Définition de l'entrée

La « bénévolisation de l’action publique » fait référence à la substitution d’agents publics par des bénévoles qui se mobilisent dans un cadre associatif ou public.

La « réserve citoyenne » est un dispositif public, encadré par la loi du 26 janvier 2017, permettant à certaines administrations publiques de mobiliser des bénévoles pour la réalisation de projets d'intérêt général. Le « volontariat » fait référence à un ensemble de statuts juridiques qui encadrent la réalisation de missions au sein de services publics et d’associations. Il se distingue du bénévolat par son caractère contractuel et son indemnisation. Il s’écarte du salariat par le caractère dérogatoire, au code du travail, de ce statut.

Pour citer cet article :

Cottin-Marx, S. (2022). Bénévolisation de l'action publique. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/benevolisation-de-l-action-publique-2022

Citer

La notion de « bénévolisation de l’action publique » est un néologisme qui est d’abord apparu dans les travaux des sociologues du travail associatif. Elle est mobilisée par les chercheur·euses pour décrire des situations de substitution d’agents publics par des travailleur·euses réalisant un « travail gratuit » (Simonet, 2018) sous différents statuts (bénévoles, volontaires, stagiaires, etc.).

Dans cette notice nous commençons par présenter des cas de bénévolisation de l’action publique, avant de préciser les différents statuts de travail que recouvre la notion. Nous terminons en abordant la controverse, qui souligne les enjeux politiques de cette notion : quelle frontière entre substitution de bénévoles à des agents publics et renouveau de la participation citoyenne à l’action publique ?

Mobilisation directe et indirecte des bénévoles dans l’action publique

Depuis les années 1980, les transformations de l’État Providence ont eu d’importantes conséquences sur le monde associatif (Cottin-Marx, Hély, Jeannot, Simonet, 2017). Celui-ci s’est vu confier la mise en œuvre d’un grand nombre de missions de service public et d’intérêt général. Cela a participé à un important développement économique de ce secteur, qui pèse en 2017 plus de 110 milliards d’euros de budget (Tchernonog, Prouteau, 2019), mais aussi à sa salarisation. Le nombre d’emplois dans les associations est ainsi passé d’un peu plus de 600 000 dans les années 1980 à 1,8 million trente ans plus tard.

Pour mettre en œuvre les politiques publiques qui leur ont été confiées, les associations n’ont pas seulement mobilisé ces salariés, mais aussi des bénévoles ou des travailleur·euses aux statuts atypiques (volontaire, stagiaires, etc.). La chercheuse Maud Simonet (2018) remarque ainsi que, dans un contexte de rigueur budgétaire et de baisse des dépenses publiques, la mise au travail gratuit de citoyens par le biais d’associations est parfois recherchée par la puissance publique. Avec John Krinsky (Krinsky, Simonet, 2017), elle montre comment le travail bénévole et les formes hybrides de travail (workfare, volontariat, stage, etc.), qui se situent entre salariat et engagement, suscités par les pouvoirs publics, viennent remplacer le travail de fonctionnaires. Dans leur enquête, les auteur·rices s’intéressent au nettoyage des parcs et jardins de New York. Alors que dans les années 1970, 7500 fonctionnaires occupaient des emplois dédiés à ces activités, les deux auteur·rices constatent qu’ils ne sont plus que 2000 agent·es publics au moment de l’enquête. Partant de ce constat, les auteur·rices s’interrogent : « qui nettoie les parcs de New-York aujourd’hui ? » Ils découvrent que désormais des salarié·es associatifs assurent ce travail aux côtés des fonctionnaires de la ville. Ils montrent également que, depuis les années 1990, la ville de New-York incite les citoyen·nes à se mobiliser bénévolement : à réaliser un « travail gratuit » (Simonet, 2018), organisé et rationalisé par des associations.

Plusieurs travaux décrivent des situations similaires de développement du bénévolat pour réaliser des missions qui relèvent de l’action publique. C’est le cas dans le secteur périscolaire (Lebon, Simonet, 2017), de l’environnement (Fortier, Alphandéry, 2017), le sanitaire et social (NRP, 2021), etc. Autant de cas qui témoignent d’une dynamique de « bénévolisation de l’action publique », que l’on peut interroger comme une forme de travail gratuit ou de participation citoyenne.

