Définition de l'entrée

Dispositif de démocratie participative dans lequel une autorité publique élabore tout ou partie de ses choix budgétaires avec la participation de ses administrés via des éléments de démocratie directe, de démocratie délibérative et de démocratie représentative.

Pour citer cet article :

Arhip-Paterson, W, Pradeau, G. (2022). Budget participatif. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/budget-participatif-2022

Citer

Il existerait environ 11 000 budgets participatifs dans le monde en 2022 selon l’Atlas des budgets participatifs, dont plusieurs centaines en France. Cependant, ces chiffres sont à prendre avec prudence car il n’y a pas de référentiel partagé de ce qu’est un budget participatif (BP).
Nous considérons qu’un BP possède deux dimensions : une budgétaire et une participative. La première renvoie aux choix budgétaires mis en discussion. La seconde renvoie aux modalités de participation à ces choix. Or, ces deux dimensions varient selon les cas. Concernant le budget, des différences existent sur la nature du budget discuté. Les choix peuvent porter sur les dépenses de l’autorité (le plus courant) ou ses recettes. Le budget discuté peut concerner le fonctionnement, l’investissement ou être thématique. Par ailleurs, des différences existent sur le ratio du budget discuté. Concernant la participation, des différences existent sur le public ciblé par les organisateurs. Ce public peut être des associations, des citoyens (universellement ou certains sous-groupes), ou des parties prenantes. Des différences existent aussi sur l’intensité de la participation et les manières de faire participer. Au-delà de ces deux dimensions, les cas diffèrent également sur d’autres points comme leurs organisateurs, leur échelle territoriale, leur durée, etc.
Par ailleurs, les gens émettent des jugements normatifs sur les BP. Par exemple, quatre municipalités françaises ont énoncé des principes qu’ils considèrent comme fondamentaux pour les BP en 2019 lors de la clôture de la Rencontre nationale des budgets participatifs. Concernant les jugements sur des cas particuliers, par exemple, les organisateurs du BP de la Ville de Paris promouvaient leur dispositif comme l’un des plus importants au monde en soulignant que 500 millions d’euros y étaient dévolus entre 2014 et 2020 alors que d’autres commentaient ce dispositif comme n’étant pas un BP puisque seulement 5% des dépenses d’investissement étaient mises en débat.
Il existe donc une forte diversité de BP et des débats normatifs les concernant. C’est pourquoi nous proposons de revenir sur le cas initial du BP de Porto Alegre puis de présenter ses évolutions afin de saisir ce qu’est un BP.

L’exemple fondateur de Porto Alegre

Le BP de Porto Alegre (Brésil) est communément considéré comme le premier cas de BP.

La genèse 

Le BP de Porto Alegre est né à la fin des années 1980 dans la période suivant la dictature militaire au Brésil (1964-1985). Porto Alegre a connu une rapide croissance en nombre d’habitants dans la seconde moitié du XXème siècle (gain d’un million d’habitants entre 1950 et 2000). Mais une partie importante de sa population vivait dans des quartiers pauvres où les services essentiels, logements et infrastructures de base ne furent pas adaptés à l’augmentation de la population. De plus, la corruption et le clientélisme renforçaient les inégalités entre les différents groupes sociaux.
A partir du milieu des années 1980, la société civile s’est organisée en regroupements d’association et demanda l’ouverture du budget municipal. Les leaders de la société civile ont créé l’Uniào de Associaçôes de Moradores de Porto Alegre (Union des associations de quartier de Porto Alegre) afin de rassembler et d’articuler les associations de quartiers de toute la ville. C’est au sein de sa direction - contrôlée alors par des membres du Parti des Travailleurs (PT) - que l’idée de BP est née durant le premier mandat municipal post-dictature (Alceu Colares, Parti Démocratique Travailliste, 1986-1989).
Par ailleurs, le PT cherchait à se distinguer des autres partis de gauche notamment en mettant l’emphase sur son engagement pour la démocratie et en s’appuyant sur une base sociale plus large en intégrant les mouvements sociaux urbains rejetant le clientélisme (Abers et al., 2018). Lors de son arrivée à la mairie en 1989, le PT a fait face à un étranglement financier puisque 98% des dépenses étaient dédiées au paiement des salaires lors de sa première année à la tête de l’exécutif. Le maire n’avait donc pas la possibilité de mettre en œuvre les projets promis dans sa candidature. En attendant la réforme des impôts fonciers locaux (la constitution brésilienne de 1988 a accru la décentralisation), l’exécutif municipal a voulu établir une nouvelle méthode pour prioriser les investissements publics. De plus, cet exécutif n’avait pas la majorité politique au sein de l’assemblée municipale - comme de nombreux exécutifs brésiliens. La municipalité et la société civile se sont accordées pour créer des espaces participatifs autonomes de la politique partisane. Le BP devant permettre d’accroître la légitimité des décisions progressistes tout en ouvrant le budget aux citadins.

