Définition de l'entrée

L’altermondialisme désigne les mobilisations qui, à l’orée du nouveau millénaire, contestent la globalisation néo-libérale, en particulier financière, au nom d’une autre mondialisation, portée par des citoyennes et des citoyens. Dans le monde anglophone et hispanophone prévaut l'expression « mouvement pour la justice globale » pour souligner la dimension transnationale de ces mobilisations et leur cadrage sur la question de la justice, déclinée dans tous les domaines (sociale, économique, environnementale, etc.).

Pour citer cet article :

Sommier, I. (2022). Altermondialisme. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/altermondialisme-2022

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La question du rapport de l’altermondialisme à la démocratie a d’emblée occupé une place centrale dans les nombreuses études le concernant (et de leurs financeurs, au premier rang desquels les instances européennes). Plusieurs de ses caractéristiques, alors nouvelles, s’y prêtaient. Dans un contexte où il était depuis longtemps déjà question de crise de la représentation politique, cette mobilisation fut d’autant plus remarquée qu’elle la mettait, certes avec d’autres, au cœur de ses revendications et se présentait comme celle de la « société civile transnationale » contre des institutions financières considérées comme peu voire non démocratiques. Le forum social, espace de rencontres et d’échanges, s’en voulait d’ailleurs l’expression en rassemblant dans de multiples débats des individus et organisations d’origines et de traditions militantes différentes. Il publicisait enfin des modes de fonctionnement délibératifs qui, sans être radicalement nouveaux, sortaient grâce à lui des marges politiques comme la prise de décision au consensus.

La question démocratique, une question parmi d’autres

Parmi les nombreuses recherches, le projet Demos (acronyme de « Democracy in Europe and the Mobilisation of Society »), financé par l’Union européenne et dirigé par Donatella Della Porta, s’attachait précisément à la fois aux visions des altermondialistes de la démocratie représentative et aux pratiques démocratiques internes aux organisations. Le Mouvement pour la justice globale promeut selon elle une « démocratisation par le bas » dans la mesure où, sur fond du déplacement du pouvoir vers des institutions moins soumises au contrôle démocratique, du déclin du vote et d’incapacité nouvelle des partis à agréger les demandes de la société civile, il favoriserait la participation citoyenne et expérimenterait des modes de fonctionnement alternatifs (Della Porta, 2005 : 75).

Si l’insatisfaction des activistes à l’égard du fonctionnement des institutions ne faisait pas de doutes, la question démocratique n’apparaissait cependant pas en première ligne des revendications comme elle le sera plus tard ; celles-ci mettaient plutôt l’accent sur la nécessaire solidarité entre les pays du nord et ceux du sud, l’annulation de la dette du Tiers-monde ou encore l’instauration d’une Taxe Tobin sur les transactions financières. En cette période de plans d’ajustement structurel imposés aux pays en développement par le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, était d’abord vilipendé le « consensus de Washington » prônant le retrait de l’intervention de l’État en matière économique et sociale, les privatisations et la libéralisation des marchés financiers, sur lequel s’alignaient depuis les années 1980 l’ensemble des politiques nationales, régionales (l’Union européenne, l’Accord de libre-échange nord-américain), internationales (G7 puis G8, FMI, Banque mondiale, OMC, OCDE). De façon significative, les premières protestations ont cours à l’occasion de la tenue de réunions internationales (comme l’OMC à Seattle en 1999) pour demander un coup d’arrêt à la libéralisation du commerce et une réforme des institutions internationales jugées non démocratiques. D’où les slogans : « La dictature des marchés ? Un autre monde est possible ! », « You G8, we 6 billions », scandé à Gênes lors de la mobilisation contre le G8 en juillet 2001, qui, sans doute, inspirera le « We are the 99% » du mouvement Occupy Wall Street dix ans plus tard.

Aussi les institutions politiques nationales et européennes sont-elles dénoncées d’abord pour avoir abdiqué face aux « diktats du marché » relayés par les organisations internationales ; c’est à ce titre que les altermondialistes en appellent à un ressaisissement du politique (contre le tout économique) et un approfondissement démocratique, plus participatif, voire à une « radicalisation de la démocratie». À la phase de protestation initiale succède une phase plus programmatique pour dessiner des alternatives, que traduit le remplacement du terme « antimondialisation », d’origine médiatique, par celui d’« altermondialisme », au cours de l’année 2002, à l’instigation de l’organisation la plus connue de la galaxie, l’Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (Attac). Le préfixe « alter » est censé signifier que, loin d’être hostile au processus de mondialisation, le mouvement se veut l’expression et le moteur d’une autre mondialisation, d’une mondialisation par le bas (globalization from below), selon une expression qui a commencé à poindre en 2001.