Traditionnellement, le recours aux bénévoles par la puissance publique se fait indirectement, par le biais des associations. Cependant, les pouvoirs publics les mobilisent aussi parfois directement. Cela peut se faire de manière, plus ou moins informelle, sans cadre juridique, comme c’est le cas pour les 70 000 bénévoles des bibliothèques municipales. Ou dans le cadre des « réserves citoyennes » (loi du 27 janvier 2017), qui permettent à différentes administrations publiques (Éducation nationale, Gendarmerie nationale, Police nationale, Cohésion des territoires) de mobiliser directement des bénévoles (Cottin-Marx, 2022). Ce dispositif permet aux administrations publiques d’être directement donneuses d’ordre à des citoyens qui souhaitent s’engager bénévolement pour la collectivité. Ce sont les acteurs publics qui définissent les missions et organisent le travail des bénévoles (dans la limite de leur bonne volonté).

Le bénévolat et ses formes hybrides

La notion de « bénévolisation de l’action publique » permet de décrire une dynamique de développement du « travail gratuit » dans la mise en œuvre de politiques publiques. Celui-ci ne se limite pas au travail réalisé par des bénévoles (qui travaillent théoriquement librement, sans contrepartie et pour autrui). La notion est également utilisée pour décrire des formes hybrides de travail, entre salariat et bénévolat, qui mobilise le registre de l’engagement. C’est le cas des dispositifs assimilables à du workfare, notion qui renvoie au conditionnement du versement de prestations sociales (allocations, bourses) à la réalisation d’un travail gratuit en association ou en collectivité. Elle est également utilisée pour décrire le statut de « volontaire », dérogatoire au code du travail. Comme le résume Romain Pudal (2016), qui a étudié les sapeurs-pompiers volontaires, ceux-ci ne sont ni des professionnels, ni des bénévoles. Cependant, le volontariat donne lieu à un engagement contractuel pour une durée définie. Il est également indemnisé (cette indemnité n’ayant pas le caractère d’un salaire ou d’une rémunération).

Le terme de « volontaire » (Eliasoph, 2011) recouvre une grande diversité de situations. Nous pouvons distinguer d’une part les formes traditionnelles du volontariat, comme celle de la gendarmerie nationale ou des sapeurs-pompiers volontaires, et d’autre part le volontariat en service civique. Contrairement au premier, le second recrute essentiellement des jeunes et offre une rémunération horaire en dessous du salaire minimum légal. Cette forme dégradée d’emploi est assimilée à une bénévolisation du travail (Simonet, 2010). Selon l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP), en 2020, ce sont plus de 130 000 volontaires qui ont réalisé des missions d’intérêt général, qui se substituent parfois à de vrais emplois (Talleu, Leroux, 2019) au sein d’associations mais aussi de l’Éducation nationale, de Pôle emploi, de commissariats, d’EHPAD mais aussi d’hôpitaux (Simonet, Rétif, Lebon, Ihaddaden, 2019 ; Cottin-Marx, 2022).

Controverse : bénévolisation du travail public ou coproduction citoyenne d’un bien public ?

Le travail que réalisent les bénévoles, et les autres travailleur·euses aux statuts atypiques, est-il du « travail gratuit » assimilable à de la substitution d’emploi public ou est-il un travail qui tend vers un simple investissement citoyen ? Dans quelle mesure ces « bénévoles », au sens large, remplacent-ils des fonctionnaires ?

Les travaux menés par John Krinsky et Maud Simonet (2017) à New York, montrent bien comment la ville, notamment parce qu’elle connaissait des difficultés financières à partir du milieu des années 1970, va faire appel à des travailleur·euses associatifs, des allocataires des aides sociales, des bénévoles, etc. pour l’entretien de ses parcs et jardins. Sans entrer en contradiction avec cette analyse, les travaux de Michel Conan (1988), qui a produit une enquête dans les années 1980 sur les services publics de la propreté des rues de New York, nous amènent à porter un autre regard sur la bénévolisation. Dans son travail, il explique comment la question de la propreté des rues new-yorkaises est devenue un véritable problème public et comment pour y faire face les personnels affectés au nettoyage de la voirie ont augmenté de 74% entre 1983 et 1986. Si cela a participé à l’accroissement du nombre de rues considérées comme « convenablement propres », il montre que ce n’est pas seulement le nombre de fonctionnaires qui a été déterminant, mais la manière d’aborder la propreté des rues en tant que « bien public », « coproduite » par les institutions publiques, les acteurs économiques organisés mais aussi les utilisateur·rices. Ainsi, les citoyen·nes new-yorkais ont été sensibilisés par la municipalité à faire leur part de « travail gratuit » afin de garantir la propreté des rues. Un équilibre est trouvé entre ce qui est pris en charge par les agent·es et ce qui relève des citoyen·nes. Et dans ce cas, salarisation et bénévolisation ne sont pas antinomiques.