Le BP de Porto Alegre

Plusieurs versions du BP de Porto Alegre ont existé. La première version eut lieu en 1989 mais c’est en 1990 que son design participatif fût conçu. Au début de chaque année, des assemblées ouvertes à tous les habitants étaient organisées au niveau des quartiers et de chaque région (la ville étant divisée en 16 régions). Les participants aux assemblées de quartier identifiaient des propositions d’investissement pour améliorer leur quartier. Les participants aux assemblées régionales élisaient des délégués pour les représenter au Forum régional des délégués du BP. 14 000 personnes auraient participé à ces assemblées chaque année (Abers, 1998). Ces délégués avaient la tâche de prioriser les propositions d’investissement. Au cours de ces assemblées régionales, les participants élisaient aussi deux des leurs afin qu’ils participent au Conseil municipal du budget. Celui-ci, composé uniquement de représentants de la société civile, approuvait la répartition générale des fonds d’investissements entre les différents départements du gouvernement et les critères de répartition de ces fonds entre les régions (et les thèmes à partir de l’introduction de forums thématiques en 1993). Il établissait ensuite les projets (en suivant la priorisation définie lors des Forums régionaux des délégués du BP) que chaque département devait mettre en œuvre. Cette liste des projets était publiée dans un document - le Plan d’investissement – qui, bien que non contraignant pour la municipalité, devait être cohérent avec la loi du budget votée par le conseil municipal.
Le BP a périclité à partir de la perte de la mairie par le PT en 2005. Il a même été suspendu en 2017. Bien que plusieurs raisons expliquent ce déclin, certains chercheurs énoncent que l’engagement politique a été un facteur déterminant en argumentant que les maires élus à partir de 2005 n’ont pas fait du BP une priorité politique (Abers et al., 2018).

Les impacts

Le BP de Porto Alegre est devenu un exemple et un mythe du fait de six impacts que sa version 1989-2004 aurait eus (résumés par Abers et al., 2018). Les habitants défavorisés ont été impliqués dans les décisions municipales (avec un bémol sur les plus défavorisés). Les relations clientélistes se sont effondrées en raison de la transparence de l’allocation du budget via le BP. La justice redistributive exista puisque les quartiers historiquement défavorisés eurent des infrastructures et des services publics grâce au BP. La société civile se développa et fût démocratisée. L’administration municipale se modernisa et améliora ses compétences en matière de gouvernance. Enfin, ce BP a promu une démocratie radicale.

 

La diffusion du budget participatif dans le monde et en France : de la démocratie radicale à une technologie de gouvernement ?

Les évolutions

La diffusion des budgets participatifs au niveau mondial a engendré des évolutions éloignées du modèle de Porto Alegre.
D’autres autorités publiques ont mis en place des BP. Il existe des cas sur l’ensemble des continents sauf l’Antarctique. Des acteurs ont joué un rôle primordial dans la diffusion des BP : des individus qui l’ont introduit dans l’agenda international, et des institutions internationales comme le Forum social mondial, l’ONU, l’Union européenne et la Banque mondiale (Porto de Oliveira, 2016). Cependant, le BP a évolué au fil de sa diffusion. Chaque BP est une traduction du modèle originel qui peut avoir dans son design ou ses objectifs des liens distendus avec le modèle.
Il nous semble que trois évolutions principales accompagnent cette diffusion mondiale.  D’abord, il y a eu une diversification des organisateurs et des échelles de mise en œuvre. De nouveaux acteurs sont venus s’ajouter aux autorités territoriales dans l’organisation de ces dispositifs : associations, bailleurs sociaux, écoles et universités, etc. Par ailleurs, alors que l’échelle municipale était la principale au début, il existe des cas à toutes les échelles de gouvernement maintenant : quartier, ville, supra-municipale (intercommunale, départementale, régionale), et même nationale. Ensuite, il y a eu une évolution de l’ingénierie participative des BP, notamment avec l’essor et l’usage d’outils de démocratie électronique. Les assemblées délibératives des cas brésiliens ont laissé place à des forums en ligne et au vote, notamment via des outils numériques. Enfin et surtout, il y a eu diversification des objectifs des BP. Les organisateurs de BP peuvent poursuivre trois logiques : politique (transformer le système politique pour accorder un rôle plus important aux citoyens), de bonne gouvernance (améliorer la gouvernance d’un territoire), et managériale (être efficient dans l’usage du budget) (Cabannes et Lipietz, 2017). L’objectif de radicaliser la démocratie caractérisait le cas de Porto Alegre. Aujourd’hui, les organisateurs de BP privilégient les logiques de bonne gouvernance ou managériales. C’est pourquoi certains experts estiment que les BP sont devenus des technologies de gouvernement plutôt que des expériences de subversion politique (Wampler, McNulty, et Touchton 2021).