La forme forum ou la participation avant tout

Cette seconde phase est associée à l’invention de la forme « forum social » qui devient le symbole du « mouvement des mouvements sociaux » réunis à l’occasion pour dessiner cet « autre monde possible ». D’abord « mondial » avant de se décliner en forums régionaux (le premier Forum européen se tient à Florence en novembre 2002, celui des Amériques à Quito en 2004, africain à Bamako en 2006, etc.), puis thématiques (comme le Forum mondial de l’éducation en 2010, celui sur les migrations ou encore sur l’économie sociale et solidaire), le Forum social mondial est inauguré en janvier 2001 à Porto Alegre, ville alors gérée par le Parti des travailleurs et surtout promotrice du budget participatif (Gret et Sintomer 2005).

La « Charte de Porto Alegre » définit le forum social dans son article 1 comme : « un espace de rencontre ouvert visant à approfondir la réflexion, le débat d’idées démocratique, la formulation de propositions, l’échange en toute liberté d’expériences, et l’articulation en vue d’actions efficaces, d’instances et de mouvements de la société civile qui s’opposent au néolibéralisme et à la domination du monde par le capital et toute forme d’impérialisme, et qui s’emploient à bâtir une société planétaire axée sur l’être humain. » « Espace ouvert » à quiconque, et non pas espace délibératif (article 6), le forum n’a par conséquent pas vocation à déboucher ni sur des prises de position ni sur un appel fixant les mobilisations à venir. Il ne se veut pas être « une instance représentative de la société civile mondiale » (article 5) et refuse le porte-parolat ; les organisateurs sont de simples « facilitateurs » sans rôle directif ou décisionnel. Loin de ces principes, l’histoire des Forums a toutefois été émaillée par des critiques portées à l’encontre d’une instance, le Conseil international, jugée parfois trop verticale et fondée sur la cooptation, mais aussi par des initiatives de figures intellectuelles pour écrire un « Manifeste de Porto Alegre » (en 2005). Surtout, à cette conception d’un forum espace (de rencontres, d’échanges et de débats), s’est d’emblée opposée celle d’un forum mouvement, d’une assemblée décisionnaire qui, au terme de l’événement, fasse la synthèse des discussions, dégage des propositions et lance les futures campagnes. Elle répondait au désir de certaines organisations appelant à un registre plus offensif de l’altermondialisation mais aussi, sans doute, à celui d’une partie des militant·es (et des journalistes…) de bénéficier d’une sorte de conclusion programmatique des forums sociaux. Faute de quoi à leurs yeux, ceux-ci risquaient de n’être qu’un gros colloque, voire des grandes messes. Le débat, révélateur de tensions d’ordre stratégique mais aussi politique (en particulier, quelle serait la représentativité des signataires ?), n’a jamais été vraiment tranché. C’est la raison pour laquelle les « Assemblées des mouvements sociaux », tout en relevant du processus des forums, se tiennent en dehors des dates officielles de ceux-ci, à leur issue.

Un espace d’apprentissage de la démocratie délibérative ?

Par leur structuration en réseau puis leur tenue, les forums sociaux ont constitué le principal lieu d’échanges et de débats mais aussi de socialisation des groupes divers par leurs traditions militantes et leurs modalités d’organisation (syndicats, associations, ONG, groupes de réflexion, réseaux) qui apprenaient ainsi à se connaître, mais aussi à collaborer pour dégager des lignes d’action communes. Mais tenir ensemble une telle galaxie hétéroclite ne va pas de soi. Par pragmatisme mais surtout officiellement par volonté d’étendre le fonctionnement démocratique, choix a été fait de favoriser des modes délibératifs de fonctionnement : une structure inclusive et horizontale, l’adoption du consensus comme procédure de prise de décision.

