Définition de l'entrée

Une assemblée permanente est un dispositif de participation qui associe de manière continue ou répétée une ou plusieurs assemblées citoyennes à la prise de décision politique. Le but de ces assemblées est de formuler des recommandations sur un ou plusieurs enjeux publics à la suite d’un échange informé et argumenté entre citoyen·nes.

Pour citer cet article :

Niessen, C, Reuchamps, M. (2022). Assemblée permanente. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/assemblee-permanente-2022

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Le tournant institutionnel des assemblées (citoyennes)

Bien que les noms donnés à ces assemblées – « conseils citoyens », « jury citoyen », « conférence de citoyens », « conférence de consensus », « cellule de planification », « sondage délibératif », pour n’en citer que quelques-uns parmi les mini-public délibératif – sont aussi divers que les formes d’organisation (Slocum et al., 2006), certains principes communs peuvent être identifiés :

  • l’implication de citoyen·nes couramment qualifiés d’« ordinaires », c’est-à-dire sans fonction politique ;
  • aux profils socio-démographiques diversifiés, souvent sélectionnés par tirage au sort ;
  • réunis pour traiter un enjeu public ;
  • à travers des échanges d’arguments, parfois facilités par une personne chargée de la modération ;
  • se basant sur des informations recueillies auprès de personnes-ressources et de parties prenantes ;
  • dans le but d’arriver à des recommandations ou propositions, généralement reprises dans un rapport final.

À leur origine, et souvent même encore aujourd’hui, ces assemblées sont utilisées de manière ponctuelle. Cela veut dire qu’elles sont organisées avec un horizon temporel limité et sans répétition régulière. Considérant que ces assemblées ponctuelles ne font participer qu’un nombre limité de citoyen·nes sur un nombre limité d’enjeux, tant des activistes (Van Reybrouck, 20013) que des universitaires (Mansbridge et al., 2012) ont appelé à des usages plus permanents d’assemblées citoyennes. Mais qu’est-ce que « permanent » veut dire dans ce contexte et quelles seraient des réalisations concrètes ?

Qu’est-ce que la permanence ?

Pour caractériser l’idée de permanence pour une assemblée citoyenne, deux conceptions nous semblent envisageables. Premièrement, une conception plus restrictive qui, pour pouvoir parler de permanence, requiert que l’assemblée ait un horizon temporel illimité, à l’image des assemblées élues telles qu’on les connaît majoritairement. Une fois mise en place, ses travaux seraient en effet sans fin – soit en traitant un enjeu de manière continue, soit en traitant des enjeux multiples l’un après l’autre ou en parallèle. Deuxièmement, une conception plus large consiste à considérer que, même si une assemblée citoyenne a un horizon temporel limité, tant que l’institution qui l’initie en organise de manière régulière, on peut alors parler d’un dispositif de participation quasi-permanent.

Un exemple d’assemblée continue, au sens de la première conception, est le Dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone de Belgique (Niessen et Reuchamps, 2019). Il s’agit d’un dispositif où un conseil citoyen permanent (composé de 24 membres tirés au sort) décide des sujets à traiter par des assemblées citoyennes ponctuelles (également composées par tirage au sort).  Le conseil citoyen détermine l’organisation de ces assemblées et assure le suivi de leurs recommandations auprès du Parlement. Sauf avis contraire motivé de la commission parlementaire compétente et/ou des ministres en charge du sujet, ces recommandations sont censées être suivies par une action parlementaire ou gouvernementale. La mise en œuvre concrète est actée dans un rapport officiel et présenté aux participant·es au Dialogue un an plus tard. L’ensemble du processus est accompagné par un secrétariat permanent attaché au Parlement de la Communauté germanophone. A ce jour (2022), quatre thématiques ont été abordées : les soins de santé, l’éducation inclusive, le logement et les compétences numériques.

Un exemple d’assemblées régulièrement répétées, au sens de la deuxième conception, sont les assemblées citoyennes irlandaises (Courant, 2019). Il s’agit de différentes assemblées ponctuelles qui s’insèrent dans une institutionnalisation plus globale de la participation, avec un recours régulier à celles-ci. L’Irlande a ainsi connu une première expérience d’assemblée citoyenne appelée « We the Citizens » en 2011. Celle-ci a mené en 2012 à la mise en place par le Parlement d’une Convention constitutionnelle mixte, composée d’élu·es et de citoyen·nes tirés au sort (2013-2014), conduisant à la tenue de plusieurs référendums constitutionnels sur des sujets sensibles tel que l’avortement ou le système électoral. Ensuite, des assemblées composées uniquement de citoyen·nes tirés au sort ont été organisées, à la demande des deux chambres du Parlement irlandais, sur l’avortement, le vieillissement démographique, la durée de la législature, les modalités d’organisation de référendums et le changement climatique (2016-2018), puis sur l’égalité de genre (2020-2021) et sur la perte de biodiversité (2022).

Une forme intermédiaire entre ces deux conceptions – permanente et répétées – consiste à avoir une assemblée dont la répétition est pérennisée institutionnellement. Les commissions délibératives mises en place dans certains parlements régionaux en Belgique, à Bruxelles et en Wallonie, en sont un exemple (Vrydagh et al., 2021). Une récente modification du règlement de ces parlements permet en effet l’organisation de commissions mixtes entre les parlementaires d’une commission existante et des citoyen·nes tirés au sort pour délibérer ensemble d’une thématique précise afin de formuler des recommandations dont le suivi sera effectué par ladite commission. Ce dispositif est ainsi été pérennisé institutionnellement (première conception) mais il repose sur l’organisation répétée de commissions délibératives (seconde conception). Depuis l’instauration de cette possibilité en 2020, trois commissions délibératives ont été organisées par le parlement régional bruxellois (sur la 5G, le sans-abrisme et la biodiversité) et deux par le parlement francophone bruxellois (sur la gestion politique en temps de crise et la formation en alternance).