Les BP en France

En France, nous considérons qu’il y a eu trois vagues de développement des BP (Pradeau, 2018). Les deux premières étaient limitées en nombre de cas avec une poignée de BP seulement. La troisième a débuté après les élections municipales de 2014 et se caractérise par une expansion du nombre de cas, passant de quatre en 2014 à plusieurs centaines en 2022. Plusieurs évolutions sont notables, et elles s’inscrivent dans les tendances précitées. Alors que des municipalités étaient les principales organisatrices des premiers cas, d’autres autorités publiques se sont mises à en organiser (départements, régions, universités). Pour autant, la plupart des cas se situent au niveau municipal, et une proportion importante de grandes villes en organisent (Pradeau, 2018 ; Bézard, 2022). Par ailleurs, les cas français semblent peu délibératifs par rapport aux premiers cas brésiliens. Le design participatif typique étant construit autour de deux phases participatives : un appel à projets et un vote sur les projets que l’autorité a jugé réalisables. Enfin, des exécutifs de droite ou du centre se sont mis à organiser des BP alors que c’étaient plutôt des exécutifs de gauche dans les premiers cas.

 

Des impacts non généralisables

Les impacts des BP peuvent être classés en trois catégories. Ils ne sont pas généralisables car ils sont liés à des contextes particuliers et les résultats sont parfois contradictoires ou nuancés d’un cas à l’autre. Nous en présentons certains ci-dessous sans prétendre être exhaustifs (pour approfondir, voir la recension de la littérature faite par Campbell et al., 2018).
Les transformations politiques concernent l’exercice du pouvoir et les compétences politiques des citoyens. Dans certains cas, des citoyens appartenant à des groupes défavorisés de la population ont pris part au BP (Hernández-Medina, 2010) mais ce sont surtout les classes moyennes politisées qui ont participé à d’autres cas (Ganuza, Francés, et Garibay, 2015). Certains BP ont favorisé l’ouverture des décisions publiques budgétaires, permettant ainsi de lutter contre la corruption ou parfois le clientélisme (cf. supra). Des BP ont permis à des citoyens de devenir plus compétents politiquement (Abers, 1998), mais ces compétences s’inscrivent dans le rôle de « bon citoyen » (Talpin, 2011). Des BP ont permis le développement de la société civile (cf. supra).
Les transformations sociétales concernent la vie sociale des individus en tant que société organisée. Certains cas de BP ont permis une amélioration des services publics et infrastructures basiques (Cabannes, 2015) comme l’assainissement, les logements, ou les soins de santé. Cependant, les résultats sur la mortalité infantile et l’alphabétisation sont contrastés (voir Campbell et al., 2018).
Les transformations de l’administration concernent les évolutions des administrations ayant mis en œuvre des BP. Certains BP ont permis une modernisation administrative (Sintomer, Herzberg et Röcke, 2008) mais il n’y pas toujours de réforme administrative par les BP. Par ailleurs, dans certains contextes, de nouveaux métiers spécialisés sur la participation sont apparus et il y a eu diffusion d’une culture participative (Mazeaud et Nonjon, 2018).
 

