Définition de l'entrée

Sens 1 : Le bien commun est ce qui est profitable à long terme pour l’ensemble des membres de la société.

Sens 2 : Le bien commun est l’ensemble de ce qui soutient la coexistence des membres de la société et par conséquent leur être même.

Pour citer cet article :

Flahault, F. (2022). Bien commun. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/bien-commun-2022

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La première définition est évidente ; la seconde, en revanche, demande quelques éclaircissements. En effet, elle ne repose pas sur la conception spontanée de l’homme et de la société généralement reçue en Occident, mais sur les connaissances anthropologiques récentes.

Au XIIIème siècle, Thomas d’Aquin, en cela fidèle à Aristote, pensait que l’état social est l’état naturel de l’homme ; dans ces conditions, le bien propre de chacun n’est pas considéré comme indépendant du bien de l’ensemble. Et ce qui est profitable à chacun et à tous ne se conçoit pas seulement en termes d’intérêt : le bien dont il s’agit concerne l’être  des personnes et pas seulement leur avoir.

Mais dès le XIVème siècle, une vision nettement plus individualiste  commence à se diffuser. Les Franciscains professent que si Adam et Ève n’avaient pas péché, leurs descendants n’auraient pas eu besoin de vivre en société. La société serait donc « opus humanum » : Dieu a créé le monde et les hommes, ceux-ci ont ensuite créé la société à des fins utilitaires (économiques et sécuritaires). Par intérêt donc. Dans le prolongement de cette vision, les jésuites élaborèrent la distinction entre état de nature et contrat social. De Hobbes et Locke à Rawls et Nozick en passant par Rousseau, cette trame narrative a été sans cesse reprise jusqu’à nos jours.

La notion d’intérêt général a ainsi tendu à se substituer à celle de bien commun même si la référence au bien commun a encore sa place dans le solidarisme de Léon Bourgeois et de Célestin Bouglé. L’expression « intérêt général », aujourd’hui la plus usitée, s’accorde bien avec la vision dominante selon laquelle l’économie marchande est l’alpha et l’oméga des sociétés humaines.

Dans les dernières décennies du XXème siècle, un second renversement de perspective a commencé à s’opérer. Les remarquables progrès accomplis en primatologie, en paléoanthropologie et en psychologie du développement aboutissent en effet à la même conclusion : l’état de nature de l’homme, c’est l’état social. Sur ce point, Aristote, Thomas d’Aquin ainsi que la plupart des cultures non occidentales ont raison.

C’est seulement dans un cadre de coexistence socialisé que le nouveau-né peut trouver sa place en tant qu’être humain. Le fait d’être à plusieurs, de coexister précède l’existence de soi et est la condition. La première forme de bien vécu par le bébé - se sentir vivant – lui est apporté par l’attachement réciproque qui le lie aux adultes qui prennent soin de lui. À la différence des biens matériels dont la disponibilité diminue à mesure à mesure que ceux qui en bénéficient sont plus nombreux, le bien premier indispensable à l’émergence de l’existence en tant que personne implique d’être plusieurs à en jouir. Ce bien premier, on peut l’appeler « bien commun vécu » ou « bien relationnel » puisque chacun des partenaires de la relation ne jouit de ce bien qu’à la condition que les autres l’éprouvent également.

Le bien commun vécu ou bien relationnel nourrit le sentiment individuel d’exister et constitue la toile de fond de l’existence humaine tout au long de la vie. Individuation et socialisation vont de pair. Rappelons ici la définition des biens collectifs ou biens communs que donne la science économique : ce sont des biens non rivaux (la consommation du bien par quiconque ne réduit pas les quantités disponibles pour les autres) et non exclusifs (libre accès). Exemples : éclairage public, lumière et la chaleur du soleil, émissions de radio, internet, biens culturels et institutions. En plus de ces deux critères, les biens relationnels répondent, comme on vient de la voir, à un troisième : non seulement les autres ne diminuent pas le bien que j’éprouve, mais le fait qu’ils en jouissent aussi est une condition nécessaire pour que je l’éprouve (exemple : le plaisir de la conversation). D’où la seconde définition proposée plus haut : le bien commun est l’ensemble de ce qui soutient la coexistence et par conséquent l’être même des personnes. Le bien commun se réalise concrètement à travers tout l’éventail des biens communs. Or, le rôle que jouent ceux-ci dans les sociétés humaines est généralement sous estimé, tant les biens marchands occupent le devant de la scène. Innombrables et divers, les biens communs vont des plus matériels (égouts, voirie, eau potable, etc.) aux plus immatériels (la confiance, les savoirs) en passant par tous les intermédiaires : institutions, éducation, formes de sociabilité (notamment intergénérationnelles), santé, techniques, arts et autres biens culturels.

BIEN COMMUN ET PARTICIPATION

Il est évident que les biens communs (commons) ne sauraient se réaliser sans la participation active des citoyens. Celle-ci se justifie à trois titres : elle constitue un devoir moral et civique, un droit politique et une source d’épanouissement personnel.