En croisant deux dimensions : participative - selon le niveau de délégation - et délibérative - selon le mode de décision (par vote ou au consensus) - Della Porta dégage quatre modes de fonctionnement dont le plus abouti, c’est-à-dire le plus démocratique car le plus éloigné de le démocratie représentative, serait le modèle de la « participation délibérative » (décisions prises en assemblée par consensus) ainsi défini : « decisional processes in which, under conditions of equality, inclusiveness, and transparency, a communicative process based onreason (the strength of the argument) may transform individual preferences, leading to decisions oriented to the public good » (Della Porta, 2009 : 1). Ce choix serait corrélé d’abord avec la taille de l’organisation (plus elle est grande, moins la participation délibérative est susceptible d’être pratiquée), suivie par la cause défendue prioritairement (les groupes altermondialistes stricto sensu seraient les plus favorables à ce fonctionnement), la période de fondation (après 1989) et l’identification à l’altermondialisme. Il participerait en somme à la nouveauté de ce mouvement, ouvert, inclusif et tolérant (ibid. : 43). D’après les documents officiels des quelque 200 organisations européennes investiguées, seules 15% d’entre elles répondraient à ce mode de fonctionnement, mais près de 40% à en croire les entretiens réalisés avec leurs responsables. Le « modèle associatif » avec une forte délégation du pouvoir et un faible degré de consensus représentant respectivement 45,5% et 22,8% des cas. On voit ici la forte attractivité de l’impératif délibératif. Las ! La profonde crise que traverse Attac-France en 2006 révèle le fonctionnement fortement oligarchique et autoritaire du vaisseau amiral de l’altermondialisme.

Le fonctionnement délibératif varie suivant les niveaux étudiés comme l’a montré Nicole Doerr (2009) : il se vérifie plus à l’échelle transnationale que nationale, notamment par le recours au multilinguisme qui favorise le respect des différences et le caractère anti-hiérarchique du processus de décision. Comme on a pu le montrer à propos de l’organisation du deuxième Forum Social Européen (FSE) tenu en France à l’automne 2003, la forme en réseau, les principes du consensus ou l’absence de porte-parole constituent des solutions pragmatiques pour assurer le fonctionnement serein d’un ensemble très disparate de collectifs tout autant que leur autonomie. Mais le recours au consensus, très chronophage, requiert des ressources militantes (en termes humains et de savoir-faire) dont tous ne disposent pas, au risque de ne finir par aboutir qu’au terme d’une guerre (feutrée) d’usure (Agrikoliansky, Sommier, 2005).

Au fil des années, le mouvement altermondialiste s’est étiolé, la participation aux forums sociaux déclinant et les médias s’en détournant complètement. Il s’est aussi profondément transformé : les organisations plutôt contestataires d’origine comme les syndicats ont cédé la place aux groupes de plaidoyer engagés sur le terrain du développement. On a ainsi assisté à une sorte d’ONGisation et de professionnalisation de la cause (Sommier, 2016). Mais sans doute a-t-il rendu possible, avec d’autres facteurs, des formations politiques inédites comme, en Grèce, Syriza, et surtout l’espagnol Podemos (Nez, 2015). Il a aussi irrigué, par ses idées, d’autres mobilisations comme les mouvements indignés qui en ont repris une partie des slogans et approfondi les modes de fonctionnement délibératifs (Nez, 2012).

Bibliographie

Agrikoliansky, Éric, Sommier, Isabelle (dir.). 2005. Radiographie du mouvement altermondialiste français: le FSE de Paris Saint-Denis, Paris : La Dispute.

Della Porta, Donatella. 2005. “Making the Polis. Social Forums and Democracy in the Global Justice Movement”. Mobilization 10(1):73-94.

Della Porta, Donatella (ed.). 2009. Democracy in Social Movements, London : Palgrave Macmillan, 2009.

Doerr, Nicole. 2009. Listen carefully: democracy brokers at the European social forums, Ph. D. Florence, European University Institute.

Haeringer, Nicolas. 2010. Dix ans de Forum social mondial : quelques enseignements et quelques pistes pour repenser l'espace altermondialiste. Mouvements, 63, 11-19.

Gret, Marion, Sintomer, Yves. 2005. Porto Alegre, l'espoir d'une autre démocratie. Paris : La Découverte.

Nez, Héloïse. 2012. « Délibérer au sein d'un mouvement social : Ethnographie des assemblées des Indignés à Madrid ». Participations, 4, 79-102. https://doi.org/10.3917/parti.004.0079

Nez, Héloïse. 2015. Podemos. De l’indignation aux élections, Paris, Les Petits matins. 

Sommier, Isabelle. 2016. “French involvement in the global justice movement. From the European social forums to the world social forum in Dakar”, French Politics, 2016, p. 311-328.

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