Définition de l'entrée

L’activisme renvoie à l’intervention directe dans la vie politique de leur pays de citoyens qui s’organisent de façon autonome pour remettre en cause les orientations que leurs dirigeants impriment aux décisions qu’ils prennent.

Pour citer cet article :

Ogien, A. (2022). Activisme. In G. Petit, L. Blondiaux, I. Casillo, J.-M. Fourniau, G. Gourgues, S. Hayat, R. Lefebvre, S. Rui, S. Wojcik, & J. Zetlaoui-Léger (Éds.), Dictionnaire critique et interdisciplinaire de la Participation, DicoPart (2ème édition). GIS Démocratie et Participation.
https://www.dicopart.fr/activisme-2022

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Le fonctionnement actuel de la démocratie représentative a donné naissance à un antagonisme ouvert entre l’univers des professionnels de la politique (avec leurs experts, leurs communicants, leurs stratégies, leur vision du monde et leurs médias) et celui de ces personnes concernées par la chose publique qui ont choisi d’agir en politique hors des structures verrouillées des institutions de la représentation. Cet autre univers, c’est celui de l’activisme politique des citoyens.

Il est ainsi devenu courant de constater que ceux-ci n’hésitent plus à faire irruption de façon impromptue dans la vie politique de leur pays et, sans se soucier de l’avis de tuteurs bienveillants ou d’experts avisés, imprimer leur propre orientation à la manière dont les affaires publiques y sont administrées par leur gouvernement et les forces qui le soutiennent (Graeber, 2014). Au-delà des raisons conjoncturelles pour lesquelles ces mobilisations s’organisent et des résultats qu’elles parviennent à arracher, cet activisme exprime une volonté de “récupérer” la politique en décidant collectivement de la manière de résoudre les problèmes publics qu’une société affronte (Dewey, 2009).

L’activisme tranche avec la participation à laquelle des citoyens sont conviés par des autorités qui entendent les consulter au sujet d’une question qu’ils peinent à régler. Cette démarche, qui peut prendre l’allure d’une réunion de riverains, d’une assemblée de quartier, d’un débat public ou d’une conférence citoyenne, accorde rarement un pouvoir de décision à ces cénacles. L’activisme revendique l’exercice de ce pouvoir.

 

Les pratiques politiques autonomes des citoyens

Dans toutes les sociétés démocratiques contemporaines, une nébuleuse d’associations, de collectifs et de groupes d’intérêt s’engagent dans toutes sortes d’actions dont l’objet consiste à modifier les manières de vivre et de penser qui y prévalent. Il peut s’agir de prendre en charge une question d’intérêt général, d’imposer le vote ou le retrait d’une loi, de dénoncer la corruption des dirigeants ou de faire évoluer les mœurs en vigueur (Dupuis Déri, 2013).

Ces actions sont de nature différente : elles n’ont pas la même visée, ne recrutent pas le même genre d’adhérent, ne disposent pas de moyens identiques pour réaliser leur projet, ne s’organisent pas sur la base de semblables rapports hiérarchiques, n’entretiennent pas nécessairement des relations continues avec des interlocuteurs institutionnels. Mais, en dépit de ces différences, toutes ces pratiques politiques partagent une caractéristique : elles sont autonomes, au sens où 1) elles se déploient à l’écart de la tutelle des organisations représentatives ; 2) ne comptent que sur leurs propres forces pour atteindre leur but ; et 3) ne s’inscrivent dans aucune stratégie de conquête du pouvoir (Ogien, 2021). Ces pratiques se divisent toutefois en deux grandes familles : les unes portent une revendication limitée et particulière, les autres entendent peser directement sur l’activité politique en remettant en cause le monopole des gouvernements et des partis en la matière. C’est ce second genre de pratique politique autonome qui constitue ce qu’on peut appeler l’activisme « sauvage » (Chollet, 2019) – sauvage au sens où il ne se soucie d’aucune des normes en vigueur dans la politique professionnelle, pas plus de ses codes convenus que de ses hiérarchies établies, de son langage feutré que des relations de connivence qui se nouent entre les médias et les puissants.


La légitimité de la rue

La première question que pose l’activisme sauvage est de savoir de quelle légitimité peuvent se prévaloir ces groupements de citoyens qui remettent en cause le pouvoir des professionnels de la politique, réclamant d’eux qu’ils se comportent autrement ou exigent d’en changer.