Si chacun de nous ne devient une personne et ne peut se réaliser qu’au sein d’une vie sociale et d’une culture, alors, en tant que citoyens nous devons nous soucier de ce qui soutient notre monde commun, l’entretient, le maintient et l’améliore. Citons ici P. Dardot et Chr. Laval : « Les communs sont les choses avec leurs propriétés physiques en tant qu’elles entrent en relation avec certaines pratiques et certaines activités. La question de l’usage devient alors celle des règles coproduites par un collectif » (Dardot, Laval, 2014). Dans la réflexion de ces auteurs, « communs » renvoie à l’anglais « commons » qui désigne originellement des pâturages. L’expression « biens communs » est plus large puisqu’elle s’applique aussi à des biens immatériels. Mais dans tous les cas, comme ces auteurs le soulignent, de tels biens impliquent une responsabilité collective.

Assumée comme un devoir, cette responsabilité l’est aussi comme un droit. Un droit qui, dans une démocratie de la participation s’ajoute à celui qui s’attache à la démocratie représentative. C’est ainsi que la ville de Bologne a adopté en 2014 un « Règlement sur la collaboration entre citoyens et administration pour le soin et la régénération des biens communs urbains ». À la suite de Bologne, d’autres villes italiennes s’efforcent de créer de nouvelles relations entre les citoyens et la municipalité afin de développer une administration partagée des biens communs (Sauvêtre, 2016).

Mais c’est sans doute sur la participation comme source d’émancipation et d’épanouissement que les réflexions sur le bien commun proposées ici pourraient être le plus profitables. Dans ce domaine en effet, la réflexion en reste souvent, dans la perspective d’Amartya Sen, aux notions de « capabilities » et d’« empowerment ». Or, celles-ci demeurent dépendantes de la tradition individualiste occidentale, laquelle peine à intégrer le fait, pourtant aisément observable, qu’individuation et socialisation sont liées. Ainsi, pour que l’autonomie et l’épanouissement personnels se développent, il est nécessaire que les individus jouissent du bien commun relationnel tel qu’il a été défini plus haut, un bien qu’apporte la participation à différentes formes d’activités socialisées.

C’est ce que son expérience de terrain avait appris à un homme qui fut maire de Chanteloup-les-Vignes durant 26 ans : sans utilité sociale, écrit-il, « on n’existe plus ». D’où son souci  de favoriser les activités et rencontres des habitants par « un secteur associatif renforcé dans son rôle d’autonomisation des habitants, les impliquant non plus seulement comme usagers mais comme acteurs », ainsi que son souhait de voir l’école devenir plus conviviale, jouant un rôle de socialisation et d’éducation en lien avec l’environnement extérieur et les parents (Cardo, 1996).

Comme bien d’autres acteurs de la société, ce maire avait compris que la vie sociale ne répond pas seulement à des fonctions économiques mais qu’elle constitue un bien commun fondamental et qu’il est vital pour tout être humain d’y avoir place et d’y participer (le confinement dû à la pandémie de Covid a également donné l’occasion de le réaliser). Il est d’autant plus nécessaire de la souligner que la philosophie politique, très marquée par la conception occidentale de l’individu, peine à reconnaître que la vie sociale n’est pas seulement un moyen mais doit être cultivée comme un bien en elle-même. À condition de distinguer entre la société en tant qu’organisation contraignante (avec ses institutions, ses normes, ses pouvoirs, ses moyens de contrôle), et la vie sociale (relationnelle, culturelle) de ses membres. Institutions et pouvoirs ne sont - ou plutôt ne devraient être - que des moyens au service de cette fin. En elle-même la vie sociale ne va pas à l’encontre des libertés puisqu’au contraire elle favorise le déploiement de l’existence de chacun et de tous.
Il est généralement admis que l’État doit garantir les droits individuels mais qu’il n’a pas à prescrire une conception de la « vie bonne » : les individus seraient les mieux placés pour juger de ce qui est bon pour eux. L’État n’a évidemment pas à dire aux citoyens ce qu’il doivent ou ne doivent pas aimer. En revanche, il est indispensable que les pouvoirs publics et les citoyens - chacun à son niveau - se préoccupent de ce qui améliore ou dégrade la qualité de la vie matérielle, relationnelle et sociale des individus. On voit donc mal comment la philosophie politique pourrait se dispenser d’une réflexion sur les fondamentaux de l’existence humaine.

Bibliographie

Pierre Cardo, l’espoir n’est pas un luxe. Un combat pour la ville, J. C. Lattès, 1996, pp. 90, 157, 196.

Benjamin Coriat, Le Bien commun, le climat et le marché, Les Liens qui libèrent, 2021.

Pierre Dardot et Christian Laval, Esprit, « Politique du commun », déc. 2014.

Pierre Dardot et Christian Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXIème siècle, La Découverte, 2015.

François Flahault, Où est passé le bien commun ?, Mille et une nuits, 2011.

Pierre Sauvêtre, « Quelles politiques du commun ? Les cas de l’Italie et de l’Espagne », SociologieS, 2016, https://journals.openedition.org/sociologies/5674