Définition de l'entrée

Sens 1 : Le bien commun est ce qui est profitable à long terme pour l’ensemble des membres de la société.

Sens 2 : Le bien commun est l’ensemble de ce qui soutient la coexistence des membres de la société et par conséquent leur être même.

Pour citer cet article :

Flahault, F. (2013). Bien commun. In I. Casillo, R. Barbier, L. Blondiaux, F. Chateauraynaud, J.-M. Fourniau, R. Lefebvre, C. Neveu, & D. Salles (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (1ère édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/bien-commun-2013

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Bien commun et intérêt général

Le bien commun est l’ensemble de ce qui soutient la coexistence et par conséquent l’être même des personnes. La notion de bien commun est souvent considérée comme équivalente à celle d’intérêt général. Pourtant, les deux expressions se rattachent à des représentations de l’homme et de la société fort différentes.
Si l’expression « intérêt général » est la plus usitée, c’est qu’elle s’accorde avec la vision aujourd’hui dominante selon laquelle l’économie marchande est l’alpha et l’oméga des sociétés humaines. Cette vision s’est elle-même lentement formée et diffusée dans le monde occidental à partir du début du XIVe siècle. Thomas d’Aquin, en cela fidèle à Aristote, pensait que l’état social est l’état naturel de l’homme ; dans ces conditions, le bien de chacun ne peut se réaliser qu’en relation avec le bien commun. Le bien commun ne se réduit donc pas à l’intérêt général : il concerne l’être des personnes et pas seulement leur avoir.
Les Franciscains professèrent au contraire que si Adam et Ève n’avaient pas péché, leurs descendants n’auraient pas eu besoin de vivre en société. La société est opus humanum. Dieu a créé le monde et les hommes ; puis les hommes ont créé la société à des fins utilitaires (économiques et sécuritaires). Dans le prolongement de cette vision, les jésuites élaborèrent la distinction entre état de nature et contrat social. De Hobbes et Locke à Rawls et Nozick en passant par Rousseau, cette trame narrative a été sans cesse reprise jusqu’à nos jours.
La notion d’intérêt général a ainsi tendu à se substituer à celle de bien commun, même si la référence au bien commun a encore sa place dans le solidarisme de Léon Bourgeois et de Célestin Bouglé.
Dans les dernières décennies du XXe siècle, un second renversement de perspective a commencé à s’opérer. Il est aujourd’hui pleinement acquis dans le domaine. Les remarquables progrès accomplis en primatologie, en paléoanthropologie et en psychologie du développement aboutissent en effet à la même conclusion : l’état de nature de l’homme, c’est l’état social. Aristote, Thomas d’Aquin (ainsi que la plupart des cultures non occidentales) ont raison !
C’est seulement dans un cadre de coexistence socialisé que le nouveau-né peut trouver sa place en tant qu’être humain. Le fait d’être à plusieurs, de coexister précède l’existence de soi. La première forme de bien vécu par le bébé est celui que lui procure l’attachement réciproque qui le lie aux adultes qui prennent soin de lui. Ce bien premier, on peut l’appeler « bien commun vécu » puisque chacun des partenaires de la relation ne jouit de ce bien qu’à la condition que les autres l’éprouvent également.
Le bien commun vécu constitue la toile de fond de l’existence humaine tout au long de la vie (à tout âge et dans toutes les cultures, on est sensible à l’ambiance relationnelle dans laquelle on vit). Le concept de bien commun vécu répond aux deux critères propres à ce qu’en économie on appelle biens collectifs ou biens communs. La science économique définit un bien collectif comme un bien non rival (la consommation du bien par quiconque ne réduit pas les quantités disponibles pour les autres) et non exclusif (libre accès). Exemples : l’éclairage public, la lumière et la chaleur du soleil, les émissions de radio, Internet. Mais le propre du bien commun vécu, c’est qu’en plus de ces deux critères, il répond à un troisième : non seulement les autres ne diminuent pas le bien que j’éprouve, mais le fait qu’ils en jouissent aussi est une condition nécessaire pour que je l’éprouve (exemple : le plaisir de la conversation).
On en arrive ainsi à une définition générale : le bien commun est l’ensemble de ce qui soutient la coexistence et par conséquent l’être même des personnes. Si chacun de nous ne devient une personne et ne peut se réaliser qu’au sein d’une vie sociale et d’une culture, alors, en tant que citoyens, nous devons nous soucier de ce qui soutient notre monde commun, l’entretient, le maintient et l’améliore.

Bien commun et participation

 Une conception renouvelée du bien commun constitue le complément nécessaire des droits humains. Les Droits de l’homme sont des droits individuels, ils s’efforcent d’offrir un recours contre les abus de pouvoir dont des individus peuvent être victimes. Mais ils ne disent pas ce qu’est la finalité des sociétés humaines au-delà de leurs fonctions utilitaires ; ils ne disent pas ce qui relie entre eux les membres de la société, ce qu’ils ont à faire ensemble.
Dans le cadre de ces sociétés libérales, il est généralement admis que l’État doit garantir les droits individuels (à commencer par les Droits de l’homme), mais qu’il n’a pas à prescrire une conception de la « vie bonne » : les individus sont les mieux placés pour juger de ce qui est bon pour eux. L’État n’a évidemment pas à dire aux citoyens ce qu’il doivent ou ne doivent pas aimer. Cependant, outre l’injustice sociale, la dégradation des biens matériels ou immatériels (les biens relationnels) qui nourrissent à la fois l’existence de chacun et ses liens avec les autres n’en est pas moins à considérer. Il est donc souhaitable que les pouvoirs publics et les citoyens, chacun à son niveau, se préoccupent de ce qui améliore ou dégrade la qualité de la vie relationnelle et sociale des individus et agissent. Soulignons ici l’importance de la distinction entre, d’une part, les institutions et les pouvoirs qui organisent la société, et d’autre part, la vie personnelle, relationnelle et sociale de ses membres. Celle-ci constitue une fin en soi, alors que les institutions et les pouvoirs ne sont, ne doivent être que des moyens au service de cette fin. Agir dans ce sens ne va pas à l’encontre des libertés puisqu’au contraire, cela favorise le déploiement de l’existence de chacun et de tous.
De toute manière, la question de la vie bonne ou du bien vivre est appelée à devenir de plus en plus publique (et non pas limitée à la vie privée) à mesure que les problèmes écologiques s’imposeront davantage à nos sociétés.
En plus de ces derniers, l’un des grands problèmes auxquels l’humanité doit faire face est de maintenir, d’établir ou de rétablir des frontières entre pouvoir politique et pouvoirs économique et financier telles que celles-ci permettent aux relations qui existent entre ces deux champs de s’effectuer, autant que faire se peut, au bénéfice du bien commun.
Enfin, le bien commun se réalise concrètement à travers biens collectifs et biens communs. Or, le rôle que jouent ces derniers dans les sociétés humaines est généralement sous estimé, tant les biens marchands occupent le devant de la scène. Innombrables et divers, les biens communs vont des plus matériels (égouts, voirie, eau potable, etc.) aux plus immatériels (la confiance, les savoirs) en passant par tous les intermédiaires : institutions, éducation, formes de sociabilité (notamment intergénérationnelles), santé, Internet, savoir-faire, arts et autres biens culturels.

Bibliographie

FLAHAULT F., 2011, Où est passé le bien commun ?, Paris, Mille et une nuits.

FLAHAULT F., 2008, Le Crépuscule de Prométhée. Contribution à une histoire de la démesure humaine, Paris, Mille et une nuits.