La première source de légitimité tient aux principes au nom desquels ils appellent à se mobiliser : injustice, indignité, mépris, arrogance, arbitraire du pouvoir, violence de la répression, dédain du bien commun, corruption (Pettit, 2004). Et cette légitimité est ratifiée et confortée par le soutien populaire qu’ils reçoivent – qu’il soit mesuré par des sondages ou par l’absence d’opposition à leur action.

L’activisme sauvage défie la définition légaliste de la démocratie représentative en venant rappeler que la souveraineté du peuple ne se construit pas uniquement dans l’émergence d’une majorité par le truchement des urnes, mais prend tout autant consistance lorsque des foules descendent dans la rue pour rejeter des pouvoirs discrédités, en parvenant parfois à les chasser ou les faire céder ; lorsque des associations ou des collectifs obligent des gouvernements à se déjuger, les assignent en justice ou les font revenir sur des mesures tenues pour injustes ou indignes ; lorsque le recours à la désobéissance civile ou à l’action directe non violente vient épauler un affrontement avec des pouvoirs publics ou privés ; ou, parfois, lorsque des formations se situant hors du système des partis choisissent d’entrer dans l’arène électorale pour leur faire concurrence (Breaugh, 2007).

Durant la dernière décennie, la rue a de moins en moins été associée à ces déferlements de hordes déchaînées qui investissent de façon barbare et terrifiante le cœur des villes pour semer le désordre avec des accents séditieux, assaillir les institutions démocratiques et détruire la paix civile. Des débordements de fureur de ce genre se produisent parfois, comme à l’occasion d’émeutes et de pillages à la suite de morts suspectes aux mains de la police, de frondes motivées par des situations de désespoir d’une partie de la population ou de déploiements de milices paradant en armes. Jusqu’à présent, ils ont rarement pris l’allure de véritables insurrections, même lorsqu’ils ont été instrumentalisés par des forces d’extrême-droite comme lors de l’assaut contre le Capitole à Washington en 2020. La rue est surtout le théâtre de rassemblements paisibles, d’occupations non violentes, de marches pacifiques dont l’objet est de rappeler un gouvernement à ce qui devrait normalement être sa vocation, de révoquer des gouvernants qui trahissent leurs programmes ou de contester des appareils de partis et de syndicats dont l’action s’écarte trop de ce qu’elle devrait être aux yeux de ses adhérents et sympathisants. Elle s’est ainsi transformée en un espace dans lequel vient s’exprimer une parole politique qui s’est construite à l’écart des institutions de la représentation (dans des groupes de réflexion, des assemblées, des coordinations, des comités de résidents, des ronds-points, des réseaux sociaux ou dans la clandestinité) pour exposer des aspirations qui ne sont pas prises en considération par les organisations (partis, syndicats ou associations) dont la fonction officielle est pourtant de le faire (Rosanvallon, 2006).

En s’emparant de la rue de manière organisée, l’activisme fait d’abord valoir la capacité de tout citoyen à agir en politique ; et son droit, quel que soit son statut social, à contribuer pleinement à la définition et au contrôle de l’activité de gouvernement. On observe d’ailleurs que ce droit est en partie consacré par les milieux dirigeants, qui tiennent désormais la contribution de la “société civile” à la conduite des affaires publiques pour indispensable à une “gouvernance” moderne (OECD, 2020).

 

L’ordre tripolaire du politique

Au fil de cette évolution, l’ordre bipolaire des régimes démocratiques articulé autour du jeu codifié entre deux mondes se partageant la charge des affaires publiques (celui des détenteurs du pouvoir qui assurent l’administration des Etats et celui de leurs opposants qui aspirent à le faire à la suite d’une alternance) s’est transformé en un ordre tripolaire. Un troisième monde s’est en effet imposé avec lequel les deux autres doivent dorénavant composer : celui de l’engagement direct des citoyens dans le domaine de la politique. Et cet ordre tripolaire (exercice du pouvoir/activité partisane/intervention des profanes de la politique) est en train de s’installer, même si cela s’accomplit à tâtons. L’activisme des citoyens accélère cet avènement, en élaborant, à tâtons, une politique lui assurant une place reconnue dans l’édifice institutionnel des régimes démocratiques. Cette recherche se heurte à quatre obstacles qu’il lui faut encore lever :