Vers l’institutionnalisation des assemblées permanentes ?

Après plusieurs décennies d’usage ponctuel, un nombre croissant d’assemblées citoyennes sont conçues de manière permanente – à travers un usage soit continu, soit répété. Il convient de noter que l’idée de permanence n’est pas à confondre avec celle d’institutionnalisation, qui intervient néanmoins dans ce sillage (OECD, 2021). Bien que pour pouvoir être institutionnalisée, une assemblée doit être permanente (au sens premier ou second élaboré plus haut), l’institutionnalisation requiert en plus que l’assemblée soit connectée formellement aux institutions politiques traditionnelles (par exemple, au parlement ou au gouvernement). Cette connexion peut être codifiée par une loi ou reposer sur un engagement politique fort. L’avenir montrera si ce lien institutionnalisé s’installe de toute manière après un certain temps pour toute assemblée permanente, ou pas.

Bien que récent, le développement actuel des assemblées citoyennes permanentes nous invite à nous interroger sur ce que produit la permanence par rapport à des assemblées citoyennes ponctuelles. Nous tentons d’y répondre en évaluant trois dimensions clés de ces processus : input, throughput et output (Caluwaerts et Reuchamps, 2015).

En matière d’input, la permanence permet aisément que le choix du sujet revienne aux citoyen·nes directement plutôt qu’à l’institution initiatrice de l’assemblée citoyenne. À cet égard, une distinction peut être opérée entre les assemblées continues et les assemblées régulières : les premières connaissent souvent dans leur dispositif une possibilité de mise à l’agenda par des citoyen·nes, alors que les secondes restent généralement initiées et mandatées par les autorités publiques.

L’analyse du throughput, ensuite, ne révèle pas nécessairement des différences entre les assemblées permanentes et les assemblées ponctuelles. On tombe dans les deux cas sur une analyse qui est maintenant bien documentée dans les études sur les mini-publics délibératifs. Par contre, un contraste important provient de la possibilité d’améliorer l’organisation – des délibérations – de l’assemblée citoyenne permanente et surtout des itérations futures. Si généralement toute assemblée citoyenne, qu’elle soit permanente ou ponctuelle, fait l’objet d’une évaluation (OECD, 2021), celle-ci résonne davantage dans une perspective permanente puisqu’il peut en être tenu compte pour l’organisation d’une nouvelle assemblée citoyenne.

Enfin, la dimension output, et surtout son absence, est un des arguments récurrents pour justifier la permanence : les assemblées citoyennes ponctuelles fonctionnent bien, mais le suivi qui est fait de leur travail est souvent limité.  C’est là que la permanence devrait permettre d’assurer un suivi plus poussé. Les expériences belges et irlandaises confirment que la permanence contribue à augmenter le suivi – car celui-ci est intégré dans l’ensemble du processus délibératif qui ne se limite plus à la seule assemblée citoyenne – ainsi que sa visibilité – car celle-ci profite de la répétition de plusieurs assemblées citoyennes qui ne recommencent plus à zéro.

S’agissant d’une évaluation à court terme étant donné que l’usage des assemblées permanentes remonte à quelques années à peine, la question de l’impact de la permanence à le long terme reste ouverte.

Bibliographie

Courant, Dimitri. 2019. « Les assemblées citoyennes en Irlande. Tirage au sort, référendum et constitution ». La Vie des idées. https://laviedesidees.fr/Les-assemblees-citoyennes-en-Irlande.html (accès le 30.06.2022).

Caluwaerts, Didier, et Min Reuchamps. 2015. « Strengthening democracy through bottom-up deliberation: An assessment of the internal legitimacy of the G1000 project ». Acta Politica 50(2) : 151-170.

Mansbridge, Jane, James Bohman, Simone Chambers, Thomas Christiano, Archon Fung, John Parkinson, Dennis F. Thompson, et Mark E. Warren. 2012. « Une approche systémique de la démocratie délibérative ». Dans Le tournant délibératif de la démocratie. Sous la direction de Loïc Blondiaux et Bernard Manin, 25-66. Paris : Presses de Sciences Po.

Niessen, Christoph, et Min Reuchamps. 2019. « Le dialogue citoyen permanent en Communauté germanophone ». Courrier hebdomadaire du CRISP 21(2426) : 5-38.

OECD. 2021. « Eight Ways to Institutionalise Deliberative Democracy ». OECD Public Governance Policy Paper.

Slocum, Nikki, Janice Elliott, Sara Heesterbeek, et Carolyn J. Lukensmeyer. 2006. Méthodes participatives. Un guide pour l’utilisateur. Bruxelles : Fondation Roi Baudouin.

Van Reybrouck, David. 2013. Contre les élections. Paris : Actes Sud.

Vrydagh, Julien, Jehan Bottin, Min Reuchamps, Frédéric Bouhon, et Sophie Devillers. 2021. « Les commissions délibératives entre parlementaires et citoyens tirés au sort au sein des assemblées bruxelloises ». Courrier Hebdomadaire du CRISP 32(2492) : 5-68.

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