Cet exemple permet de souligner que la frontière entre ce qui relève du travail salarié public et ce qui ressort du travail « gratuit » au sens large (travail bénévole, travail domestique) n’est pas figée et peut être amenée à évoluer, notamment sous l’influence des pouvoirs publics. C’est ce qu’est venu rappeler l’ancien Premier ministre conservateur du Royaume-Uni David Cameron (2010-2016) au début de son mandat à travers la promotion de la « Big Society ». En appelant à moins d’État et à une extension de la société civile (Balazard, Fisher, Scott, 2017), il remet en question ce mouvement de « publicisation du privé » (Hély, Moulévrier, 2013), c’est-à-dire de prise en charge de problèmes sociaux par le domaine public et initie le mouvement de « privatisation du public », soit un transfert de mission de la sphère publique à la sphère privée, alimentant ainsi une bénévolisation d’une action (qu’il ne souhaite plus) publique. Ainsi, comme le propose Maud Simonet (2010), il est nécessaire de faire entrer « l’État dans l’analyse », pour observer la manière dont la puissance publique participe à structurer et modeler l’engagement citoyen.

Bibliographie

Balazard, Hélène, Fisher Robert, Scott Matt. 2017. « The “big society” in the United Kingdom: privatisation or democratisation of public services ». Revue française d'administration publique. n°163, p. 507-520.

Conan, Michel. 1988. Gestion dynamique de la productivité des Services Urbains. Enseignement de vingt-deux ans d’expérience de gestion et d’évaluation dans la municipalité de New York City - 1965 – 1987. Paris : Plan Urbain-CSTB.

Cottin-Marx Simon, Hély Matthieu, Jeannot Gilles, Simonet Maud. 2017. « La recomposition des relations entre l’État et les associations : désengagements et réengagements ». Revue française d’administration publique, n° 163, p. 463-476.

Cottin-Marx Simon, 2022. « Quand l'Etat et les collectivités locales mobilisent directement les bénévoles. Une "bénévolisation" de l’action publique ? ». Rapport de recherche. IRES.

Da Silva, Nicolas, Molinier Pascale (coord.). 2021. « Richesses et ambiguïtés du travail bénévole ». Nouvelle revue de psychosociologie, n°32, 244 p.

Eliasoph, Nina. 2011. Making volunteers: civic life after welfare’s end. Princeton : Princeton University Press.

Hély Matthieu, et Pascale Moulévrier. 2013. L'économie sociale et solidaire : de l'utopie aux pratiques. La Dispute, coll. « Travail et salariat ». 219 p.

Krinsky John, Simonet Maud. 2017. Who Cleans the Park? Public Work and Urban Governance in New York City. Chicago : University of Chicago Press. 288 p.

Simonet, Maud. 2010. Le travail bénévole : engagement citoyen ou travail gratuit ?, Paris : La Dispute.

Simonet, Maud. 2018. Travail gratuit : la nouvelle exploitation ?. Textuel. 152 p.

Simonet, Maud, Rétif Sophie, Lebon Francis, Ihaddadene Florence. 2019. « La mise en place du service civique à l'hôpital public et ses effets sur la professionnalité des travailleur.se.s », journée d'études "Pour une sociologie publique de l'hôpital: travail, mobilisations et construction des savoirs", novembre, Paris, France.

Lebon, Francis, et Maud Simonet. 2017. La réforme des rythmes scolaires, ou quand les associations font la loi et (dé)font le travail dans les services publics ?. Revue française d'administration publique, 3(3), 575-586.

Pudal, Romain. 2016. Retour de flammes: Les pompiers, des héros fatigués ?. Paris : La Découverte.

Talleu Clotilde, et Céline Leroux. 2019. « Le service civique dans les associations. Mise en œuvre et impact dans le département de l'Aisne », Rapport d'étude, INJEP, 104 p.

Sur le même sujet

Publié en novembre 2022
Innovations démocratiques
International

Participation citoyenne ordonnée (Chine)

Lors du 18 ème Congrès du Parti communiste chinois qui s’est tenu en novembre 2012 et marque l’entrée en fonction de Xi Jinping en tant que secrétaire général du Parti communiste chinois, il fut cependant édicté d’une…
Publié en novembre 2022
Pouvoirs citoyens et mouvements sociaux
Économie, travail

Citoyenneté industrielle

La « citoyenneté industrielle » désigne l’ensemble des institutions et pratiques de participation et de représentation des travailleur·euses dans la sphère de la production. Elle dérive de la notion de « démocratie…
Publié en novembre 2022
Pouvoirs citoyens et mouvements sociaux
International

Mouvements des places

Les « mouvements de places » : entre révolution et contestation Il convient d’abord de distinguer les occupations qui s’inscrivent dans des contextes libéraux de celles qui défient l’autoritarisme. Le campement ouvre…