1. Surmonter l’impuissance : L’activisme suscite toujours méfiance et incrédulité. Il y a à cela deux raisons. D’une part, beaucoup doutent qu’un regroupement de citoyens sans direction identifiée et sans but proclamé, refusant d’imposer une hiérarchie et une discipline rigide, parvienne à mener à bien un affrontement contre la puissance d’un Etat et à éviter l’émergence de situations chaotiques. Il faut donc effacer un paradoxe : ce qui assure l’adhésion à l’activisme - le respect de l’égalité de chaque participant dans des délibérations ouvertes, le rejet de tout sectarisme, la possibilité d’organiser l’action de façon décentralisée - est précisément ce qui en entrave la réussite. D’autre part, son intervention s’organise généralement à partir de la dénonciation d’injustices sociales, climatiques, judiciaires, ethniques, sexuelles, territoriales, environnementales ou épistémiques qui frappent un groupe particulier de la population. Elle est rarement justifiée par une théorie qui expliquerait les raisons pour lesquelles il faudrait mettre fin aux rapports de domination qui reproduisent l’inégalité et détruire les structures mêmes du système qui en tire profit (Walzer, 2020). Mais n’est-ce pas là sa faiblesse ?

2. Maintenir la vigilance : L’activisme pointe le fait qu’une vie politique authentiquement démocratique exige le contrôle des citoyens sur l’action ou l’inaction de leurs élus et représentants afin d’éviter que les pouvoirs en place agissent à leur guise et dans un sentiment d’impunité (Rousseau, 2015). Un des défis qu’une politique de l’activisme doit relever consiste à instaurer une vigilance intransigeante et de tout instant, et surtout à la maintenir vivante sans que ceux qui l’exercent s’épuisent ou se lassent. Et la manière de le faire reste problématique : faut-il suivre la voie de l’institutionnalisation des contre-pouvoirs – avec le risque d’affadissement ou de récupération qu’elle contient ; ou faut-il conserver à la vigilance le caractère sauvage qui lui donne sa spontanéité et est un gage de son autonomie vis-à-vis des pouvoirs dont elle surveille les manquements ?

3. Faire un usage stratégique des élections : Des mouvements citoyens décident aujourd’hui de faire un usage stratégique des urnes afin de contribuer, si peu que ce soit, à changer de monde ou à transformer un ordre établi jugé défectueux. Reprendre possession de la politique en se servant du bulletin de vote est une tactique à laquelle un mouvement peut recourir soit pour placer des novices à la tête d’un exécutif ou d’un Etat en en délogeant les coutumiers de l’establishment, soit pour forcer les partis qui monopolisent la parole publique à renoncer à la suprématie qu’ils revendiquent sur la définition des questions politiques, à réviser leurs dogmes et à dépoussiérer leurs pratiques. Voter est-il une trahison de la vocation de l’activisme ? On peut en douter lorsqu’on observe comment des dirigeants surpris par cette conduite mettent en place des stratégies visant à cadenasser les consultations, à purger les listes électorales, à plaider l’annulation du scrutin, voire à suspendre le régime démocratique.

4. Multiplier les contre-pouvoirs autonomes : faute de formuler un projet de changement global, comme détruire le capitalisme et son système d’exploitation, abolir les situations de domination et de discrimination ou mettre fin au dérèglement climatique en abandonnant les formes de production destructrices, le combat de l’activisme poursuit une visée : multiplier les contre-pouvoirs susceptibles de mettre en place des politiques préfiguratives œuvrant à l’avènement d’une citoyenneté active.

 

Réaliser les promesses de la démocratie 

L’institutionnalisation du rôle des citoyens ordinaires en politique soulève bien des oppositions. La première – la moins souvent soulignée - est liée à une ambivalence inhérente au projet même de la démocratie. Une des particularités du cadre d’action politique que fixe le concept de démocratie est d’introduire dans le débat public une tension irréductible entre les promesses de l’égalité qu’il contient (en termes de droits et de libertés pour les personnes et les groupes minoritaires) et la crainte des effets sociaux de la réalisation effective de ces promesses (en termes de relâchement de l’autorité, d’abolition de la hiérarchie, de remise en cause de positions de pouvoir et d’extension des droits individuels).