 

Le terme budget participatif désigne des cas différents. D’autres appellations existent, comme celle de budget citoyen, mais elles ne se sont pas imposées comme la désignation principale.
Nous souhaitons attirer l’attention sur l’abus d’usage du terme budget. En effet, les dépenses et les recettes constituent les deux catégories d’un budget. Or, nous constatons que la majorité des cas concerne les dépenses (principalement d’investissement). Les recettes et les dépenses de fonctionnement sont exclues des discussions avec les citoyens qui ne peuvent donc pas se prononcer sur des choix budgétaires essentiels, comme les impôts ou le périmètre des services publics. Il nous semble que l’expression dépenses participatives est plus appropriée que budget participatif.
Il ne faut pas confondre le BP avec le crowdfunding qui désigne un phénomène dans lequel un individu ou un collectif réalise un appel aux dons auprès de particuliers pour financer un projet.
Enfin, certaines structures privées commencent à organiser des budgets participatifs. La question de leur désignation est ouverte. 

Bibliographie

Abers, Rebecca. 1998. "La participation populaire à Porto Alegre, au Brésil.” Traduit par Georges Knaebel. Les Annales de la recherche urbaine 80 (1): 42–54. https://doi.org/10.3406/aru.1998.2196.

Abers, Rebecca, Igor Brandão, Robin King, et Daniely Votto. 2018. “Porto Alegre: Participatory Budgeting and the Challenge of Sustaining Transformative Change.” World Ressources Report Case Study. Washington, D.C: World Ressources Institutes. disponible sur www.citiesforall.org.

Atlas des budgets participatifs, https://www.pbatlas.net/world.html consulté le 24 octobre 2022

Bézard, Antoine. 2022. “Le Budget Participatif, Une Opportunité Pour Développer Notre Culture de La Participation Citoyenne.” Fondation Jean Jaurès. https://www.jean-jaures.org/publication/le-budget-participatif-une-opportunite-pour-developper-notre-culture-de-la-participation-citoyenne/.

Cabannes, Yves. 2015. “The Impact of Participatory Budgeting on Basic Services: Municipal Practices and Evidence from the Field.” Environment and Urbanization 27 (Avril): 257–84. https://doi.org/10.1177/0956247815572297.

Cabannes, Yves, et Barbara Lipietz. 2017. “Revisiting the Democratic Promise of Participatory Budgeting in Light of Competing Political, Good Governance and Technocratic Logics.” Environment and Urbanization 30 (1): 67–84. https://doi.org/10.1177/0956247817746279.

Campbell, Mhairi, Oliver Escobar, Candida Fenton, et Peter Craig. 2018. “The Impact of Participatory Budgeting on Health and Wellbeing: A Scoping Review of Evaluations.” BMC Public Health 18 (1): 822. https://doi.org/10.1186/s12889-018-5735-8.

Ganuza, Ernesto, Francisco Francés, et David Garibay. 2015. “Le défi participatif : délibération et inclusion démocratique dans les budgets participatifs.” Participations, no. 11 (Mai): 167–90.

Hernández-Medina, Esther. 2010. “Social Inclusion through Participation: The Case of the Participatory Budget in São Paulo: Social Inclusion through Participation in São Paulo.” International Journal of Urban and Regional Research 34 (3): 512–32. https://doi.org/10.1111/j.1468-2427.2010.00966.x.

Mazeaud, Alice, et Magali Nonjon. 2018. Le Marché de La Démocratie Participative. Sociopo. Vulaines-sur-Seine : Éditions du Croquant.

Porto de Oliveira, Osmany. 2016. “La diffusion globale du budget participatif : le rôle des « ambassadeurs » de la participation et des institutions internationales.” Participations, no. 14 (Juin): 91–120.

Pradeau, Gilles. 2018. “A Third Wave of Participatory Budgeting in France.” In Nelson Dias (Ed.), Hope for Democracy. 30 Years of Participatory Budgeting Worldwide. Epopeia Records, Oficina.

Sintomer, Yves, Carsten Herzberg, et Anja Röcke, eds. 2008. Les budgets participatifs en Europe : des services publics au service du public. Collection “Recherches.” Paris: Éd. La Découverte.

Talpin, Julien. 2011. Schools of Democracy: How Ordinary Citizens (Sometimes) Become Competent in Participatory Budgeting Institutions. ECPR Monographs. Colchester: ECPR Press.

Wampler, Brian, Stephanie McNulty, et Michael Touchton. 2021. Participatory Budgeting in Global Perspective. S.l. : Oxford University Press.

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