démocratique de la co-création suppose d’être vigilants sur la bonne distribution des pouvoirs et des ressources, ainsi que sur la transparence et l’inclusivité de la démarche. Dans le cas contraire, celle-ci s’exerce en huis clos et est trop facilement soumise aux seuls intérêts des acteurs en présence, notamment privés.

Face à l’appel toujours plus pressant d’innover par la co-création, il semble urgent de poursuivre les réflexions sur les « côtés obscurs » [traduction de l’autrice] de la co-création et les moyens pratiques de sa mise en œuvre (Ibid.).

Bibliographie

Ansell, Christopher, Sørensen, Eva, Torfing, Jacob. 2023. « The democratic quality of co-creation: A theoretical exploration ». Public Policy and Administration, Online First. https://doi.org/10.1177/09520767231170715

Célérier, Laure, et Arfaoui, Mehdi. 2021. « La start-up comme nouvel esprit de l’action publique : Enquête sur la startupisation de l’action publique et ses contraintes ». Gouvernement et action publique, 10, 43-69. https://doi.org/10.3917/gap.213.0043

Chathoth, Prakash, Altinay, Levent, Harrington, Robert James, Okumus, Fevzi, Chan, Eric S. W. 2013. « Co-production versus co-creation: A process based continuum in the hotel service context ». International Journal of Hospitality Management, 32, 11-20. https://doi.org/10.1016/j.ijhm.2012.03.009.

Delvenne, Pierre, et Macq, Hadrien. 2019. « Breaking Bad with the Participatory Turn? Accelerating Time and Intensifying Value in Participatory Experiments ». Science as Culture. https://doi.org/10.1080/09505431.2019.1668369

Leclercq, Thomas, Hammedi, Wafa, et Poncin, Ingrid. 2016. « Dix Ans de Co-Création de Valeur : Une Revue Intégrative ». Recherche et Applications En Marketing, 31(3), 29–66.

Macq, Hadrien, Tancoigne, Élise, et Strasser, Bruno J. 2020. « From Deliberation to Production: Public Participation in Science and Technology Policies of the European Commission (1998–2019) ». Minerva 58, 489–512. https://doi.org/10.1007/s11024-020-09405-6

Prahalad, Coimbatore Krishna, et Ramaswamy, Venkat. 2004. The Future of Competition: Co-Creating Unique Value with Customers. Boston: Harvard Business School Press.

Ruess, Anja K., Müller, Ruth, et Pfotenhauer, Sebastian. 2023. « Opportunity or responsibility? Tracing co-creation in the European policy discourse », Science and Public Policy, 50(3), 433–444. https://doi.org/10.1093/scipol/scac079

Sanders, Elizabeth B.-N., et Stappers, Pieter Jan. 2008. « Co-creation and the new landscapes of design », CoDesign, 4(1), 5-18. https://doi.org/10.1080/15710880701875068

Tisserand, Carole-Anne. 2021. « La redéfinition du rôle politique de l’entreprise à travers l’impératif public d’innovation ''partenariale'' ». Entreprises et histoire, 104, 129-141. https://doi.org/10.3917/eh.104.0129

Voorberg, William H., Bekkers, Viktor JJM, et Tummers, Lars G. 2015.  « A systematic review of co-creation and co-production: Embarking on the social innovation journey ». Public management review 17(9), 1333-1357. https://doi.org/10.1080/14719037.2014.930505

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