L’impossible réduction de la tension entre les promesses d’égalité et la crainte des effets sociaux de leur réalisation informe en même temps les proclamations enflammées sur la grandeur de la démocratie et ces diagnostics plus sombres qui décrètent son impuissance à faire face à ses ennemis, qui mettent l’accent sur la fatigue que provoque la nécessité de voter à tout bout de champ, annoncent l’épuisement d’une pratique de la représentation minée par la professionnalisation, ou le caractère fallacieux de sa prétention à assurer l’égalité de tous. Cette tension éclaire le fait que le rapport à la démocratie est toujours un peu paradoxal. D’une part, elle est prisée parce qu’elle incarne la liberté, l’émancipation, la solidarité et le respect des droits humains ; mais, d’autre part, on la dénigre ou la rejette à force d’observer qu’elle ne parvient pas à établir une société plus juste et à faire du peuple souverain le véritable dépositaire du pouvoir (Ogien et Laugier, 2014).

L’activisme des citoyens n’est donc pas le reflet d’une crise de la politique (détachement total vis-à-vis du fonctionnement des institutions de la représentation) ou d’une crise du politique (indifférence complète aux problèmes de la vie quotidienne et à la manière dont ils sont traités), encore moins d’une crise de la démocratie (dénonciation de l’inanité des promesses de l’égalité contenues dans son principe). En fait, il traduit un phénomène qui impose sa logique aux régimes de démocratie parlementaire : la nécessité de corriger la trop grande asymétrie du rapport entre gouvernants et gouvernés que l’élection a fini par induire (Landemore, 2020). C’est ce sentiment qui pousse à admettre la légitimité de la contribution de personnes sans mandat électif mais investies dans le travail associatif ou dans des mouvements citoyens à l’élaboration des cadres législatifs et réglementaires de la vie collective, au niveau local, national ou transnational. La langue politique a déjà enregistré cette évolution, en intégrant dans son lexique les notions de parties prenantes ou d’inclusivité qui entérinent l’extension de l’espace de la délibération et de la décision au delà du cercle habituellement réservé aux seuls dirigeants (Blondiaux et Manin, 2021). Il lui reste encore à y introduire le terme activisme.

Bibliographie

Blondiaux, Loïc, et Bernard Manin, éd. 2021. Le tournant délibératif de la démocratie. Paris: SciencesPo les presses.

Breaugh, Martin, 2007. L’expérience plébéienne. Une histoire discontinue de la liberté politique, Paris: Payot.

Chollet, Antoine. 2019. « L’énigme de la démocratie sauvage ». Esprit Janvier-Février (1‑2): 136‑46. https://doi.org/10.3917/espri.1901.0136.

Dewey, John, et Joëlle Zask. 2010. Le public et ses problèmes. Folio 533. Paris: Gallimard.

Dupuis-Déri, Francis. 2013. Démocratie: histoire politique d’un mot: aux États-Unis et en France. Humanités. Montréal, QC: Lux Éditeur.

Graeber, David. 2014. Comme si nous étions déjà libres. Montréal, Qc: Lux Éditeur.

Landemore, Hélène. 2020. Open democracy: reinventing popular rule for the twenty-first century. Princeton: Princeton University Press.

OECD. 2020. Innovative Citizen Participation and New Democratic Institutions: Catching the Deliberative Wave. OECD. https://doi.org/10.1787/339306da-en.

Ogien, Albert. 2021. Politique de l’activisme: essai sur les mouvements citoyens. 1re édition. Paris: PUF.

Ogien, Albert, et Sandra Laugier. 2014. Le principe démocratie: enquête sur les nouvelles formes du politique. Paris: la Découverte.

Pettit, Philip. 2004. Républicanisme: une théorie de la liberté et du gouvernement. nrf essais. Paris: Gallimard.

Rosanvallon, Pierre. 2006. La contre-démocratie la politique à l’âge de la défiance. Paris: Éditions du Seuil.

Rousseau, Dominique, 2015. Radicaliser la démocratie, Paris: Ed. du Seuil.

Walzer, Michael, Jon Wiener, et Frédéric Joly. 2019. Manuel d’action politique. Paris: PP, Premier parallèle.

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